Par Ibrahim al-Amin, rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Akhbar
Source : Al-Akhbar, 27 septembre 2024
Traduction : lecridespeuples.substack.com
Ceux qui analysent la guerre actuelle se réfèrent souvent aux comportements passés des parties impliquées dans ce conflit. Par exemple, ils tentent de tracer des parallèles entre les événements de Gaza et la situation au Liban, que ce soit en termes d’agression israélienne ou de riposte de la Résistance. Toutefois, cette comparaison ne tient pas compte des différences majeures entre les deux contextes, bien que la mentalité de destruction totale de l’ennemi demeure inchangée.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Après près d’un an de conflit, Israël a jugé qu’il pouvait ouvrir un nouveau front avec le Liban, estimant que la guerre à Gaza n’exigeait plus l’intégralité de ses forces et de ses ressources militaires. Certains avancent même qu’Israël a simplement décidé de « déplacer le poids » du conflit vers le nord. Cependant, ceux qui tiennent ce raisonnement supposent à tort qu’Israël a passé ces derniers mois à élaborer un plan spécifique pour affronter le Hezbollah. Cette lecture des intentions israéliennes est tout à fait fausse, car ce qu’Israël met en œuvre aujourd’hui est en réalité un programme préparé depuis vingt ans, dont certains volets n’ont pas pu être appliqués lors de la guerre de 2006.
Il est largement admis qu’Israël aborde le Liban d’une manière radicalement différente de ses préparatifs pour Gaza. Les événements de Gaza n’ont jamais fait partie du plan initial d’Israël, et le Hamas a réussi à mener l’une des plus grandes opérations de tromperie sécuritaire, accompagnée d’un niveau de préparation exceptionnel pour l’opération du Déluge d’Al-Aqsa.
En ce qui concerne le Liban, Israël adopte une approche différente. Il ne s’agit pas seulement de s’en prendre aux capacités militaires et humaines de la Résistance, mais aussi de contrer son influence croissante dans toute la région, en particulier en Palestine. Israël sait qu’il combat en réalité pour l’ensemble de l’Occident et de ses alliés arabes, qui cherchent à éliminer le Hezbollah non seulement en tant que force militaire, mais aussi en tant qu’idée. Ces alliés ont depuis longtemps des comptes à régler avec le Hezbollah et ne voient personne d’autre qu’Israël capable de l’éliminer. Israël n’a aucun problème à accomplir cette tâche, car elle sert aussi ses propres objectifs, en plus de la récompense substantielle qu’il espère recevoir de la part de tous les ennemis du Hezbollah en cas de succès.
Laissons de côté, pour l’instant, les questions nécessitant l’expertise de spécialistes, telles que les préparatifs sécuritaires et militaires qu’Israël a mis en place pour affronter le Hezbollah. Ce qui est évident, c’est que ces préparatifs reposent de plus en plus sur des technologies avancées, où les capacités techniques occupent une place centrale, au-delà des infiltrations humaines, dont peu d’indications récentes ont été observées. Revenons plutôt à une vue d’ensemble des objectifs :
- Israël utilise toutes ses forces pour frapper ce qu’il considère comme des capacités militaires, sécuritaires, humaines et logistiques de la Résistance. Toutes les attaques visent cet objectif. Israël ne tient pas compte, et n’a jamais tenu compte, des considérations relatives aux civils.
- Israël cherche à actualiser le slogan de la guerre de 2006, qui était de « détruire le Hezbollah ». Aujourd’hui, il vise à « déraciner le Hezbollah ». Quand Israël parle de déracinement, il ne se limite pas aux forces militaires ou civiles du Hezbollah. Une logique démoniaque semble guider ses dirigeants, les amenant à traiter le Hezbollah de la même manière qu’ils traitent les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. L’ennemi est persuadé que la destruction et l’éradication passent par le déplacement des populations qui forment la base populaire de la résistance. Lorsque Israël adopte cette approche, il revient à la racine de son projet. Il considère que l’environnement où opère le Hezbollah est un environnement hostile, celui-là même qui a soutenu les factions de la résistance palestinienne, puis celles de la résistance nationale libanaise, avant de devenir le fief du Hezbollah. Cela signifie que le plan de l’ennemi implique une guerre à long terme contre le Liban.
- Israël cherche à modifier les réalités géographiques et démographiques dans plusieurs régions. Lorsqu’il évoque la création d’une zone tampon au Sud-Liban, il ne s’agit pas simplement d’une zone dépourvue de militants ou d’armes, mais bien d’une région vidée de toute population. L’objectif est d’éliminer toute présence humaine qui pourrait servir de terreau à toute forme de résistance contre l’occupation. Dans le contexte libanais actuel, où les divisions sectaires influencent de nombreux aspects de la vie, l’ennemi réfléchit aux moyens de faire payer à la communauté chiite le prix de son soutien à la Résistance, au-delà même du fait que certains de ses membres aient rejoint le Hezbollah.
- Israël cherche à remodeler le Liban selon ses propres intérêts. Lorsqu’il a décidé de s’engager dans la confrontation actuelle, il a cessé de tenir compte des opinions des puissances occidentales, des États arabes ou des autres factions libanaises. Même si certains souhaitent éviter la déstabilisation du Liban, l’éclatement de guerres civiles ou de crises économiques majeures, Israël ne reculera devant rien si de tels événements servent son agenda. Aujourd’hui, nous voyons une coopération renforcée entre Israël, les États-Unis et certaines capitales arabes pour encourager divers groupes, forces et communautés de différentes origines sectaires à se soulever contre ce qu’ils perçoivent comme « l’État du Hezbollah ». Dans ce contexte, Israël n’hésitera pas à offrir son soutien à quiconque serait prêt à s’aligner sur son programme. En échange, il promettra des récompenses importantes, sous des termes tels que partition, fédéralisme ou autres concepts similaires.
- Israël intensifiera ses actions criminelles afin d’exercer diverses formes de pression sur le Hezbollah. Il frappera des cibles de peu d’importance dans certaines régions, dans le but de pousser la population à rejeter la présence de déplacés dans ces zones. Israël espère reproduire ce qu’il a fait à Gaza, où il a imposé des déplacements continus et permanents entre des zones supposées être « sûres ». Il vise à provoquer des déplacements massifs et répétés des habitants du Sud-Liban, de la Bekaa et de la banlieue sud de Beyrouth, espérant que beaucoup d’entre eux finiront par abandonner le Hezbollah et quitteront même le Liban. Israël est convaincu que, pour réussir, il devra porter des frappes mortelles contre tous les Libanais qui soutiennent la Résistance, que ce soit par leurs positions, leurs actions ou simplement en lui offrant refuge. Israël compte sur l’idée que s’il parvient à affaiblir le Hezbollah, il créera un grand désespoir au sein de sa base populaire, ce qui, à terme, réduira l’influence du Hezbollah sur plusieurs fronts.
Ce qui précède n’est pas de la simple spéculation ou un exercice théorique. Ce sont des éléments d’un plan qu’Israël a déjà commencé à mettre en œuvre. Ce qui conduit à une conclusion évidente : nous sommes confrontés à un type de bataille différente, une bataille qui sera certainement plus rude et plus complexe que la guerre de 2006.
Beaucoup se demandent ce que le Hezbollah va faire. De même, ceux qui ont observé les récents succès des opérations sécuritaires de l’ennemi cherchent des réponses et des explications. Mais l’essentiel est ailleurs : ceux qui sont au cœur de cette bataille doivent se préparer à une guerre dont la durée reste inconnue ainsi qu’aux coûts énormes qu’elle entrainera. Quant à savoir ce que la Résistance va faire, tout ce que l’on peut faire, c’est attendre. Car à en juger par les événements en cours, il est clair que la Résistance n’a pas commencé les choses sérieuses !
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