Grèce : « allègement » en trompe-l’œil

 

Par  Michel Husson *

En août 2015, quelques semaines après le non au référendum, le gouvernement grec signe le troisième accord (MOU, Memorandum of Understanding) avec les créanciers. La Grèce recevra périodiquement des prêts lui permettant pour l’essentiel de rembourser sa dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque Africaine de Développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds Européen de Développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics. , mais à une condition : faire des « réformes » qui seront périodiquement évaluées. Une première évaluation (review) a entériné un premier paquet de réformes, dont celle des retraites. Une deuxième évaluation était prévue avant la fin de l’année, qui devait sanctionner un nouveau paquet de réformes portant notamment sur le marché du travail.

Note du 22/12 :

Cette proposition totalement insuffisante a finalement été supprimée par l’Eurogroupe la semaine passée (14/12) sous le prétexte que le gouvernement grec ne respectait pas ses engagements de renforcer l’austérité. En effet, le gouvernement de Tsipras a annoncé qu’il allait offrir un petit bonus de fin d’année aux retraités qui ont les pensions les plus basses et qu’il allait reporter l’augmentation de la TVA dans certaines îles qui sont confrontées à l’afflux de réfugiés.

À leur réunion du 5 décembre, les représentants de l’Eurogroupe ont refusé d’avaliser le dernier train de réformes. Ils ont cependant accepté ce qui est présenté comme un allègement de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque Africaine de Développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds Européen de Développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics. Commençons par le premier point, parce qu’il est révélateur de la violence et de l’hypocrisie des créanciers européens. Le point de blocage est la réforme du droit du travail. Les ministres de l’Eurogroupe voudraient relever de 5 % à 10 % du personnel le plafond des licenciements collectifs, supprimer l’autorisation du ministère du travail et refusent que soit restauré le principe des négociations collectives, supprimé durant la crise |1|. Bref, le bras de fer continue et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, comme Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques, font front commun pour imposer une régression sociale contraire au droit international.

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Voilà pour le bâton. Quant à la carotte, c’est un allègement en trompe-l’œil. Il résulte d’une négociation parallèle et discrète avec le MES (Mécanisme européen de stabilité) qui finance les 86 milliards de prêts prévus pour ce troisième MOU. Les mesures sont assez techniques |2|. La première consiste à allonger la maturité des prêts du deuxième MOU de 28 ans à 32,5 ans et ainsi de lisser un peu les remboursements des années 2030 et 2040. Le deuxième ensemble de mesures vise, pour simplifier, à réduire la variabilité des taux d’intérêt. Enfin, le MES renonce à augmenter de deux points les taux d’intérêt sur une tranche du précédent MOU.

Tout ceci est d’une parfaite hypocrisie. D’abord, parce que renoncer à 2 % d’intérêt sur des prêts qui rapportent entre 4,3 % et 5,9 % |3|, c’est seulement renoncer à une mesure parfaitement scandaleuse. Ensuite, ces mesures baptisées « à court terme » n’auront d’effets qu’à long terme et le directeur général du MES, Klaus Regling, admet que « cet horizon 2060 est anormalement long et implique une grande incertitude ». Pire, il reconnaît que l’échange de 42 milliards de prêts à taux variable contre des prêts à taux fixe coûtera dans l’immédiat à la Grèce : « bien sûr, cela signifie aussi qu’il peut y avoir des coûts parce que ne sera pas gratuit. La Grèce devra immédiatement payer un taux à long terme plus élevé, mais nous sommes persuadés qu’à long terme, il y aura des économies substantielles |4| ».

Mais l’hypocrisie ne s’arrête pas là. Si l’Eurogroupe fait semblant de faire un geste, tout en refusant de conclure la deuxième revue, c’est parce qu’il y a une autre négociation de fait en cours, non pas avec la Grèce, mais avec le FMI FMI
Fonds monétaire international Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

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À ce jour, 188 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale.

Cliquez pour plus. . Le FMI n’est pas partie prenante du programme actuel. Sa position est qu’il n’y participera que si la dette grecque est restructurée significativement, parce qu’elle n’est pas selon lui soutenable. Il considère à juste titre que l’objectif d’un excédent budgétaire primaire (hors paiement des intérêts) de 3,5 % du PIB PIB
Produit intérieur brut Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre  à partir de 2018 serait contreproductif. Ou alors il rendrait nécessaire des réformes des impôts et des retraites encore plus drastiques, ce qui lui semble hors d’atteinte.

Chacun campe sur ses positions et se renvoie la balle depuis plusieurs mois. Pourtant tout le monde sait bien, sans le reconnaître, que la dette grecque n’est pas soutenable. Il faudra d’une manière ou l’autre reconnaître cette réalité et envisager un nouvel haircut. Mais comme les institutions européennes sont devenues les principaux créanciers, il faudrait assumer une telle décision, auprès de son électorat. Or, des échéances électorales importantes sont programmées aux Pays-Bas (le pays de Dijsselbloem), en France (celui de Moscovici) et en Allemagne dont le ministre des Finances Wolfgang Schäuble est connu pour ses positions intransigeantes. Dans une interview au Bild, la veille de la réunion de l’Eurogroupe, il a une nouvelle fois mis les points sur les i avec sa brutalité habituelle : « Athènes doit faire les réformes nécessaires. Si la Grèce veut rester dans la zone euro, il n’y a pas d’autre choix – quel que soit le niveau de sa dette |5| ». Et quelle que soit la profondeur de la régression sociale, évidemment.

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22/12/2016

 

*Michel Husson statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.

Notes

|1| Source : « Le casse-tête grec s’invite à nouveau à la réunion de l’Eurogroupe », Catherine Chatignoux, Les Echos, 5 décembre 2016.

|2| Eurogroup statement on Greece, 05/12/2016

|3| Source : Charles Forelle, Pat Minczeski and Elliot Ben, « What Greece owes, when », Wall Street Journal, dernière mise à jour : 7 décembre 2016.

|4| Klaus Regling, ESM Managing Director, Press conference following Eurogroup meeting, 5 December 2016.

|5|  « Schäuble : Athen muss nötige Reformen machen », Bild am Sonntag, 04.12.2016.