Mar 27, 2021
150 ans après, l’idéal de la Commune vit toujours. Face à l’ampleur de la détresse sociale, psychologique, économique et politique, l’auto-organisation et l’entraide mutuelle se développent en Grèce comme un peu partout dans le monde. « Ici, c’est un peu village, tout le monde se connaît », m’expliquent des habitants de la municipalité de Xaïdari, dans la banlieue nord-ouest d’Athènes. Sur la place Iroon, des retraités sirotent un freddo espresso, partagent leurs inquiétudes quotidiennes et s’écharpent sur l’actualité politique. Au restaurant de Nikos, les chaises sont empilées : l’enseigne n’accueille plus de clients en raison du confinement. Pourtant, la cuisine fonctionne comme tous les jeudis. Fotis, Marina, Katerina, Margarita préparent des centaines de portions de pâtes à la viande qui seront livrées dans plusieurs quartiers et que les habitants du coin peuvent venir récupérer sur place. Comme ce retraité qui est sur le point de perdre son logement ou ces jeunes qui doivent « choisir » entre manger ou étudier.
Se fédérer pour ne pas s’essouffler
Fotis est un militant qui n’a pas attendu la Covid-19 pour nouer des liens avec les habitants et les commerçants solidaires. « Il faut trouver une base commune » pour bâtir quelque chose « de grand ensemble ». C’est dans ce sens qu’une coordination de 8 groupes et structures de solidarité de l’Attique (région d’Athènes) a vu le jour en février dernier. L’objectif : se fédérer pour ne pas s’essouffler à l’échelle locale et amplifier les pratiques d’entraide mutuelle par le peuple et pour le peuple. « Personne ne doit être seul dans cette situation. Nous n’avons pas besoin de politiciens. Prenons nos vies en main sans attendre que quelqu’un nous promette de nous sauver. Éteignons notre télé et commençons à construire nos vies avec l’aide des autres », s’exclame Fotis.
L’envie de lutter est faite pour se partager au maximum, « pas pour rester entre les mains de quelques rebelles-sauveurs ».
Se rassembler avec ses différences, c’est aussi ne pas oublier « nos ennemis communs : le capitalisme, le racisme et le fascisme », note Katerina. « Les groupes locaux connaissent les problèmes des différents quartiers où ils agissent. En nous associant, nos actions ont plus de portée dans la société », ajoute la jeune femme. Elle souligne que « l’ouverture de ces groupes » est fondamentale pour inviter d’autres personnes à participer. L’envie de lutter est faite pour se partager au maximum, « pas pour rester entre les mains de quelques rebelles-sauveurs ».
Plusieurs cuisines sociales actives depuis des années à Athènes, ainsi que des initiatives de voisinage de collecte et de distribution de produits de première nécessité ont déjà rejoint ce réseau régional de solidarité. Une coordination composée d’environ 300 activistes qui compte en outre sur le soutien d’un potager autogéré à Xaïdari. « Un propriétaire nous prête son terrain. Cultiver notre propre nourriture, c’est le premier pas vers la liberté », affirme Fotis, pour qui le prochain chantier est de construire un réseau d’entraide « pour toute la Grèce, et notamment un réseau agricole qui est en train de prendre forme ». La coordination de l’Attique vient par exemple de recevoir 6 tonnes de pommes de terre de producteurs de Naxos, une île de la mer Égée. Ou encore des oranges d’une ferme urbaine du Péloponnèse. De la ville à la campagne, l’araignée de la solidarité tisse un peu plus sa toile…
Photos : NR
Correspondance à Athènes, Nicolas Richen
Version longue de la chronique « La Grèce en luttes » parue dans le mensuel L’Age de Faire, avril 2021, numéro 161. Soutenez la presse libre !