Par Andrée Hemet, membre du Conseil national du Parti de la démondialisation
Le 9 avril 2019
Les Gilets Jaunes ont été accusés d’être des homophobes, des racistes, des beaufs, des casseurs, des fascistes, des extrémistes, des antisémites ; la prochaine épithète risque d’être : « des fous ». Ce n’est pas pure spéculation. Car savez-vous que de nouveaux troubles sont inventés pour dissimuler que c’est le système qui est malade ? Une liste est régulièrement établie, classant les troubles mentaux, par les Etats-Unis, reprise par l’OMS, l’Union européenne et donc par les pays de l’Union. Les hôpitaux psychiatriques, les professionnels de la santé mentale sont tenus de l’utiliser. Nombre d’entre eux dénoncent la « normalisation » du « normal » et la tendance qui ne cesse de se développer à classifier des comportements sociaux parmi les maladies mentales nécessitant donc d’être « corrigés » par des traitements, notamment médicamenteux… Car pour ces imbibés au néolibéralisme, c’est toujours l’individu qui dysfonctionne, jamais le système idéologique et politique…
Les troubles mentaux ne sont plus définis de la même façon. « On veut classer le « burn out » dans les risques professionnels alors que c’est la société qui est malade » (Henri Vacquin). On fait porter à l’individu la responsabilité de problématiques construites politiquement. La société ne reconnaît pas les traumatismes sociaux et rend responsable la personne de ce qui lui arrive. Les réactions citoyennes : la discussion, la lutte, le recours aux syndicats ou aux avocats ne sont pas envisagées, mais seule la mise en place d’un traitement antidépresseur est proposée.
Sous l’influence des laboratoires pharmaceutiques, et à travers la formation des praticiens, la médicalisation de l’existence met les gens dans des cases : un trouble égale un médicament. La protocolisation de tous les actes par la CIM10 (classification issue des Etats-Unis) rassure les patients et les pouvoirs publics.
La CIM10 est un manuel de référence de l’OMS qu’utilisent les hôpitaux français et qui classe les troubles et les maladies. Par exemple au chapitre 1 page 34, il y a « B01- varicelle », au chapitre 21 page 847 on trouve « Z56-les difficultés liées à l’emploi et au chômage ». Ces classements ainsi que l’informatisation des dossiers vont permettre d’homogénéiser les patients, de produire des chiffres et des statistiques utilisables par les gouvernements pour diminuer le temps passé par le médecin auprès du malade et ainsi « maîtriser les dépenses de santé ».
Imposer les normes sociales dominantes
Il y a aujourd’hui une conception réductrice de la souffrance. Les troubles sont de plus en plus interprétés comme de l’inaptitude, de l’incapacité et non comme une protestation contre le manager, le chômage, etc. Les psychotropes sont la solution proposée à ceux qui sont incapables de faire face.
Dans le Livre Vert de l’Union Européenne (2005), il est indiqué « qu’avoir une population en bonne santé mentale va permettre de remplir les objectifs stratégiques de l’U.E. » En fait les populations doivent avoir « une vie réussie » pour que les investisseurs puissent compter sur une population plus performante et compétitive.
La définition actuelle de « la santé mentale » est : « s’adapter à une situation à laquelle on ne peut rien changer, avoir l’estime de soi, le sentiment de maîtrise de sa vie ». Les tenants du libéralisme nous présentent toute situation comme inchangeable et donc tout individu doit se conformer à cette situation.
L’usage politique du concept de santé mentale
« La normalisation est un instrument général, accepté parce que présenté comme scientifique, qui va permettre de dominer et d’assujettir des individus ; la psychiatrie comme instrument d’assujettissement général et de normalisation des individus. » (Michel Foucault 1975)
La psychiatrie a une fonction de soin et aussi une fonction d’ordre public. L’idéologie sécuritaire conduit à une psychiatrisation du monde social et parallèlement à une augmentation de l’intolérance à la « déviance ».
Il y a une explosion de diagnostics de troubles psychopathologiques pour les comportements de réaction à la situation sociale d’adolescents de milieu populaire. Le TDA (trouble du déficit de l’attention), trouble des conduites, troubles de l’opposition, etc, tous les comportements un peu oppositionnels des adolescents sont aujourd’hui psychiatrisés. De plus en plus d’adolescents sont mis en contact avec des psychologues et des psychiatres pour le moindre désintérêt scolaire.
En 2006, un projet de plan gouvernemental de prévention (N. Sarkozy) prônait une détection précoce des « troubles comportementaux censés annoncer un parcours vers la délinquance ». Un dépistage dès l’âge de 36 mois des signes suivants : « indocilité, agressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice bas de moralité. » Ces signes faisant partie du développement psychologique normal d’un enfant de 3 ans, ce projet stigmatisait comme pathologique toute manifestation d’opposition.
Les Gilets Jaunes subissent aussi cette intolérance du système à la révolte.
« Les européistes aimeraient que tous ceux qui ne pensent pas comme eux n’aient qu’une seule tête pour la trancher » (Michel Onfray).
Catégoriser comme « déviants » l’ensemble des citoyens qui manifestent le refus d’un système qui les étrangle permet de délégitimer leurs actions pour ensuite les éliminer de la scène sociale.
De plus en plus de gens sont enfermés en prison, pour ensuite être psychiatrisés. Il y a une pression sociale à ce que les délinquants soient punis et on note de plus en plus d’hospitalisations sans consentement.
La santé mentale est devenue un instrument supplémentaire de la rationalité néolibérale
La santé mentale a maintenant pour effet de discipliner les pratiques en mode productiviste dans toute la société. La psychiatrie gestionnaire est là pour détruire la psychiatrie et faire des économies en déplaçant les prises en charge « ailleurs » qu’en psychiatrie (médico-social, prison, etc.) parce qu’ailleurs c’est moins cher.
« Il y a cette volonté de créer un individu-marché qui soit flexible, capable de résilience et capable surtout d’être compétitif, performant à tous les moments quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve même si cette situation change. Et fondamentalement la santé mentale sert à ça. » (Patrick Coupechoux)
Pour déresponsabiliser ceux qui organisent la rentabilité maximale du travail induisant des troubles de mauvaise santé mentale (stress, dépression, etc.), le libéralisme met en place des dispositifs pour remettre les gens au travail le plus vite possible et ainsi faire des économies. Des grilles d’observation des salariés amènent les « managers » à proposer des « tickets-psy », à savoir 20 séances chez un psychiatre payées par l’entreprise. En cas de suicide du salarié, l’entreprise aura fait ce qu’elle devait et sa responsabilité ne pourra pas être engagée …
Le capital santé mentale est un capital comme un autre dans le projet néolibéral
Les enjeux idéologiques actuels imposent une vision selon laquelle chaque individu est voué à être entrepreneur de soi-même ; le malheur psychique est dû à soi, voire à son propre cerveau. On efface le rôle de l’injustice sociale dans les souffrances. Les sociétés découpent le normal et l’anormal, classent et nomment les comportements, dégradent le lien social. Il existe une inégalité sociale de santé : il y a une corrélation entre le revenu et l’état de santé, l’espérance de vie d’un homme de classe supérieure est de 13 ans de plus qu’un homme de milieu populaire.
Vouloir la justice sociale, la liberté, l’égalité, refuser la financiarisation, vouloir changer le système politique relèvera très bientôt d’une maladie mentale. L’individualisme voulu par le néolibéralisme ne sert qu’à isoler les citoyens pour qu’ils soient plus faciles à soumettre. Seule la fraternité et les projets collectifs pourront anéantir ces tentatives de mainmises sur les peuples.
Le roman de Georges Orwell : « 1984 », tout comme les épisodes de la série « Black Mirror », mettent en scène une société qui ne tient plus de la science-fiction mais se rapproche de jour en jour de la réalité.
Il est grand temps de réagir, avant qu’il ne soit trop tard. Les Gilets jaunes ont ouvert la voie à une résistance tenace à l’individualisation et à la souffrance qu’elle génère. En créant des lieux collectifs où se développent des relations de solidarité dans la lutte, ils refusent le piège mortel de la « déviance ». Ils lui opposent, concrètement, la force du collectif et la politisation de leur situation sociale et économique instituée par le néolibéralisme aux manettes. Ce n’est pas la moindre des vertus de leur mouvement.