La France est-elle une République bananière ?

par Jean Claude Boual
1 novembre 2021

Deux affaires d’actualité conduisent à nous interroger sur le caractère d’État de droit et démocratique de notre pays, sur les privilèges que s’attribuent les gouvernants, le « sommet de l’État ». Ces deux affaires, le projet de fusion TF1/M6 et la convocation par le juge, sous contrainte si nécessaire de Nicolas Sarkozy comme témoin dans le procès des « sondages de l’Élysée » mettent en question la fonction de Président de la République.

Le projet de fusion TF1/M6

Le groupe allemand Bertelsmann souhaite se délester des actions qu’il possède dans l’entreprise de télévision M6. Il a choisi TF1 pour les lui racheter. Cela permettrait à TF1 de contrôler M6 et le placerait en position dominante en France pour la vente des espaces publicitaires télévisuels et de peser sur l’achat des programmes au détriment des réalisateurs. TF1 contrôlerait alors autour de 70 % du marché de la publicité télévisuelle dans le pays.

L’« Élysée » s’est déclarée publiquement favorable à cette fusion. Deux organismes « indépendants » doivent examiner cette opération, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour avis et l’Autorité de la concurrence pour la décision.

Le président du CSA a déclaré publiquement avant même l’examen du dossier par l’instance et en violation de la Charte de déontologie du CSA que cette fusion était « naturelle » et « compréhensible ». L’Autorité de la concurrence se trouve devant une situation plus abracadabrantesque, confrontée à des pressions de l’« Élysée » pour prendre… la bonne décision.

Explication : la présidente de cette instance indépendante a montré une réelle capacité à résister aux pressions et au lobbying et fait preuve d’un réel courage dans ses fonctions ; elle était appréciée pour cela. Elle a infligé par exemple de fortes amendes à Google et Apple. Son mandat a expiré le 13 octobre et l’« Élysée » a fait savoir 15 jours avant cette date qu’il ne lui « renouvellerait pas sa confiance ». Elle a donc quitté ses fonctions le 13 octobre. L’intérim est assuré par le vice-président qui sera chargé de conduire l’examen du dossier de fusion.

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Par sa décision, l’« Élysée » envoie un signal fort à l’Autorité de la concurrence sur la décision qu’il souhaite lui voir prendre. Nous sommes une fois de plus en présence d’un fonctionnement qui bafoue l’esprit des règles normales d’un État de droit, ne respecte pas l’indépendance des organismes créés pour éviter les décisions arbitraires tout en donnant le change au plan juridique puisque formellement l’« Élysée » a le droit de ne pas reconduire la présidente de l’Autorité de la concurrence.

La convocation comme témoin de Nicolas Sarkozy, ex Président de la République

Ce cas est différent du précédent mais porte aussi sur la fonction de Président de la République et pose des questions constitutionnelles, démocratiques et politiques encore plus… abracadabrantesques.

Suite à une révision constitutionnelle d’opportunité du 23 février 2007 qui introduit dans la Constitution que (article 67) : « le président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité » et ne « peut durant son mandat et devant aucune juridiction administrative française être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu ». Cette immunité est perpétuelle, un ex-Président de la République ne peut être mis en cause pour ses actes liés à sa fonction de président selon l’interprétation de l’article 67 explicité par le rapport qui a précédé l’adoption du texte.

Pourtant un juge a convoqué, sous contrainte (par la force publique si nécessaire), Nicolas Sarkozy à venir témoigner au procès dit des « sondages de l’Élysée ». Les constitutionnalistes ne sont pas unanimes sur la constitutionnalité de cette convocation, certains ne la juge pas contraire à la Constitution, d’autres si. Là n’est pas la question qui nous intéresse ici. Mais nous soutenons que cette situation pose trois questions politiques majeures.

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La justification de cette disposition introduite tardivement dans la Constitution (après 49 ans de fonctionnement de celle-ci), disposition qui n’avait existé dans aucune Constitution jusque là, est qu’il faut protéger la fonction (le mandat) de la Présidence de la République afin de permettre à ceux qui l’exercent de le faire en toute indépendance ! L’irresponsabilité pour les actes accomplis en qualité de président a pour but d’éviter que les décisions (les actes) prises ne soient sous la menace constante de poursuites ultérieures. Précisons que la République a fonctionné sans cette clause qui a été prise suite à une série de scandales politico-financiers pour assurer l’impunité des plus hautes instances de la République (le Président sortant) et qu’elle n’existe, à notre connaissance, nulle part ailleurs dans le monde.

Première question : cette impunité rompt l’égalité des citoyens devant la loi. C’est une entorse fondamentale aux principes républicains. À partir du moment ou un individu, quelle que soit sa fonction échappe à la loi générale, il n’y a plus de loi, il n’y a plus égalité devant la loi. À partir du moment où existe une exception à ce principe peut-on considérer qu’il existe encore ?

Deuxièmement : la justification de cette rupture du point de vue de la Constitution est qu’il s’agit d’une règle d’exception attribuée à une institution, la Présidence de la République. Autrement dit, il s’agit de la sacralisation d’une fonction au sein de la République. Mais en sacralisant la fonction on fait appel en fait à la théorie des « deux corps du Roi », le corps de la fonction royale de droit divin et le corps mortel de l’homme. Or la fonction de Président de la République n’a rien de divin et n’a aucune origine divine. En sacralisant la fonction de président de la république, on sacralise aussi de fait la République, il s’agit d’un immense bond en arrière vers l’Ancien régime. L’article 67, dans ses fondements comme dans son esprit est donc contradictoire avec l’article premier de la Constitution qui dit que : «  La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale… ». Il est contraire à la laïcité.

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Troisième question, préoccupante quant aux dispositions que sont capables de voter les élus de la République. Comment les députés et les sénateurs réunis en Congrès ont-ils pu voter majoritairement une telle réforme constitutionnelle manifestement contraire à la Constitution et aux principes fondateurs de la République sur deux des plus fondamentaux d’entre eux, l’égalité devant la loi et la laïcité ? Comment ont-ils pu déclarer irresponsable le président de la République ; s’il est irresponsable quelle crédibilité accorder à ses décisions ? Jusqu’à cette date seuls les fous étaient juridiquement déclares irresponsable et encore, après expertise !

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