Jean-Marie Chauvier , Bruxelles (chercheur, spécialaiste de la Russie, Bielorussie et Ukraine)
Il y aura 75 ans, ce 22 juin, que commença l’Opération Barbarossa, soit l’invasion hitlérienne de l’Union soviétique, la guerre d’extermination, de pillage et de colonisation qui allait coûter entre 24 et 29 millions (selon les récentes estimations) de vies humaines aux Russes, Ukrainiens, Biélorusses et autres Soviétiques qui assurèrent la plus lourde
charge de la résistance – finalement victorieuse- à l’Allemagne nazie et à ses alliés. On oublie parfois que cette agression fut menée, non par les seuls Allemands, mais par les armées, divisions SS et légions diverses de la plupart des pays européens, sous régimes fascistes, autoritaires de droite, ou occupés et plus ou moins collaborateurs. On néglige également le fait – explicite dans les principaux documents nazis – que le “projet européen” d’Hitler, la destruction de l’URSS et la colonisation (l’intégration économique) d’un vaste “Lebensraum” à l’Est constituait le projet majeur de cette guerre. Le Plan Est de Berlin prévoyait la déportation au delà de l’Oural de trente à cinquante millions de Slaves, dont bon nombre devaient mourir – les estimations tournaient autour de trente millions de morts. Au cours de la première année d’invasion, quelque deux millions de prisonniers de guerre soviétiques furent délibérément exterminés par la faim et la fusillade – un sujet généralement occulté chez nous – et 900.000 Juifs alors que se mettait en place la “solution finale”.
Mais l’approche de ce 75ème anniversaire inspire également le “réquisitoire” de l’URSS et de la Russie. Place au révisionnisme militant !
En pays baltes membres de l’Union Européenne et de l’OTAN, et en Ukraine depuis le renversement de pouvoir de février 2014, l’accent est mis sur “la barbarie bolchévique” à laquelle résistèrent les nationalismes locaux alliés de l’Allemagne. La mort de millions de prisonniers soviétiques est imputée à Staline “qui n’avait pas signé les conventions de Genève” protégeant les prisonniers. La guerre elle-même et ses hécatombes sont imputées “aux deux totalitarismes jumeaux” et certains historiens et journalistes (opposants russes, nationalistes ukrainiens) remettent en circulation la théorie allemande selon laquelle Hitler fut “obligé” d’attaquer l’URSS vu l’imminence d’une invasion soviétique de l’Europe. Le “révisionnisme” au goût du jour, y compris en Allemagne et en Europe centrale, tient à mettre en lumière les cruautés perpétrées par l’Armée Rouge et les résistances antifascistes. Dans ce nouvel “inventaire”, les travaux d’historiens souvent remarquables (notamment en Allemagne) ont peu de poids dans les opinions publiques, comparés aux romans et aux films de fiction, aux “révélations” médiatiques adaptées aux circonstances politiques et aux nouvelles présumées “attentes du public”. Qui disait que “le passé est imprévisible” ?
Bon anniversaire !