Nov. 28, 2024
Dans son édition de novembre 2024 (voir imprimé ci-dessous), Initiative Communiste interviewe Salah, militant exclu de la CGT pour avoir exprimé ses positions divergentes. Il dénonce les compromissions de la CGT face aux politiques impérialistes et aux injustices, notamment en Palestine, et alerte sur les dérives autoritaires internes, mettant en lumière un débat crucial sur la liberté d’expression et la solidarité internationale au sein du syndicalisme.
Initiative communiste est la publication mensuelle du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF), organisation fondée en janvier 2004 pour rassembler les communistes souhaitant maintenir une ligne « franchement communiste », en opposition à la mutation du Parti Communiste Français (PCF) vers des positions réformistes. Le PRCF revendique une orientation marxiste-léniniste, prône une rupture révolutionnaire avec le capitalisme et dénonce l’impérialisme et les politiques de l’OTAN et de l’UE.
La direction de la CGT refuse la lutte contre Israël
Au printemps dernier, Salah L., alias le blogueur Alain Marshal (anagramme de son nom) était exclu de la CGT Educ’action du Puy-de-Dôme pour avoir critiqué dans une lettre ouverte la position confédérale après l’attaque du 7 octobre lancée par le Hamas. Cette exclusion a notamment été dénoncée par l’Union juive française pour la paix [rectificatif : plusieurs représentants de l’UJFP ont signé la pétition pour la réintégration de Salah, mais ils l’ont fait à titre personnel]. Si le PRCF ne partage pas les positions de Salah concernant les écoles confessionnelles et la laïcité, et rappelle que Netanyahou a cyniquement favorisé les mouvements islamistes et anticommunistes comme le Hamas pour affaiblir la résistance marxiste palestinienne, il condamne aussi le renvoi dos à dos des colonisateurs sionistes et des colonisés palestiniens.
Initiative Communiste : Peux-tu rappeler pourquoi tu as été exclu de la CGT, et en vertu de quel règlement ?
Salah : Officiellement, j’ai été exclu de la CGT Educ’action du Puy-de-Dôme pour « atteinte aux intérêts matériels et moraux du syndicat » (article 29 de nos Statuts). J’avais moi-même invoqué l’article 29 du fait de discriminations et de pressions indignes pour me forcer à démissionner, en vain. C’est ma dénonciation interne de ce déni de démocratie le 11 novembre 2023 qui a été qualifiée d’atteinte aux intérêts du syndicat, justifiant mon éviction du Bureau et la suspension de mes droits dès le 17 novembre (droit à la formation, à l’information…), puis ma suspension arbitraire de la Commission Exécutive le 13 février 2024, avant mon exclusion le 12 avril. Si, dans le monde du travail, on suspendait puis licenciait un salarié parce qu’il a essayé de faire valoir ses droits, ça ferait scandale. Mais la CGT semble s’en accommoder.
En réalité, je n’étais qu’un élu sur le papier. J’ai adhéré à la CGT Educ’ 63 début mai 2023, j’y ai été élu en Congrès début juin, mais ensuite, on ne m’a pas laissé m’y impliquer. En cause, mes convictions « minoritaires » sur les écoles confessionnelles (je défends leur droit d’exister et m’oppose à la vision laïcarde qui vise à brimer les croyances), la guerre en Ukraine (je dénonce l’atlantisme de l’UE et de la CGT), la Fédération Syndicale Mondiale (je soutiens le retour de la CGT en son sein) ou les questions sociétales (IVG, LGBT…) que je juge hors champ syndical. Ma mise à l’écart a été motivée par un prétendu « conflit de valeurs » : le débat et le respect du pluralisme se sont effacés face aux torts allégués que je causais au syndicat en « reniant [ses] valeurs fondamentales » et en « revendiquant [m]on droit à défendre d’autres valeurs » en interne, pour reprendre les mots du Bureau.
Lorsque, après le 7 octobre, j’ai dénoncé les positions de la Confédération, et annoncé le 4 novembre ma volonté d’écrire une lettre interne lui demandant un soutien authentique à la cause palestinienne (devenue une lettre ouverte signée par 7 sections CGT et des centaines de responsables, membres et sympathisants du syndicat), le Bureau a décidé de m’exclure de la CGT, considérant que mon action discréditait le syndicat et lui faisait perdre des adhérents. L’expression de ces positions (qui sont celles des partis de gauche et des syndicats arabes, rejetant toute équivalence entre l’occupant et l’occupé et affirmant le droit à l’autodétermination et à la lutte armée d’un peuple colonisé) a été qualifiée par le Bureau de « point saillant » et de grief « le plus grave » justifiant mon éviction.
Initiative communiste : Comment expliques-tu la position de la direction confédérale sur Israël et la Palestine ?
Salah : Après le 7 octobre, la Conf’ a validé la propagande israélienne, largement démentie depuis, et condamné en bloc la résistance palestinienne, souvent réduite au Hamas, alors qu’elle comporte plus de 10 factions (dont 2 marxistes-léninistes) qui coopèrent étroitement. En prétendant adopter une position d’équilibre qui renvoyait dos à dos une puissance régionale occupante et un peuple opprimé et assiégé, et oubliait 75 ans de massacres et de spoliation, la CGT n’a pas été à la hauteur, et s’est réfugiée dans l’autosatisfaction : il ne s’agit plus de défendre des positions de principe, mais de subsister en tant qu’organisation (la CGT avait pointé du doigt l’éclatement de la NUPES sur cette question pour se féliciter), ce qui implique une porosité aux discours dominants.
Face au premier génocide de l’histoire hautement revendiqué par ses auteurs et diffusé en direct, la réaction de la CGT est dérisoire. Une puissante organisation progressiste et internationaliste devrait être à l’avant-garde de la lutte pour les droits des Palestiniens, mais la CGT est en-deçà du droit international, qui consacre le droit d’un peuple colonisé à se libérer par la force, et à la traîne de l’indignation populaire mondiale face à la guerre d’extermination à Gaza. Au-delà des manifestations sporadiques et des communiqués timorés, aucune action concrète n’a été menée, que ce soit contre la livraison d’armes et de matériel à Israël, pour le soutien aux actions de boycott, etc. La CGT n’a même pas remis en cause ses relations avec la Histadrout, pilier du colonialisme sioniste qui soutient les massacres à Gaza. Si la pression politique, médiatique et judiciaire sans précédent suite au 7 octobre peut expliquer cette lâcheté, l’ignorance et le désintérêt pour le Moyen-Orient amènent la direction de la CGT à se contenter de truismes dépassés sur une solution à deux Etats, devenue impossible dans les faits [1]. On retrouve cette attitude sur les conflits ukrainien, syrien, yéménite, libyen, etc.
Enfin, l’héritage colonial et anticlérical en amène beaucoup à considérer que le peuple palestinien doit être émancipé « à l’insu de son plein gré », en particulier de son identité islamique pourtant fondamentale, ce que reconnaissent les organisations marxistes palestiniennes. Souvent, le soutien au peuple palestinien est conditionné à la conformité de son projet de société avec le modèle occidental, ce qui correspond à la définition impérialiste de la « démocratie » qui a justifié le châtiment collectif contre Gaza, mise sous blocus pour avoir mal voté en élisant le Hamas. C’est d’autant plus inconséquent que côté israélien, les fanatiques religieux ont une emprise énorme sur le pouvoir et l’opinion publique, et qu’Israël est fondamentalement un projet théocratique — sans parler du rôle des néo-évangélistes américains dans l’engagement de leur pays en faveur du génocide. Mais le mythe d’Israël bastion de ces fameuses « valeurs » occidentales reste tenace.
Initiative communiste : Où en est la bataille pour te soutenir aujourd’hui ?
Salah : L’UNSEN-CGT (Union Nationale des Syndicats de l’Education Nationale) a confirmé mon exclusion à l’issue d’une audience d’appel le 21 juin, où toute interaction directe a été interdite pour empêcher de faire la lumière sur les véritables causes de mon exclusion. J’ai formulé un recours auprès de la Confédération, et j’attends leur réponse. Une lettre de démission de camarades qui ont quitté la CGT Educ’ 75 par solidarité a été rendue publique. La pétition demandant ma réintégration a dépassé les 11 000 signatures, et nous continuons à sensibiliser le plus grand nombre à cette répression intra-syndicale.
Mon exclusion bafoue tout ce que représente historiquement la CGT, et je ne cesserai d’exiger ma réhabilitation, car j’ai été sali par une accusation collective infamante visant à me faire passer pour un extrémiste religieux, dont mon employeur est vraisemblablement informé. Si je ne suis pas lavé de cette calomnie, portée dans un contexte de régression des droits et de racisme et d’islamophobie systémiques, elle me menacera tout au long de ma carrière, avec mon exclusion de la CGT comme autre élément à charge. Les soutiens de la cause palestinienne sont abusivement qualifiés d’apologistes du terrorisme, surtout s’ils sont arabo-musulmans, mais il n’est pas acceptable que la CGT tolère de tels amalgames en interne.
L’histoire montre que cette répression peut facilement s’étendre à d’autres « mal-pensants » aux opinions, idéologies ou origines diverses. Les motifs de mécontentement sont nombreux dans notre société, et les divisions au sein de la CGT, mises en lumière lors du dernier Congrès, sont profondes. Une purge peut commencer avec certains, mais on ne sait jamais où elle s’arrêtera : tous les syndicalistes, qu’ils partagent ou non mes vues, devraient en être conscients. Contrairement aux partis politiques, un syndicat est là pour défendre les travailleurs au-delà de leurs divergences. La CGT a pour mission historique la « double besogne » : défendre les intérêts de chaque travailleur et préparer le renversement du capitalisme. En tant que militant, c’est exactement ce que j’ai fait, en soutenant toutes les victimes d’injustices sans distinction et en défendant l’internationalisme de masse et de classe, d’où mon soutien à la FSM.
NOTES
[1] Sur cette question, un communiqué du PRCF publié le 12 mai 2021 comprenait notamment ce paragraphe : « Le PRCF réaffirme pleinement sa volonté de voir naître réellement un Etat palestinien à côté de l’Etat israélien, tout en assurant de son appui les forces progressistes israéliennes œuvrant pour la paix, victimes elles aussi de l’extrême droite fascisante en Israël ; si l’État palestinien ne pouvait voir le jour, la solution résiderait alors dans la proclamation d’un seul État laïc et progressiste, incluant toutes les populations – Juifs, Arabes et autres –, afin d’en finir avec l’islamisme et le sionisme colonialiste et raciste. »
Si ce n’est déjà fait, je vous invite à signer et à faire largement circuler cette pétition sur change.org, qui appelle à ma réintégration à la CGT, d’où j’ai été exclu le 12 avril 2024 pour avoir initié une pétition dénonçant les positions ambigües de la Confédération suite au 7 octobre et demandant un soutien authentique à la cause palestinienne (que vous pouvez également lire et signer ici). L’UNSEN (Union Nationale des Syndicats de l’Education Nationale de la CGT) a confirmé mon exclusion après une audience d’appel tenue le 21 juin, sur laquelle je reviendrai prochainement. Un pourvoi auprès de la Confédération est en cours. La totalité des pièces du dossier, tant les miennes que celles de la partie adverse, est accessible sur ce lien.
En particulier, voici le message, adressé sur le groupe Whatsapp des membres de la CGT Educ’action du Puy-de-Dôme le 4 novembre 2023, qui a déclenché le processus d’éviction (lire la totalité de l’échange en question sur ce lien) :
« Je viens de lire le dossier Gaza de la revue nationale de la CGT, et je suis vraiment consterné.
L’histoire se souviendra de tous ces ‘amis’ de la Palestine qui rivalisent de zèle pour répandre la propagande de l’armée israélienne sur les massacres du Hamas qui ont tué des centaines de femmes et d’enfants, alors même que les données disponibles le réfutent, et lui servent de couverture dans son génocide bien réel, tout en répandant insidieusement le cliché raciste selon lequel les Palestiniens, comme tous les Arabes, sont juste des assassins et des violeurs. Après les couveuses du Koweït, les armes de destruction massive de Saddam et le viagra de Kaddhafi, il y en a encore pour tomber massivement dans le panneau.
Le 7 octobre n’était pas un massacre mais une opération militaire qui a anéanti l’équivalent d’un bataillon de la Brigade de Gaza voire davantage, comme le montrent les seuls chiffres existants publiés à ce jour (par le journal israélien Haaretz), qui indiquent bien qu’au moins la moitié des tués Israéliens étaient des soldats (dont de nombreuses femmes, qui servent obligatoirement dans l’armée, et moins de 20 enfants).
De courageux Israéliens dénoncent les mensonges de l’armée israélienne qui font un amalgame délibéré entre militaires, colons/miliciens surarmés et civils, et accusent Tsahal d’avoir délibérément sacrifié ses civils en masse plutôt que de les laisser tomber vivants entre les mains du Hamas (doctrine Hannibal, officielle et bien connue). En voici un exemple parmi tant d’autres.
Je compte écrire un courrier à la CGT nationale pour dénoncer leur position honteuse. »
En lisant tous les passages surlignés en vert de la retranscription d’une réunion de Bureau du 10 novembre, où on a essayé de me forcer à démissionner à 9 contre 1, on se rend compte du caractère central de mes positions sur la Palestine dans cette volonté d’exclusion. Pour rappel, Sophie Binet elle-même avait colporté l’accusation de « crimes sexuels » du Hamas, largement réfutée, notamment par cet article de Norman Finkelstein.
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