La santé en Palestine: Une affaire coloniale

Par Mustafa MUHAMMAD
14 septembre 2019

Dans cette partie du monde, la santé semble être à l’image du conflit colonial qui sévit depuis 70 ans. Lors d’un voyage syndical en avril 2019, nous avons tenté d’en comprendre les enjeux. Nous avons rencontré et interviewé Mustafa Muhammad, un palestinien de Jérusalem.

Pendant notre voyage, nous avons pu percevoir la situation d’apartheid dans cette partie du monde. En quoi la colonisation israélienne est-elle un frein à l’accès aux soins et à la santé dans les territoires palestiniens ?

Concernant la santé en Palestine, des restrictions ont été mises en place par le gouvernement sioniste pour empêcher l’installation des institutions de santé, en particulier à Jérusalem. Du coup ce sont les institutions coloniales de charité laissées en place par les colons français, britanniques ou allemandes qui assurent les soins, comme les hôpitaux chrétiens Augusta Victoria, Saint-Jean et Saint-Joseph ou les hôpitaux musulmans. Malheureusement ces institutions pratiquent plus la charité que le droit ; la charité qu’on te donne et non pas un droit égalitaire acquis par la lutte politique.

En parallèle, les israéliens ont développé en Cisjordanie leur marché médical, pharmaceutique et les expérimentations sur les palestiniens. Ils font les recherches, ils documentent et ensuite ils vont vendre. Les rats de laboratoires sont les arabes depuis la colonisation européenne jusqu’à aujourd’hui ! Les palestiniens sont devenus les cobayes de l’industrie pharmaceutique comme le groupe TEVA. Qui demanderait des comptes sur les médicaments utilisés sur les palestiniens en Cisjordanie ? Sans compter les armes, les gaz lacrymogènes, tout a été expérimenté sur les palestiniens.

Après la création de l’autorité palestinienne (AP) en 1994 (accords d’Oslo), une certaine institutionnalisation a été mise en place avec le soutien de l’aide internationale et par des donateurs qui essaient d’acheter une certaine stabilité. Ainsi, des hôpitaux publics et privés de charité ont été créés, en complément des structures de l’ONU. (l’UNRWA,United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, créée le 08/12/1949, s’occupe de la santé des réfugiés depuis cette date)

Où est le problème ?

“Je te donne cinquante millions de dollars pour construire et après démerde-toi ” Il n’y a pas de plan de suivi, un plan d’autofinancement et l’autorité palestinienne joue aussi son jeu en laissant à l’abandon ces institutions.

Ce qui aboutit au commerce dans ces hôpitaux publics. Il y a des médicaments qui sont vendus directement par l’infirmière et le médecin à des patients, parce que l’infirmière touche un salaire de 350 euros par mois avec un niveau de vie de 1500 euros par mois, donc si elle ne fait pas ça, elle ne va pas vivre.

Donc tu as des médecins qui commencent à faire du business et à s’engager avec tel et tel hôpital privé. Il dit au malade : « voilà dans notre hôpital public, on ne peut pas soigner telle maladie, par contre je te conseille tel et tel médecin dans telle et telle clinique privée ».

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Il y a aussi un gros problème de iatrogénie avec des patients qui rentrent dans l’hôpital avec une maladie respiratoire et qui sortent soit avec un lourd handicap, soit ils meurent, c’est très fréquent à Bethléhem. Il y a beaucoup de palestiniens qui portent plainte contre les hôpitaux publics palestiniens à cause de la surmortalité : erreurs médicales, essais de nouveaux médicaments. Il n’y a pas d’autopsie, on ne peut pas connaître la cause de la mort.

Donc, l’autorité palestinienne joue le jeu d’un système public de santé défaillant et envoie des malades vers les hôpitaux israéliens. Là commence le business. Un accord permet à l’autorité palestinienne d’envoyer des centaines de malades palestiniens se faire soigner en Israël, ce qui coûte très cher, 5000, 8000, 10 000 dollars dans les hôpitaux israéliens. Qui finance ? Soit l’autorité palestinienne, soit la charité européenne ou américaine. « Oh le pauvre petit, il a un cancer qui ne se soigne pas en Cisjordanie, on va l’envoyer dans les hôpitaux israéliens. Ca va coûter 120 0000 euros. On va appeler à la solidarité internationale, on va appeler l’Arabie Saoudite ». On fait la pièce de théâtre médiatique, par les réseaux sociaux et tu as tes 120 000 euros. Et le directeur de l’hôpital israélien est très content, il va toucher une somme considérable. Donc la santé de la population ici, c’est un commerce corrompu, sans contrôle.

Gaza, c’est à part. Depuis 2006, le blocus israëlien interdit aux palestiniens de sortir se soigner ailleurs. Et il y a des pièces médiatiques orchestrées dans les rares cas où des Gazaouis sont autorisés à sortir se soigner en Israël. Mais c’est juste de la com’, ça n’a rien à voir avec la morale ou l’éthique. Il y a des très rares cas où des familles israéliennes vont voir des malades palestiniens dans les hôpitaux israéliens devant les caméras. Il y a le cas d’Ahmed Dawabsheh en 2015, brûlé vif, ainsi que toute sa famille, lors d’un attentat par un colon israélien. Le seul enfant rescapé de cet attentat a été soigné dans un hôpital israélien devant les caméras et finalement il a trouvé la mort comme la reste de sa famille. Les Israéliens brûlent vifs les Palestiniens et ils disent qu’ils les soignent ensuite !

En plus, depuis une dizaine d’années, l’autorité palestinienne fait un blocus contre Gaza en empêchant des médicaments fabriqués à Ramallah d’arriver à Gaza ou en refusant de payer les soins des gazaouis. Le Hamas refuse de se soumettre aux colons et l’autorité palestinienne sanctionne les 2 millions de Gazaouis. Dans le même temps, l’Egypte, obéissant à Israël, refuse de laisser les Palestiniens aller se soigner à l’étranger.

Nous avons rencontré pas mal de personnes travaillant pour des ONG en Palestine. Quel est leur rôle ici dans la santé ?

Toutes les institutions internationales qui aident les Palestiniens à travers des projets de santé ont des agendas politiques et émettent leurs conditions pour donner de l’argent.

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Les ONG achètent les consciences, pour montrer que les EU et les pays européens coloniaux (France, Grande Bretagne, etc…) ont des valeurs morales et éthiques. Les membres des ONG ne nous regardent pas comme des gens qui ont des droits, notamment celui d’être soignés. Ils nous regardent comme des gens potentiellement terroristes qu’il faut calmer. Cette politique humanitaire et coloniale a été intensifiée dans les pays arabes après ce qu’on a appelé « le printemps arabe ».

Par exemple, Médecins Sans Frontières (MSF) a imposé que le formateur des psychologues palestiniens dans MSF soit israélien. Les psychologues palestiniens ont refusé et ont été licenciés ! C’est comme si on obligeait la femme violée à être soignée par son violeur. 

Et les Nations Unies dans tout ça ? 

Depuis 1949, l’UNRWA fournit des médicaments et des consultations médicales dans la plus part des camps de réfugiés palestiniens. Le problème c’est que la situation est bloquée aussi parce que les salariés de l’ONU ont tous un travail (certains très privilégiés) et n’ont pas intérêt à ce que ça change. Par exemple, le directeur de l’UNRWA à Gaza, un Européen, touche un salaire équivalent à 15 fois le Smic français alors, il n’est pas près de laisser tomber sa place. Donc, cette organisation ne sera pas restructurée parce qu’il y a des gens qui n’y ont pas intérêt. Exactement comme les préoccupations des ONG en Cisjordanie. D’abord on planifie pour assurer les salaires de l’organisation chaque année et après on voit.

Tu as parlé d’un projet de sécurité sociale en Palestine, est ce que tu peux préciser ?

En Cisjordanie, on n’a pas de sécurité sociale, sauf pour les fonctionnaires de l’autorité palestinienne. La meilleure sécurité sociale c’est pour les « militaires », les 70 000 membres de la police palestinienne. Pour les travailleurs du privé, il y a des assurances d’entreprise et des mutuelles. Au bas de l’échelle, les plus pauvres n’ont rien et meurent, sans savoir de quoi ils souffrent.

Comment résoudre ce problème ? L’an dernier, l’autorité palestinienne a promis une caisse de sécurité sociale.

Pourquoi l’autorité palestinienne voudrait créer une sécu ? Deux raisons à ça. D’abord, cette autorité est de plus en plus “éjectable”. Bientôt ils ne serviront plus à rien pour les Israéliens. Ils ont accompli leur mission de facilitation de l’annexion de la Cisjordanie par Israël et l’isolement de Gaza. Ils ont accompli une politique néolibérale qui a rendu le peuple palestinien couvert de dettes et prêts bancaires. L’armée d’occupation israélienne est prête à annexer et prendre directement le contrôle de toute la Palestine. Se voyant proche de la fin, l’AP veut créer une sécu et capter toutes les cotisations des travailleurs du privé puis partir avec le magot récolté une fois éjectée ! Plusieurs milliards de dollars à prendre avant de disparaître !

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La deuxième raison, c’est que les ouvriers palestiniens qui sont autorisés travailler dans les entreprises de l’occupation israélienne subissent un prélèvement israélien d’une partie de leur paye. On parle de six milliards de dollars de prélèvement. Donc l’autorité palestinienne cherchent a les récupérer sous forme d’une caisse de sécurité sociale.

Les palestiniens ne sont pas dupes. Ils ont manifesté toute l’année, allant jusqu’à dormir dans le rues. Mahmoud Abbas a suspendu le projet sans l’annuler. Pour vendre leur projet illusoire de sécurité sociale, l’autorité palestinienne a crée un slogan : « Ne donne pas l’argent à ta femme, elle va faire du shopping. Donne le nous ! »

Pourrais-tu nous parler de la formation des soignants en Palestine ?

On a deux corps universitaires qui forment une centaine d’infirmières et une centaine de médecins. Il y a l’université d’Al Quds, l’université de Jérusalem qui a été créée par l’autorité palestinienne en 1996 mais qui n’est pas à Jérusalem parce que l’armée d’occupation israélienne interdit que les institutions palestiniennes s’installent dans Jérusalem ; une manière de brouiller l’histoire et les cartes. Il y a aussi l’université d’Al Najah à Naplouse. La main d’œuvre qui sort de ces universités, pour partie reste travailler en Palestine, par engagement ou parce qu’elle n’a pas le droit d’entrer en Israël (parce qu’elle a fait de la prison, qu’elle est considérée comme pouvant basculer dans le « terrorisme », ou qu’elle s’est syndiquée pendant ses études…). Pour une autre partie, elle va travailler dans les hôpitaux israéliens. Mais les personnes sont triés. Elles doivent passer des examens, être mariées, avoir des enfants et avoir un besoin d’argent pour être sûr qu’elles ne vont pas commettre des actes de résistance contre les forces d’occupation.

Il faut savoir aussi qu’Israël, c’est l’Europe, la population est très vieillissante et a besoin de médecins, d’infirmières et d’aides à domicile. Il y a énormément de besoins. On voit venir énormément de médecins russes (immigrés juifs), mais ça ne suffit pas. Donc l’occupation israélienne cherchent a séduire les diplômés des universités jordaniennes et palestiniennes.

5 000 étudiants palestiniens-israéliens vont se former à l’université de Najah de Naplouse et des milliers autres en Jordanie, dont les frais d’inscriptions sont moins élevés que les université israéliennes.

Extrait de l’entretien avec Mustafa Muhammad, universitaire palestinien arabe de Jérusalem, docteur en urbanisme et aménagement diplômé de l’Université Paris 4 Panthéon-Sorbonne.

Réalisé le 21 avril 2019, à Jérusalem, par Guillaume Getz et Patrick Dubreil, membres du Syndicat de la Médecine Générale et par Philippe Gasser et Anne Michel, membres de l’Union Syndicale de la Psychiatrie.

https://www.legrandsoir.info/la-sante-en-palestine-une-affaire-coloniale.html