La chaleur, conjuguée à l’humidité, peut être mortelle pour les humains. Avec le réchauffement climatique, des régions de la planète risquent ainsi de devenir invivables.
21 juillet 2023
Des niveaux de température hors norme sont atteints ces derniers jours. En juin, le nord du Mexique était frappé par une vague de chaleur extrême, frôlant les 50 °C et causant plusieurs dizaines de morts. Au même moment, les températures s’envolaient également de l’autre côté du globe, en Inde, entraînant là aussi la mort de dizaines de personnes. Même cause, mêmes effets : l’été le plus chaud jamais enregistré en Europe, en 2022, aurait provoqué la mort de plus de 60 000 personnes sur le continent, selon une récente étude.
Parmi toutes les conséquences délétères du changement climatique, l’effet le plus direct, et l’un des plus mortels pour les humains, concerne la hausse des températures. Sur tous les continents, les extrêmes de chaleur vont continuer d’augmenter en fréquence et en intensité, et ce même si on limitait le réchauffement global sous les 1,5 °C, précise le dernier rapport du Giec [1]. Au point que certaines régions pourraient devenir littéralement inhabitables pour notre espèce : l’Asie du Sud et le Golfe persique pourraient connaître régulièrement des températures mortelles pour l’être humain dès 2050, tandis que le Brésil, l’est de la Chine et une partie de l’Asie du Sud-Est pourraient être à leur tour concernés à partir de 2070, selon des modélisations du Jet Propulsion Laboratory de la Nasa.
Les limites du système de refroidissement humain
Pour prendre la mesure des dangers que représentent les vagues de chaleur présentes et à venir, il faut revenir un instant sur l’un des mécanismes de thermorégulation du corps humain. Pour rester en bonne santé, notre corps doit se maintenir à une température d’environ 36,5 °C. Pour cela, il évacue la chaleur excédentaire grâce, notamment, à la transpiration : l’eau libérée à la surface de la peau va s’évaporer en utilisant l’énergie thermique du corps. Ce n’est ainsi pas le fait de suer qui nous refroidit, mais l’énergie évacuée lorsque celle-ci s’évapore. Le problème, c’est que plus l’air est chargé en humidité, moins cette évaporation est efficace. Si l’air est saturé à 100 % en humidité, la transpiration n’est plus du tout opérante et le corps ne peut plus se refroidir.
C’est la raison pour laquelle 30 °C sont beaucoup plus durs à supporter dans une forêt tropicale humide que dans un désert bien sec. L’un des principaux indicateurs utilisés par les chercheurs pour mesurer à la fois la température et le degré d’humidité est celui de « wet-bulb temperature », « thermomètre mouillé » en français, ou « température humide », abrégé TW. On trouve communément dans la littérature scientifique le chiffre de 35 °C TW (qui est donc différent des 35 °C affichés au thermomètre puisqu’il prend en compte aussi le taux d’humidité) comme seuil physiologique limite, au-delà duquel le corps humain ne peut plus se refroidir, entraînant le dérèglement des processus biochimiques, la défaillance des organes vitaux et la mort en quelques heures.
Une étude étasunienne publiée dans Science Advances en 2020 indiquait que ce seuil de 35 °C TW avait déjà été franchi dans plusieurs régions côtières subtropicales récemment, au Pakistan et au Émirats arabes unis, alors même que les modèles climatiques ne prévoyaient pas le franchissement de cette barre fatidique avant 2050. La fréquence des évènements météo extrêmes compris entre 27 et 35 °C TW aurait également doublé depuis 1979, d’après les chercheurs. Avec le risque, à l’avenir, que les régions mentionnées plus haut deviennent donc en partie inhabitables…
Un seuil pas si net
Si cette notion de température humide a été reprise dans les derniers rapports du Giec, la pertinence de l’indicateur ne fait toutefois pas l’unanimité parmi les chercheurs et la valeur de 35 °C TW comme seuil mortel critique est également contestée. Une étude parue en 2021 dans le Journal of Applied Physiology estimait que le seuil critique pouvait en réalité être atteint dès 31 °C TW. Une autre, publiée cette année dans Environmental Research Letters concluait que le seuil de 35 °C TW « sous-estimait » les risques d’hyperthermie mais « surestimait » le risque de mortalité. Le risque d’hyperthermie — une élévation de la température corporelle au-dessus des valeurs normales — « commencerait à être régulier » à 3 °C de réchauffement climatique global, et toucherait plusieurs dizaines à centaines de millions de personnes chaque année à partir de 4 °C de réchauffement, estime cette même étude.
« Cette notion de température humide est utile pour pouvoir comparer avec un même indicateur ce qu’il se passe sous des climats différents, à Mexico comme à Marseille. Mais l’existence d’une limite est très floue. Que veut dire “mortel” ? Ce sont des modèles, pas des études épidémiologiques. Selon l’âge, la physiologie de la personne, les conditions d’ombre ou de vent, énormément de paramètres peuvent faire varier le seuil de tolérance », commente Sarah Safieddine, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), au Laboratoire atmosphère, observations spatiales (Latmos) à la Sorbonne.
La chercheuse, qui a elle-même publié une étude sur la température humide dans la péninsule arabique, souligne le danger des vagues de chaleur pour les villes côtières, où l’humidité peut vite faire monter cet indicateur. « Pour de grandes villes comme Dubaï ou Doha, où beaucoup de migrants vont continuer d’affluer et de travailler en plein air, les conditions risquent de devenir dangereuses. Regardez ce qu’il s’est passé au Canada, où une vague de chaleur a fait de nombreux morts en 2021 sur la côte pacifique. Les températures, en soi, auraient pu être supportables, mais la montée de l’humidité a rendu la situation critique », souligne-t-elle.
Certains chercheurs préfèrent utiliser d’autres indicateurs, comme le « heat index » (« indice de chaleur »), qui combine également chaleur et humidité et ne donne pas de résultats plus rassurants. Des niveaux « extrêmement dangereux » de cet indice, correspondant à un risque de mort au bout de quelques heures, pourraient être dépassés plus de quinze jours par an dans les régions subsahariennes, la péninsule arabique et sur la plupart du sous-continent indien, estimait une étude dans Communications Earth & Environment en 2022.
La notion de « température critique supérieure » est également évoquée par une équipe britannique de l’université de Roehampton, à Londres. Le coût énergétique dépensé par l’organisme pour maintenir son métabolisme deviendrait insoutenable quelque part entre 40 et 50 °C, estimaient-ils dans un communiqué publié le 6 juillet. De plus amples recherches étant nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes en jeu et resserrer la fourchette de température.
En attendant que les scientifiques affinent leur compréhension du seuil de température fatidique, l’enjeu est peut-être plus de s’adapter à cette hausse inéluctable des températures que de se focaliser sur un niveau extrême : « Les gens supportent 45 °C dans les pays du Golfe tous les jours, et il y a moins de morts que lors des canicules en France. En partie parce qu’il fait moins humide là-bas, certes, mais aussi parce que leur mode de vie y est plus adapté », insiste Sarah Safieddine.
Même sans parler de records de températures, la chaleur a des effets directs sur notre santé. Lors de la canicule de 2003, qui avait fait des dizaines de milliers de morts en Europe, la température humide n’était que de 28 °C TW.
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