Alors qu’Ursula von der Leyen est candidate à la présidence de la Commission européenne, ce choix pourrait venir bousculer les équilibres politiques.
Berlin, de notre correspondanteCo Pascale Hugues
Angela Merkel est soulagée, mais elle est loin de triompher quand elle salue hier soir à Bruxelles devant la presse la candidature de sa ministre de la Défense Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne. Elle est même un peu hésitante comme si elle avait besoin de justifier ce choix-surprise. La chancelière allemande aurait pourtant de quoi jubiler. Si le Parlement européen vote pour sa candidate à la mi-juillet, Angela Merkel aura réglé plusieurs problèmes à la fois. Premièrement : elle aura débloqué la situation et permis à l’UE de se mettre d’accord sur une candidate après des semaines d’âpres tractations et d’éclatants désaccords. Deuxièmement : elle aura obtenu que, pour la première fois depuis Walter Hallstein qui, de 1958 à 1967, fut le premier président de la Commission européenne, ce poste capital soit attribué à l’Allemagne. Troisièmement : elle aura placé à ce poste une de ses fidèles. Ursula von der Leyen, chrétienne-démocrate elle aussi, est la seule ministre à avoir fait partie de tous les gouvernements Merkel depuis 2005. Elle fut tour à tour ministre de la Famille, du Travail et de la Défense. Autant de raisons pour la chancelière de se montrer radieuse devant les caméras. Mais elle sait que ce coup de théâtre franco-allemand de dernière minute va déclencher les foudres dans son pays. Et elle n’a pas tort.
La tempête ne s’est pas fait attendre. Dès que le nom d’Ursula von der Leyen est dévoilé, les critiques se mettent à pleuvoir. « On ne peut pas présenter certains candidats aux élections et tout de suite après en tirer d’autres de son chapeau », résume un député du petit parti libéral. De tous les côtés, on dénonce cette « politique de l’arrière chambre », cette « partie de poker indigne de la démocratie » et ce coup porté à la « légitimité démocratique des institutions européennes ».
Du côté de la CSU bavaroise, qui comptait sur son candidat Markus Weber, la colère est grande. Angela Merkel n’a-t-elle pas sacrifié Manfred Weber pour faire la paix avec Emmanuel Macron qui n’en voulait pas ? Le ministre président de la Bavière Markus Söder parle d’une « défaite de la démocratie ».
C’est du côté des sociaux-démocrates que l’indignation est à son comble. Le partenaire de la CDU au sein de la grande coalition se sent trahi. C’est Sigmar Gabriel, ancien chef du SPD et ex-ministre des Affaires étrangères, qui a les mots les plus forts. Pour lui, la nomination de von der Leyen est « un exemple sans précédent de tricherie politique » et une raison suffisante pour mettre fin à la grande coalition. Les trois chefs par intérim du SPD dénoncent aussi d’une seule voix cette candidature. Qu’une femme politique qui n’a jamais été élue soit proposée à ce poste « rend absurde le processus de démocratisation de l’Union européenne ». Quant à Katarina Barley, tête de liste des sociaux-démocrates aux européennes, elle a immédiatement annoncé qu’elle ne voterait pas pour Ursula von der Leyen et que de nombreux parlementaires européens de son groupe agiraient de même. Katarina Barley, ancienne ministre de la Justice, siégea aux côtés d’Ursula von der Leyen à la table du conseil des ministres. Il ne s’agit pas d’une aversion personnelle, mais d’une question de principe sur le processus d’élection du président de la Commission européenne, a-t-elle pris soin de préciser. Il est certain que cette candidature-surprise arrangée dans les coulisses par Angela Merkel et Emmanuel Macron ne va pas contribuer à détendre l’atmosphère déjà tendue au sein de la grande coalition au pouvoir à Berlin. Si on ignore encore quels seront les dégâts collatéraux, le navire s’est remis à tanguer.
Source :Le Point,
03-07-2019
https://www.les-crises.fr/la-nomination-dursula-von-der-leyen-suscite-la-colere-a-berlin/