Par Laury-Anne Cholez
16 Octobre 2019
Aéroports, fermes-usines, barrages, entrepôts, centres commerciaux… Les grands projets inutiles et dévastateurs prolifèrent en France. Face à eux, des collectifs citoyens se mobilisent pour défendre leur environnement. Reporterre publie une carte de toutes ces luttes locales, réalisée avec Le Mouvement et Partager c’est sympa. Elle servira d’outil pour celles et ceux qui veulent empêcher la destruction du monde.
Lancer une enquête pour recenser tous les « grands projets inutiles et imposés » (GPII) en France, c’est comme ouvrir un puits sans fond. Au-delà des combats bien médiatisés, comme ceux de Notre-Dame-des-Landes ou d’EuropaCity, une myriade d’associations et de collectifs citoyens se battent contre des fermes-usines emprisonnant des milliers d’animaux, de nouvelles autoroutes balafrant nos paysages, des centres commerciaux bétonnant des terres agricoles ou des incinérateurs polluant l’atmosphère.
Comment avons-nous fait notre choix ? En nous fondant sur la définition des GPII adoptée lors du Forum social mondial de Tunis en 2013. Il est question de projets constituant un « désastre écologique, socio-économique et humain » qui n’intègrent pas « la participation effective de la population à la prise des décisions ». Les gouvernements et les administrations « agissent dans l’opacité », traitant avec mépris les arguments et propositions des citoyens. « On parle de fuite en avant vers le plus grand, plus vite, plus coûteux, plus centralisateur avec des études d’impact souvent fondées sur des hypothèses fausses », détaille la charte.
Une définition assez vaste pour un résultat qui l’est tout autant. Notre carte compte 127 luttes réparties en sept catégories : bétonnage, transport, énergie, industries, agriculture, déchets et commerces. Un décompte loin d’être exhaustif et que nous poursuivrons dans les prochaines semaines. Vous pouvez d’ailleurs nous donner un coup de main en remplissant ce formulaire.
Dans cet archipel des luttes, le profil des résistants dépasse amplement le cercle des convaincus. « Il ne s’agit pas seulement de gens qui contestent un projet parce qu’ils refusent qu’il se fasse à côté de chez eux. Ils dénoncent plus globalement le monde qui va avec », explique Anahita Grisoni, sociologue, urbaniste et coautrice du livre Résister aux grands projets inutiles et imposés (éditions Textuel, 2018). Ingénieurs, retraités, étudiants, femmes au foyer, agriculteurs : nombre de catégories socioprofessionnelles sont représentées, à l’instar de Jean-Claude, un chasseur « pas vraiment écolo », membre d’un collectif de lutte contre un poulailler industriel en Vendée. « Il faut faire bouger les mentalités. Il faut dire stop à la maltraitance animale et à la malbouffe. » Certains n’étaient pas experts en agriculture ou en pollution chimique avant de s’engager. « Je n’ai que le bac, mais j’ai appris sur le tas, pour faire avancer les choses », explique Cathy Soubles, membre de la Sepanso (Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest), qui alerte sur la pollution des sites Seveso de la vallée de Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques.
« Ce n’est qu’une histoire d’argent, et c’est bien pour cela qu’on a du mal à les arrêter »
Bien souvent, les collectifs se créent en réaction à un déni de démocratie. « On a pris conscience de ce qui se passait chez nous dix jours avant la fin de la consultation publique », dit Michèle Leray, en lutte contre l’installation d’un entrepôt Amazon à Loroux-Bottereau, à côté de Nantes. « Nous ne sommes pas militants. Bien sûr, on a une fibre écolo car on a conscience que la Terre va mal. Ici, on a connu les alentours avec plein de terres cultivées. » D’autres fois, ce sont des associations de petits commerçants qui se soulèvent contre l’implantation d’un centre commercial, comme à Pézenas, dans l’Hérault. « Ça fait huit ans qu’on se bat. On est allés au tribunal administratif et on a eu gain de cause, mais le maire a continué avec un plan local d’urbanisme plus petit. Ce n’est qu’une histoire d’argent, et c’est bien pour cela qu’on a du mal à les arrêter », dit Georges Lopez, l’un des commerçants de l’association Bien vivre à Pézenas.
L’un des points communs de tous ces projets : le bétonnage des terres. Un sujet crucial lorsqu’on sait qu’en France, l’équivalent d’un département disparaît sous le béton tous les dix ans. « Pourquoi une telle artificialisation alors qu’ils pourraient très bien s’installer sur des friches industrielles ou densifier les zones commerciales actuelles ? » regrette le collectif Au pré d’chez vous.
Face à cette contestation, l’argument des élus demeure le même : l’emploi. Ils assurent que ces usines, ces entrepôts et ces centres commerciaux vont dynamiser l’économie de régions souvent sinistrées. Pourtant, ces promesses s’avèrent le plus souvent très surestimées, comme le prouve une enquête sur EuropaCity, un projet de complexe de loisirs au nord de Paris. Auchan, son promoteur, assure qu’il va créer 11.800 emplois directs. Une estimation en trompe l’œil.
D’autant que, pour stimuler l’économie dans les territoires, il n’est pas forcément nécessaire de construire des infrastructures polluantes. Selon un rapport publié en 2017 par treize syndicats, associations sociales et environnementales, la transition écologique permettrait de créer un million d’emplois. « Pour éviter une vague de chômeurs écologiques, il faut dès maintenant préparer et organiser les transformations et reconversions qui sont complexes pour éviter des gestions de crises. Un.e salarié.e d’une centrale à charbon qui perd son emploi dans le nord de la France ne pourra pas travailler le lendemain en tant qu’installateur de panneaux photovoltaïques à Marseille », peut-on lire dans cette étude. Des emplois locaux plus qualifiés pourront répondre aux enjeux de la crise climatique et sociale.
« Avec la campagne SuperLocal, on va changer d’interlocuteur, et s’attaquer directement aux rouages du système qui broie l’humain et la nature
Selon un rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), 50 à 70 % des solutions pour le climat se situent à l’échelle locale. C’est pourquoi cette carte des luttes, réalisée en partenariat avec l’ONG de mobilisation citoyenne Le Mouvement et l’équipe de vidéastes de Partager c’est sympa, va être utile. Elle s’inscrit dans le cadre du projet SuperLocal, dont l’idée est simple : soutenir les luttes locales pour gagner un maximum de batailles contre des projets et sites polluants partout en France. « Après plus d’un an de mobilisation intense pour le climat, on est très nombreux à faire le constat que l’échelon national est bloqué, que Macron nous enfume et continuera de le faire », explique Victor Vauquois, de Partager c’est sympa.
La campagne SuperLocal veut aussi peser sur les municipales de mars 2020 [1]. « Le temps des élections est une occasion unique parce que les maires sortants et les candidats sont obligés d’être à l’écoute de la population. Nous souhaitons les forcer à prendre position sur ces sites polluants », poursuit Elliot Lepers, du Mouvement.
La campagne vise à recruter de nouvelles personnes pour rejoindre voire créer des luttes. Le Mouvement et Partager c’est sympa comptent s’appuyer sur des youtubeurs et influenceurs pour raconter cette effervescence partout sur les territoires. « L’idée est aussi de mobiliser celles et ceux qui ont marché pour le climat ou signé l’Affaire du siècle et veulent désormais aller plus loin en leur proposant une stratégie avec un impact concret et direct chez eux. »
SuperLocal accompagnera ainsi les collectifs locaux grâce à un système d’entraide entre luttes locales mais aussi de soutien et de formation à la mobilisation, la communication, la stratégie, la levée de fonds ou encore les aspects juridiques. Ils vont travailler en partenariat avec Notre affaire à tous, une association utilisant le droit comme levier pour la lutte contre le changement climatique. Elle va publier un guide détaillant les recours possibles contre les GPII et s’assurer du suivi des collectifs qui ont besoin de soutien. Le projet SuperLocal enthousiasme Chloé Gerbier, de Notre affaire à tous : « Avec cette campagne, on va changer d’interlocuteur, et s’attaquer directement aux rouages du système qui broie l’humain et la nature, aux fermes-usines, aux aéroports, aux incinérateurs, aux supermarchés. On n’a pas besoin de ces sites, il est temps de les arrêter, partout. »
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