L’avenir de DNR et la très controversée personnalité de Pouchiline

Par Karine Bechet Golovko
26 Septembre 2018

Que se passe-t-il à Donetsk depuis la mort de Zakhartchenko? Il est difficile d’y apporter une réponse claire, mais des mouvements inquiétants se produisent autour des élections du futur dirigeant de la jeune république. Beaucoup de questions se posent avec la personnalité du dirigeant par intérim Pouchiline, dont l’arrivée au pouvoir s’accompagne d’un nettoyage … pas très démocratique. Même s’il est soutenu par une opération de communication qui veut le laisser sans alternative, son premier geste consistant à se débarrasser du président de la Cour suprême, qui avait des doutes sur la légalité de son coup de force contre Trapeznikov, laisse planer un voile assez opaque sur sa conception de l’Etat de droit. Surtout si l’on se souvient de son passé, pas si lointain que cela, assez fructueux, dans les escroqueries pyramidales financières. Peut-on réellement dire que ce soit la personne rêvée pour l’avenir de DNR? Cela dépend finalement de quel “avenir” l’on espère pour DNR.


L’arrivée de Pouchiline à la tête de DNR
 
Après l’assassinat de Zakhartchenko le 31 août 2018, Trapeznikov avait été nommé par intérim, assez logiquement puisqu’il était le premier vice Premier ministre de la République populaire de Donetsk. Les relations entre Trapeznikov et Timofeev (dit Tachkent), le deuxième vice Premier ministre en charge des finances, étaient tendues, mais vue la situation ils ont déclaré publiquement faire front commun dans l’intérêt de la jeune république. (Très) Peu de temps après, Pouchiline arrive sur le devant de la scène. Il est le représentant envoyé pour les négociations dans le cadre des mythiques accords de Minsk et depuis 2015 a été élu à la tête de l’organe représentatif de la République, le Conseil populaire.
Pouchiline s’adresse au président de la Cour suprême pour que la nomination de Trapeznikov à la tête, même temporaire, de DNR soit déclarée illégale, ce qui lui est refusé. La procuratura, elle, le soutiendra et Trapeznikov écarté, remplacé par Pouchiline.
La mise à l’écart du président de la Cour suprême DNR: une faute politique majeure
C’est alors qu’immédiatement, le 7 septembre, le premier jour de son entrée en fonction, un nettoyage politique est fait, les hommes de Zakhartchenko sont écartés, certains comme Timofeev (accusé de détournements de fonds à grande échelle après avoir été considéré comme un héros) partent en Russie, et sont remplacés par “ses hommes”. Le président de la Cour suprême de DNR, en place depuis 2014, est immédiatement remercié et remplacé par Andrei Kim – qui vient de la Procuratura. Comme cela est précisé dans l‘oukase N°5 du 7 septembre 2018, Edouard Yakubovsky est écarté et Pouchiline surveillera personnellement l’exécution de cet oukase. Personnellement?
Jusqu’à quel point, en effet cela est-il personnel? Qu’un dirigeant par intérim puisse démettre de ses fonctions la personne qui est censée être à la tête du système judiciaire rappelle les mauvais jours de toute révolution, qui passe systématiquement par une phase de prise en main des juges. C’est d’ailleurs pour cela que normalement, les capacités de renvoyer certaines personnes-clés sont limitées en période transitoire. Il y va de la légitimité et du nouveau pouvoir qui veut s’installer, ici Pouchiline, et du système institutionnel en général.
En démettant le président de la Cour suprême de ses fonctions et en nommant un individu venant de la Procuratura, qui fut beaucoup conciliante, Pouchiline a commis une faute politique majeure. Qui démontre un état d’esprit et conduit à s’interroger sur ses capacités à diriger la jeune République dans une période aussi difficile. Mais de cela, ce sera à la population de décider lors des élections.
La mise à l’écart des hommes de Zakhartchenko: du socialisme étatiste au libéralisme débridé … en période de guerre
D’une manière générale, ce sont les hommes de Zakhatchenko et surtout sa vision de DNR qui est remise en cause, même si chacun déclare continuer l’oeuvre du héros charismatique, cherchant ainsi à bénéficier de son aura. D’une manière très symbolique, le ministère de la défense a été supprimé par une loi du 21 septembre et remplacé par l’Organe républicain du pouvoir exécutif représentant la politique étatique dans le domaine de la défense. Est-ce à dire que la guerre est terminée? Et quelle sera la paix alors?
Dès la mort du Chef de DNR, une opération de communication a été lancée contre Timofeev, qui s’était occupé de la nationalisation dans le Donbass. A notre époque de culte libéral (assez primaire), lancer une opération de type socialisante était un pari risqué, avant tout idéologiquement – la dissidence, quelle qu’elle soit, est rarement admise. Dans les premiers jours de septembre, Timofeev est passé du statut de héros à celui de criminel en fuite. Et surtout, les nouveaux hommes de Pouchiline annoncent la liquidation de l’héritage politique, avec une politique de reprivatisation.
L’on se demande, immédiatement, au minimum, qui va récupérer les actifs … Mais également s’il a fallu se battre quantre ans, risquer sa vie … pour une question de business. Certains membres du premier soulèvement estiment que le pouvoir a été repris par le clan fidèle à Yanukovitch (l’ancien président ukrainien démis par le Maïdan) et Kurtchenko (qui s’occupe des biens nationalisés). Leurs intérêts sont croisés économiquement avec l’Ukraine, donc la ligne suivie par Zakhartchenko ne peut être continuée par eux.
Peut-être faut-il réellement privatiser, peut-être. Mais soulevons quelques éléments de réflexion. Si l’on considère que le Donbass est une des parties de la guerre civile qui a embrasé l’Ukraine suite au Maïdan, peut-on sérieusement penser à l’instauration d’une économie libérale de type dérégulée dans une zone de conflit? Les jeunes institutions ont besoin de constituer un budget, donc de faire entrer les impôts et il fut essentiellement reproché à Timofeev de ne pas faire de cérémonies ici. Les amendes qui avaient été prises sont suspendues, en attendant “que la lumière soit faite”.  L’on notera la proximité des arguments entre les “libéraux” du Donbass et de Russie. De faire pression sur le business.
A ce sujet, il faut souligner un autre élément intéressant, concernant cette fois-ci la personnalité de l’individu qui se retrouve à la tête du Syndicat des travailleurs des PMI PME dans le Donbass, qui d’ailleurs entretient de bonnes relations avec son homologue russe. Il s’agit de Roman Pozdniakov. Qui a commencé sa “carrière” dans la pyramide financière MMM, qui fut le plus grand scandale financier en Russie, instaurée par Mavrodi. Passer de MMM au Syndicat, ça ne s’invente pas …
En fait, cela s’explique par la personnalité de Pouchiline, qui à son arrivée au pouvoir en 2014 dans la période mouvementée a utilisé ses “amis MMM”, dont il faisait lui aussi partie. Membre actif de la pyramide financière depuis 2009, il est ensuite entré dans le “parti MMM“. Il s’est même présenté en 2013 aux législatives ukrainiennes sous couleur MMM et a obtenu 0,08% (77 voix exactement). Sa carrière politique ne démarrait pas très bien. Mais le conflit dans le Donbass l’a relancée.
Quelle peut-être la crédibilité politique d’un membre important d’une des plus grosses escroqueries financières?
 
En devenant le candidat favori de certaines élites qui semblent vouloir son élection à la tête de la République populaire de Donetsk, Pouchiline est rattrapé par son passé – plus que flou. Selon l’opinion de certaines personnes impliquées dans le soulèvement populaire de Donetsk, le mouvement de Novorossia avait été fondé par Pouchiline et Tsarev avant les élections, essentiellement, pour permettre une victoire électorale aux premières élections. Sans avoir à son actif de grandes réussites, il est depuis au point mort. En revanche, le mouvement MMM, lancé avant le conflit, a servi de réseau pour la mise en place de certaines “élites” soutenant Pouchiline.
L’on y retrouve le trio de choc: Pouchiline, Kramar et Muratov.
Kramar, député local à Smolensk pour le parti Russie Unie en 2009, entre dans la pyramide MMM en 2011, au même moment où il prend ses fonctions dans le Front populaire russe ONF. En 2012, il rencontre Pouchiline. Après le Maïdan, Pouchiline le nommera représentant officiel de DNR en Russie. Mais sa carrière ne s’est pas arrêtée là, il est également le vice-président du bureau exécutif du “parti” de Pouchiline, “Donetskaya Respublika”.
Muratov était aussi député local de 2003 à 2012, pour Russie Unie.  En 2011 il quitte le parti pour MMM, où il estime pouvoir mieux représenter les intérêts des gens.

Avec la chute de MMM2011, il entre dans MMM2012, puis sera un des membres fondateurs du parti MMM, dont l’assemblée constituante sera organisée à Koursk. Mais le parti ne sera pas enregistré en Russie. Rien de moins qu’un parti politique, même Madoff n’avait pas osé faire de l’escroquerie financière une entreprise politique affichée.

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Muratov part en Inde, est arrêté. Lors de sa libération, il part en Ukraine où, avec Pouchiline, ils vont faire le tour des villes pour lancer MMM en Ukraine, notamment dans le Donbass.

Ici, Pouchiline recrutant pour le projet MMM2012
Muratov aussi a été nommé par Pouchiline représentant de DNR en Russie:
Selon les dernières informations publiques, Muratov est à Koursk où il s’occupe de nouveaux schémas financiers appelés Change The World Together (reprenant en substance le slogan MMM) autour des monnaies cryptées. Quels sont ses liens aujourd’hui avec Donetsk, rien n’est publié sur le sujet.
Des élections assez perturbées
C’est dans ce contexte de guerre politique interne et de tentatives de nettoyage de l’espace politico-médiatique autour de cette personnalité aussi contestée qu’impopulaire qu’est Pouchiline que sont lancées les élections pour déterminer de l’avenir de Donetsk. La population a une confiance très relative en Pouchiline, surtout en raison de son passé et du fait qu’il n’a jamais été sur le front, que lors des moments les plus difficiles de 2014, il était principalement à Moscou.
Mais pour garantir des élections justes, il faut une commission électorale indépendante. Or, Olga Pozdniakova ne sera pas la Pamfilova du Donbass. Olga Pozdniakova est la femme de Roman Pozdniakov, l’ami de Pouchiline et ancien membre de MMM. Dès son entrée en fonction, Pouchiline  a composé, c’est-à-dire nommé, les membres de la commission électorale, par son oukase N°1-1. Ensuite, les membres de la commission ont “élu” comme présidente la femme de Roman Pozdniakov de MMM, Olga Pozdniakova à la tête de la commission électorale.
En passant …
Il y a aujourd’hui une dizaine de candidats enregistrés. Le grand favori est le très controversé Pouchiline. Il y a ensuite Gubarev, qui fut une figure du début des évènements de 2014 et brièvement  le “gouverneur populaire” de Donetsk, l’ancien ministre de la défense Khakimzianov qui a une position beaucoup plus ferme, etc. Selon une petite enquête de rue, les gens veulent quelqu’un comme Zakhartchenko, ses proches, quelqu’un qui soit honnête, proche des gens, avec une force de caractère. Justement ces personnes qui sont évincées en sous-main.
Bref, en dehors de Pouchiline, qui a le poids politique que peut avoir une marionnette désarticulée, il existe d’autres figures, plus ou moins neuves, impliquées dans la vie de la République, à la réputation beaucoup moins tâchée. Le soutien dont bénéficie le dirigeant imposé par intérim est largement disproportionné à sa popularité.
Dans tous les cas, il serait bien d’éviter un nouveau “Vladivostok”, surtout que le contexte politique n’est pas le même. Cette commission électorale de poche ne sera pas apte à protéger la vox populi et la fragilité de la situation politico-sociale intérieure pourrait avoir des conséquences beaucoup plus graves qu’à Vladivostok.
Sur le plan géopolitique, la Russie étant considérée à l’international comme le garant de cette jeune république, c’est également sa réputation qui est en cause. Sans compter les millions d’Ukrainiens qui y sont réfugiés, les habitants du Donbass qui comptent sur elle pour garantir la légitimité de ces élections. Il serait bon de s’interroger plus sérieusement sur le déroulement de cette transition du pouvoir à Donetsk.
Car de ces élections dépendra la suite politique du Donbass. C’est un choix fondamental qui se joue ici pour la région.

 

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