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Jeremy Corbyn, le dirigeant du Labour, est le surprenant gagnant des élections législatives britanniques. Avec son résultat, il prive le Parti conservateur de sa majorité absolue. Les médias, l’establishment et même son propre parti ont pourtant tout fait pour saboter Corbyn. Mais son discours de gauche authentique a fait mouche. Tout comme Mélenchon en France et Sanders aux États-Unis, Corbyn a avant tout rallié les voix des jeunes et des travailleurs. 63% des jeunes ont voté Labour. Ce succès peut désormais donner l’impulsion à un large mouvement social.
La Première ministre conservatrice britannique Theresa May a joué, et elle a perdu. En avril, elle annonçait des élections anticipées. Elle comptait en effet remporter un mandat fort pour les négociations sur le Brexit avec l’Union européenne. La Première ministre sortante espérait obtenir un maximum d’avantages pour le secteur financier et les grandes entreprises britanniques.
En revanche, pour le Britannique ordinaire, Theresa May n’offrait rien. Au contraire. Les conservateurs ont donné des masses d’argent pour les armes, mais ils ont privatisé les soins de santé. Les grosses fortunes et les multinationales ont reçu de plus en plus d’avantages fiscaux, alors que de très nombreux Britanniques arrivent à peine à s’en sortir. Mais, pour Theresa May, cela n’était pas un problème. Les conservateurs allaient remporter une victoire facile, elle en était sûre. Le dirigeant de gauche du Labour Corbyn avait, lui, été jugé « inéligible » par tous les médias de l’establishment. Des propositions de gauche ? Ridicule ! Dans les sondages, le parti social-démocrate Labour avait plus de 20% de retard sur les Tories (conservateurs).
May savait donc ce qu’elle faisait. Du moins le pensait-elle. Car Corbyn a mené une campagne extrêmement solide, et vraiment à gauche. Il a rompu avec la ligne néolibérale de son propre parti. Momentum, le mouvement pro-Corbyn, a impliqué les gens et a parlé des choses qui préoccupent le Britannique ordinaire. Tony Blair et sa « troisième voie » ont été passés par-dessus bord. La Grande-Bretagne devait fonctionner pour la majorité, pas une petite élite : for the many, not the few (pour le plus grand nombre, pas pour quelques-uns), résumait le slogan. Le démantèlement des droits sociaux devait être arrêté ; le marché n’était plus le dieu à adorer ; le salaire horaire minimum augmenterait de trois euros ; les contrats à zéro-heure seraient interdits ; et on investirait massivement dans les équipement sociaux et les services publics. Corbyn a également promis de construire 100 000 logements sociaux, de diminuer le nombre d’élèves par classe dans les écoles et de faire baisser le montant des frais d’inscription dans les universités. En Grande-Bretagne, à peu près tout a été privatisé et, par exemple, la facture d’eau a augmenté de 40% depuis la privatisation de ce secteur. C’est inacceptable, a dit Corbyn. Les chemins de fer, la poste, la distribution d’eau et d’énergie doivent redevenir publics. Les soins de santé nationaux recevraient davantage de moyens et on arrêterait de les privatiser encore plus. Par ailleurs, au plan écologique, Corbyn a promis d’interdire le gaz de schiste, particulièrement polluant.
Comment payer tout cela ? Entre autres par un système fiscal plus équitable, où le 5% des revenus les plus hauts et les multinationales contribuent davantage.
Des jeunes enthousiastes contre l’establishment
Le discours totalement de gauche de Corbyn a changé la donne. En deux mois, Corbyn a ramené l’écart avec les conservateurs à quelque 2,5%. Dix mille personnes sont devenues membres du Labour. Ses meetings ont attiré les foules. Surtout des jeunes. Au lieu d’un Brexit dur et du nationalisme, les débats électoraux ont rapidement porté sur des thèmes sociaux, sur la démocratie. « Liar, Liar » (menteuse, menteuse), une chanson de Captain Ska qui dénonçait les mensonges de Theresa May, a été massivement téléchargée malgré un boycott des médias. Plus de 63% des jeunes ont opté pour Corbyn. Ils ne veulent plus des jobs précaires à vie, des privatisations et de la marchandisation sans fin. Les quartiers populaires qui avaient récemment voté pour l’UKIP d’extrême droite, pour le Brexit, ont aussi choisi le discours social radical de Corbyn. Le UKIP disparaît du Parlement britannique. Les très nombreux travailleurs qui, pendant des années, ont été trahis par la voie néolibérale du Labour sont revenus vers ce parti et son authentique programme social. La participation a également été importante : après avoir perdu tout espoir pendant des années, beaucoup de gens sont retournés voter.
Le résultat de Corbyn est un message clair à l’establishment. Celui-ci a mené contre Corbyn une campagne de haine sans précédent. Cela avait débuté lorsque Corbyn s’était porté candidat à la présidence du Labour. Le Premier ministre d’alors, le conservateur David Cameron, avait twitté que le Labour constituait une menace pour l’économie, la sécurité nationale et les familles. Des journaux ont même dépeint Corbyn comme un sympathisant des terroristes. Il serait un extrémiste marxiste, un antisémite, un danger pour la sécurité nationale. Ce n’est pas un hasard : en Grande-Bretagne, trois grandes entreprises contrôlent 71% de tous les journaux. Mais aussi la journaliste politique de la BBC, Laura Kuennsberg, a semblé avoir une aversion personnelle contre Corbyn.
L’appareil du parti Labour contre Corbyn
Le succès de la campagne est aussi une défaite pour les bonzes du parti Labour. En effet, ceux-ci font partie de l’establishment et ils ont en horreur le programme de gauche authentique de Corbyn. Le néolibéral du Labour Tony Blair avait même déclaré que ceux qui voteraient pour Corbyn à la présidence du Labour avaient besoin d’une transplantation de cerveau. La plupart des parlementaires Labour ne voulaient pas de Corbyn et, depuis que celui-ci a quand même accédé à la présidence du parti, ils ont organisé plusieurs tentatives de putsch.
Les gros bonnets du Labour ont aussi contraint Corbyn à des compromis. C’est pourquoi le programme électoral du Labour comportait aussi un certain nombre de propositions de droite. Le Labour a ainsi promis de soutenir le renouvellement des armes nucléaires britanniques, bien que Corbyn y soit lui-même opposé. Le renouvellement de l’arsenal nucléaire et des sous-marins britanniques représente en effet un cadeau de plus de 40 milliards de livres à l’industrie de l’armement. C’est clairement inconciliable avec les idées de Corbyn, qui est un activiste du mouvement pacifiste.
Avec son programme anti-guerre, anti-austérité et en faveur d’investissements sociaux, Corbyn est effectivement à l’exact opposé de l’ancien Premier ministre Labour Tony Blair. Toutefois, avec ce programme, Corbyn fournit au Labour son meilleur résultat depuis 2005. Il fait bien mieux que ses prédécesseurs Tony Blair, Gordon Brown et Ed Miliband. Ce qui n’a pas empêché, même après ce résultat électoral spectaculaire, que des cadres du parti se fendent une nouvelle fois de déclarations pour affirmer que Corbyn ne ferait pas un bon Premier ministre. La base contre l’appareil du parti au sein de la social-démocratie Britannique.
Continuer à construire la résistance
Theresa May a perdu son pari. C’est la troisième crise électorale d’affilée pour l’establishment britannique. En 2015, les conservateurs ont gagné uniquement en promettant un référendum sur l’Union européenne, alors que l’extrême droite était en pleine ascension. L’an dernier, l’establishment britannique a perdu ce référendum sur le Brexit. Aujourd’hui, les conservateurs perdent leur majorité. Mais l’establishment britannique reste totalement sourd au message de l’électeur. Avec les unionistes d’Irlande du Nord, Theresa May veut former un gouvernement qui va tout à fait à l’encontre de l’espoir des jeunes et de la classe des travailleurs dans toute la Grande-Bretagne. Ce gouvernement sera détesté de Belfast à Londres.
Le défi pour le mouvement que Corbyn a contribué à construire est donc très grand. Ce qui est d’ores et déjà certain, c’est que la campagne de gauche de Corbyn a secoué la vie politique britannique. Cette campagne a mobilisé les jeunes en offrant une alternative à gauche. Elle a rejeté le discours libéral dur que tiennent depuis des années tant les conservateurs que les sociaux-démocrates. D’après le journaliste Michael Crick, on n’a plus vu un mouvement politique attirer tant de gens depuis Winston Churchill. Tout comme le mouvement autour de Bernie Sanders aux États-Unis et celui de Jean-Luc Mélenchon en France, le succès de Jeremy Corbyn montre un courant en plein essor. Un courant de jeunes qui en ont assez de l’establishment politique et de l’austérité sans fin. Des jeunes qui n’acceptent plus le fait qu’ils vivront moins bien que leurs parents, alors qu’il n’y a jamais eu autant de richesse. Un courant qui veut de l’espoir. L’espoir d’une autre société, d’un vrai changement. Cet espoir peut maintenant être l’impulsion d’un large mouvement social qui veut en finir avec le libéralisme, conservateur ou social-démocrate.
Article publié dans le mensuel Solidaire de juillet 2017. Abonnement.