Par Ramzy Baroud
Il n’est guère choquant que le gouvernement des États-Unis ait finalement décrété que les colonies juives illégales qui ont été construites au mépris du droit international soient, d’une certaine façon, « compatibles » avec le droit international.
La politique étrangère des États-Unis envisageait cette conclusion depuis un certain temps. Dès son arrivée à la Maison-Blanche en janvier 2017, le président Donald Trump a déclenché un renversement total et complet de la politique étrangère de son pays à l’égard de la Palestine et d’Israël.
Ne nous faisons aucune illusion quant à l’approche américaine du soi-disant « conflit israélo-palestinien » avant la présidence de Trump. Les États-Unis n’ont jamais, pas même une seule fois, défendu les Palestiniens ou les Arabes depuis l’établissement de l’État d’Israël en 1948 sur les ruines de la Palestine historique. En outre, Washington a financé l’occupation israélienne de la Palestine de toutes les manières possibles, y compris par le subventionnement des colonies juives illégales.
Toutefois, la déclaration de Pompeo, lors d’une conférence de presse du département d’État le 18 novembre, selon laquelle « l’établissement de colonies civiles israéliennes n’est pas, en soi, incompatible avec le droit international », est très dangereuse et constitue en fait un renversement des politiques américaines précédentes. Comment ?
Historiquement, les États-Unis ont eu du mal dans leur compréhension du droit international, non pas en raison de leur manque de sens juridique, mais parce que, bien souvent, les intérêts américains se heurtaient à la volonté de la communauté internationale. Un exemple récurrent est l’occupation israélienne de la Palestine : les États-Unis ont opposé leur veto mais aussi voté contre de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Assemblée générale qui critiquaient Israël, ou soutenaient les droits des Palestiniens.
Ce n’est qu’en 1978 qu’une administration américaine a osé qualifier les colonies israéliennes « d’incompatibles avec le droit international ». Cette déclaration a eu lieu pendant la présidence de Jimmy Carter, lorsque Washington a commencé à vouloir être le modèle politique du « processus de paix », qui a finalement conduit à la signature du traité de paix entre l’Égypte et Israël, signé à Camp David en 1979.
Depuis lors, écrit Joseph Hincks dans Time Magazine en ligne, les présidents républicains et démocrates ont qualifié les colonies de peuplement «illégitimes », mais ont refusé de les qualifier d’illégales, une désignation qui les rendrait passibles de sanctions internationales».
Cela dit, c’est Reagan lui-même, bien qu’opposé au principe d’illégalité des colonies, qui les a considérées comme un « obstacle à la paix », exigeant un gel de toute construction de colonies.
La déclaration de Pompeo est, en fait, compatible avec les contradictions de Washington concernant la construction de colonies illégales par Israël en Palestine occupée.
En décembre 2016, l’administration de Barack Obama a refusé d’opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui décrivait les colonies comme une « violation flagrante” du droit international, ajoutant qu’elles n’avaient “aucune validité juridique ».
Bien qu’Obama ait choisi de s’abstenir de voter, cette décision même a été, elle-même, considérée comme une rupture historique avec l’élaboration traditionnelle de la politique étrangère des États-Unis, soulignant davantage le soutien inconditionnel et, souvent, aveugle des États-Unis à L’égard d’Israël.
Si, d’une certaine manière, le soutien de l’administration Trump à l’égard d’Israël s’inscrit dans la continuité de la trajectoire lamentable du parti pris américain, il est aussi particulièrement unique et inquiétant.
Les administrations américaines précédentes ont tenté de maintenir un certain équilibre entre leurs propres intérêts et ceux d’Israël. Trump, d’autre part, semble avoir aligné la politique étrangère de son pays en ce qui concerne la Palestine et Israël entièrement sur celle du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et son camp de droite.
En effet, depuis plus de deux ans, le Département d’État donne carte blanche à la politique d’Israël, accepte toutes les demandes et les attentes d’Israël et ne demande rien en retour. En conséquence, Washington a accepté la désignation de Jérusalem, y compris Jérusalem-Est occupée, comme « capitale éternelle et indivisible » d’Israël ; a accepté la souveraineté d’Israël sur le plateau occupé du Golan; et activement comploté pour rejeter nettement la question des réfugiés palestiniens. La dernière annonce de Pompeo n’était qu’une des nombreuses mesures de ce genre.
Une théorie concernant la capitulation en cours de la politique étrangère des États-Unis vis-à-vis d’Israël est que Washington se retire lentement, mais définitivement, du Moyen-Orient, un processus qui a commencé dans les dernières années de la présidence de George W. Bush et s’est poursuivi sans relâche tout au long des deux mandats de l’administration Obama. Le fait de succomber aux souhaits d’Israël est une sorte de cadeau de l’Amérique à son allié le plus fidèle au Moyen-Orient.
Une autre explication concerne le « deal du siècle », apparemment défunt, une doctrine politique vaguement définie qui cherche à normaliser Israël, au niveau régional et international, tout en maintenant le statu quo de l’occupation et de l’apartheid intacts.
Pour que cet accord ressuscite après des mois d’inertie, Washington tient à prolonger le poste de premier ministre de Netanyahu, d’autant plus que le Premier ministre israélien de longue date est confronté à son plus grand défi politique et même à une peine de prison possible pour diverses corruptions clairement établies.
Actuellement, Israël traverse une crise politique : deux élections générales en six mois, avec la possibilité d’une troisième élection couplée à une polarisation socio-économique et politique historique au sein de l’électorat. Pour maintenir Netanyahu en vie politique, ses alliés à Washington lui ont offert quelques mois de répit, le tout dans l’espoir de lui gagner plus de soutien parmi le camp politique de droite dominant en Israël.
En rendant les colonies illégales « compatibles » avec le droit international, Washington ouvre la voie à l’annexion de tous les principaux blocs de colonies de peuplement en Cisjordanie occupée.
Israël, qui n’a jamais été vraiment concerné par le droit international a exigé ce clin d’œil américain pour aller vers l’annexion d’au moins 60% de la Cisjordanie.
Avec les concessions américaines à Israël, Netanyahu est impatient et en veut toujours plus. Désireux de renforcer son emprise chancelante sur le pouvoir, le dirigeant israélien a accepté le 20 novembre de faire avancer un projet de loi qui appelle à l’annexion de la vallée du Jourdain.
Le projet de loi a été rédigé par un membre du Likoud israélien – le parti de Netanyahu – Sharren Haskel, qui a tweeté à la suite de la décision de Netanyahu, que l’annonce des États-Unis était « une occasion de promouvoir ma loi pour la souveraineté dans la vallée [la Jordanie]. »
La décision des États-Unis de défier le droit international sur les colonies n’est pas dangereuse parce qu’elle viole le droit international, car ce dernier n’a guère été une préoccupation pour Washington. Le danger réside dans le fait que la politique étrangère des États-Unis concernant l’occupation israélienne est devenue un simple tampon, qui permet au gouvernement israélien d’extrême droite de déterminer à lui seul le sort du peuple palestinien et de semer la graine de l’instabilité et de la guerre au Moyen-Orient pour de nombreuses années à venir.
Counter punch 29 novembre 2019