Le capitalisme de «catastrophe »

Par James K. Galbraith

Nous avons besoin d’un modèle radicalement différent pour faire face à la crise du COVID-19

La situation actuelle aux États-Unis

Il y a deux semaines, le nombre de morts aux États-Unis du Covid-19 a dépassé celui des soldats américains tués au Vietnam en 1955-1974. Le 1er mai, le résultat d’une journée a atteint un nouveau sommet, encore plus élevé que lors des attentats à New York le 11 septembre 2001. Pendant ce temps, la production économique s’est effondrée et plus de trente millions d’Américains avaient déposé des demandes de chômage au 30 avril 2020. Sur le plan de la santé publique, les tests restent insuffisants, le traçage des contacts inexistant, les options de traitement semblent bloquées et des millions de personnes ne sont toujours pas assurées. Les renflouements fédéraux n’ont bien fonctionné qu’à un seul titre : stimuler une modeste reprise des stocks et prévenir les défauts de paiement massifs sur les obligations.

Les défaillances du système de santé public frôlent le sabotage.

Des trousses de test ont été disponibles auprès de l’OMS en janvier ; les États-Unis ont choisi de ne pas les utiliser. La première production de tests à partir des CDC (centres pour le contrôle et de prévention des maladies) a été bâclée. Les tests ont été délibérément limités à mesure que la transmission communautaire augmentait, de sorte que le virus s’est échappé de l’endiguement précoce qui aurait pu être possible. Les blocages et les quarantaines sont arrivés en retard, ont été mal organisés et faiblement appliqués. Les fournitures d’EPI (équipement de protection individuelle) n’ont pas été allouées aux hôpitaux et aux fournisseurs de soins de santé en fonction des besoins ; la Défense Production Act n’a pas été déployée en temps opportun et de manière efficace pour accélérer la production à domicile ; il n’existe pas de système fédéral efficace pour gérer les chaînes d’approvisionnement médicales internationales à ce jour. Alors que certaines entreprises ont sans doute fait de leur mieux, les rapports de profit et d’escroqueries sont endémiques.

La poussée pour rouvrir l’économie est une nouvelle marque d’échec.

Comme les travailleurs de l’approvisionnement alimentaire n’étaient pas correctement protégés, des niveaux inacceptables de maladie et de contamination au travail se sont produits, notamment dans l’industrie de la viande. Les banques alimentaires sont en crise, tandis que le lait, les œufs et autres denrées périssables sont gaspillés.

Les gouvernements des États confrontés à des catastrophes fiscales pressent les entreprises de rouvrir à des conditions qui ne peuvent pas être rentables, parce que leur capacité est limitée pour des raisons de santé. Les ouvertures sont calculées pour forcer les travailleurs à quitter l’assurance-chômage, et peuvent être révoqués s’ils refusent de retourner à des emplois risqués.

De nombreuses petites entreprises décident de ne pas rouvrir ; elles feront face à la faillite ou elles disparaîtront. Bien que les expulsions et les saisies soient techniquement reportées, de nombreux propriétaires l’ont ignoré et, en tout état de cause, le loyer, les hypothèques, les factures de services publics et d’autres dettes continuent de s’accumuler.

Les modèles de la pandémie.

Ils prévoient maintenant ouvertement que les infections augmenteront davantage à mesure que les blocages seront assouplis, au point de secouer la capacité des systèmes de soins de santé, même dans certaines régions du pays qui ne sont pas encore gravement touchées. On ne sait pas encore si cela se produira ou non ; le public peut continuer, en règle générale, à avoir un comportement de contact sûr, si les taux de transmission sont inférieurs à 1, comme on l’estime actuellement dans presque tous les Etats américains, la pandémie peut continuer à diminuer. Mais si les modèles actuels se confirment, les taux de mortalité augmenteront de manière encore plus importante. Ces événements devraient entraîner d’autres confinements plus stricts jusqu’à ce qu’un vaccin ou un traitement soit disponible. Il n’y a aucune garantie de l’un ou l’autre.

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Même si la pandémie contenue, l’économie ne reviendra pas à la « normale ».

Les États-Unis sont le premier producteur d’énergie, d’aérospatial, de technologies de l’information de pointe et de services financiers. Ils assemblent plusieurs millions d’automobiles, d’appareils électroménagers et d’autres biens de consommation durables chaque année.

Le secteur pétrolier a subi un effondrement des prix et frôle maintenant la banqueroute de masse, car lorsque les puits de fracturation seront moins rentables, ils seront sablés et deviendront très coûteux à réouvrir, de sorte que l’expansion économique basée sur l’énergie aux États-Unis se termine.

Les avions sont parqués dans des places de stationnement ; aucun nouvel avion de ligne civile ne sera nécessaire indéfiniment.

Les ménages qui sont soit au chômage ou qui travaillent à domicile (et donc qui ne font pas de déplacement) ou qui font face à un loyer différé et des hypothèques n’iront pas tout de suite sur le marché des voitures neuves ; en tout cas les anciennes dureront plus longtemps car elles seront beaucoup moins utilisées.

Comme les immeubles de bureaux restent vides, de nouveaux ne seront pas construits. De même pour les magasins de détail, déjà mis à mal par la commande en ligne et les livraisons.

Le secteur bancaire est aux prises avec des prêts à l’énergie qui ont mal tourné, des dettes des ménages et des prêts aux entreprises qui seront menacés une fois que les fonds de sauvetage auront été réduits. Les dettes accumulées pendant la pandémie seront en défaut dans de nombreux cas, ruinant le crédit pour les ménages touchés.

Tout cela annonce une longue dépression, même dans les meilleures conditions de santé publique prévisibles. Un cycle d’infections et de confinements rendra tout cela bien pire.

Il y a une illusion : que la prospérité récente peut être relancée par le « déconfinement » Mais de nombreuses industries – avions, compagnies aériennes, hôtels, automobiles, appareils électroménagers, construction commerciale, énergie – vont certainement être affaiblies, quoi qu’il arrive maintenant et peu importe combien d’argent ils vont recevoir. Les sauvetages étaient fondés sur l’idée que ces industries n’étaient confrontées qu’à une interruption temporaire d’activité. Mais il est difficile de prévoir comment les faillites et les liquidations peuvent être évitées s’il n’y a pas de reprise de la demande de produits.

La production à grande échelle repose sur des chaînes d’approvisionnement interconnectées, de sorte que si un seul grand producteur (par exemple l’une des majors dans le secteur automobile) échoue, il y a un risque de liquidations en cascade (par exemple dans les pièces automobiles), ce qui rend les opérations difficiles – peut-être impossibles – pour les survivants. Dans ces industries, les chaînes d’approvisionnement et les sous-traitants sont beaucoup plus importants dans l’ensemble que les opérations d’assemblage de la société de production finale.

L’enseignement supérieur, un grand secteur en Amérique, fait face à une crise de coûts élevés, un effondrement des inscriptions et à l’alternative réelle, et bon marché d’un enseignement en ligne dans de nombreux domaines. Cela était déjà en cours pour des raisons démographiques, et s’accélère avec la perte de richesse des ménages.

Les soins de santé, dix fois plus importants, sont également confrontés à des difficultés financières car des millions de salariés perdent leur assurance et, aussi pour l’instant, car les accidents, d’autres maladies infectieuses etc., sont en baisse, privant les médecins et les hôpitaux de remboursements.

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Les industries de services, de la restauration aux détaillants, ne peuvent pas fonctionner de façon rentable à un quart de leur capacité ; bars, boîtes de nuit et la plupart des sites sportifs ne peuvent pas rouvrir du tout.

Les décisions fédérales ont échoué à tous les niveaux.

En ce qui concerne le pouvoir exécutif, il s’agit au mieux d’un complexe d’incompétence, de déni et de motivation politique. Pire, des décisions ont été prises et sont toujours prises en pleine connaissance des taux de mortalité prévus et du potentiel de profit du secteur privé, tant dans le secteur médical que dans l’économie financière dans son ensemble. On sait que certains spéculateurs privés ont fait plus de trois cents milliards de dollars sur le marché boursier avant l’effondrement de février, et que certains membres du Congrès ont vendu leurs avoirs sur la base d’informations fournies dans les briefings du service du renseignement.

L’action du Congrès a été lente, entachée par la politique, les lobbies, les rivalités régionales, le mauvais jugement et un diagnostic erroné des questions économiques ; d’autre part le congrès a adopté les modèles législatifs utilisés dans les périodes passées de ralentissement économique, en particulier la crise de 2007-2009, qui ne comportait aucune mise en quarantaine ni aucun autre élément de santé publique.

Les politiques spécifiques mises en œuvre étaient en proie à des problèmes.

Pour calculer les paiements en vertu de la première loi sur le CARE (sécurité sociale), l’IRS (impôts) a croulé sous l’impression de chèques en papier qui ont dû être envoyés par la poste à ceux qui n’ont pas de compte.

Les prestations d’assurance-chômage ont été relativement généreuses, mais les sites Web de l’assurance-chômage de l’État qui n’ont pu gérer l’afflux de demande, se sont scratchés, laissant beaucoup d’utilisateurs dans l’impossibilité d’accéder au programme.

En ce qui concerne la prise en charge des salaires (ce qui aurait protégé l’assurance maladie et les cotisations syndicales), la Small Business Administration a publié des règles qui semblaient inutilisables pour de nombreuses entreprises, qui ont fait que les banques ont donné la préférence aux clients favorisés, et dès le premier jour ainsi l’argent a rapidement manqué.

En bref, l’effort pour sauver l’économie en y versant de l’argent par les canaux conventionnels était inadapté, mal compris, inefficace et, à certains égards, corrompu. Le mieux que l’on puisse dire, c’est que c’était mieux que de ne rien faire du tout.

Au fur et à mesure que les événements progressent, le modèle habituel de vente et d’achat de propriétés ne peut pas se développer. Ainsi, la valeur des propriétés s’effondrera, laissant des millions de propriétaires sans capitaux propres ; les saisies de biens sont inévitables en vertu des règles légales actuelles. Les investisseurs privés prédateurs achèteront des actifs en difficulté aux prix de la vente aux enchères et la population américaine retrouvera, en grande partie un statut de locataire. Pour ceux qui ont des moyens, les enseignants privés et les médecins resteront disponibles ; les autres s’en sortiront comme ils le peuvent. Inutile de dire que la dépression, le désespoir, l’abus de drogues et le suicide prévaudront.

Ou peut-être non.

Dans le sillage de la Grande Crise financière, il était possible – à peine possible, mais possible quand même – que les victimes se retournent contre les banquiers, ceux qui ont construit un système financier massivement frauduleux, et non contre ceux qui ont contracté les prêts qu’ils ne pouvaient pas rembourser. Mais il n’y avait pas de virus, pas de déclencheur de problème de santé publique, lors de cette crise.

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Celle-ci est différente. Chaque développement décrit ci-dessus est une conséquence, directe ou indirecte, du coronavirus.

Ceux qui ont été mis à pied, qui sont rentrés chez eux, et qui ont brisé la transmission de la maladie, ont fait leur part, tout comme les professionnels de la santé et les commis d’épicerie ont fait le leur. Leur demande de réparation reste faible. Mais moralement leur cause est légale et la demande de réparation économique incontestable. Même le secrétaire au Trésor sortant, Steven Mnuchin, un prédateur condamné pour forclusion après 2008, a déclaré que la crise économique « n’est ni la faute des entreprises américaines, ni la faute des travailleurs américains, c’est la faute d’un virus. » C’est vrai, mais cela ne signifie pas que les choses vont revenir comme avant si le virus finit par disparaître.

Pour aller de l’avant.

Tout d’abord, les dettes contractées avant et pendant la pandémie devront être effacées. Le secteur de l’énergie et les secteurs des transports devront être reconstruits, en s’appuyant beaucoup plus sur les énergies renouvelables et les sources autres que le pétrole. Une grande partie des industries de base, en particulier dans le secteur de la santé, devra être rapatriée afin qu’il existe une suffisance de base dans ce pays.

Des millions de personnes seront nécessaires pour surveiller et soutenir la santé publique ; ils devront être organisés et financés par le gouvernement.

Les gouvernements des États et des collectivités locales devront être financés en grande partie par le gouvernement fédéral pour fournir des services publics de base.

Des logements nouveaux et durables doivent être construits dans de nouvelles structures communautaires.

Le haut débit sur le net doit être fourni à tous.

Un nouveau modèle de financement coopératif, avec l’appui du public, sera nécessaire pour rétablir les petites entreprises.

Les lieux culturels et sportifs locaux décentralisés devront remplacer les expériences de masse ; elles aussi nécessiteront des structures coopératives et un soutien public.

En bref, la seule issue, acceptable pour l’ensemble de la population, nécessitera une restructuration globale de l’économie sur une base solidaire, le gouvernement intensifiant et garantissant le financement garanti, à l’emploi et aux investissements publics.

Le « capitalisme de catastrophe » est en cours d’essai, et dans le pire des cas il est probable. Mais il y a une échelle au-delà de laquelle le capitalisme de catastrophe ne peut pas aller.

À un certain moment, le carnage devient trop grand pour être ignoré, impossible à éviter et mortel pour être négligé. À un certain moment, les gens ordinaires se lèveront et refuseront d’être victimes d’intimidations.

Nous n’en sommes pas là. Nous sommes toujours dans l’état d’esprit de « revenir à la normale », alors même que la pandémie se poursuit. La contradiction entre la normalité et la santé publique est dans l’esprit des gens ; l’impossibilité de revenir à la normale « anormale » précédente ne s’est pas encore installée. Elle se fera, en temps voulu. À ce moment-là, il faudra faire face à la question des solutions de rechange.

12 Mai 2020, Delphy initiative

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