France, le nouveau Front populaire, espoirs et contradictions

Par Dimitris Skarpalezos  

Après la foudre de la victoire de l’extrême droite du “Rassemblement national” aux élections européennes françaises, les partis de la gauche élargie, sous la pression de la masse de leurs partisans, ont formé une coalition pour les élections législatives, appelée “Nouveau Front populaire”, en référence au Front populaire des communistes et des socialistes qui s’était formé après l’échec d’un coup d’État d’extrême droite et qui avait remporté les élections en 1936, en réalisant une série de réformes importantes pour le peuple.  

Au “Nouveau Front populaire” participent des écologistes, des socialistes, des communistes et la “France insoumise” de Melenchon, ainsi que de petits partis de gauche.  

Son programme, élaboré sous la pression des élections européennes, présente une grande contradiction. En termes de politique économique et sociale, il est progressiste et contient de nombreuses revendications essentiellement destinées aux couches populaires, telles que le contrôle des prix, l’augmentation du salaire minimum, l’accroissement du financement de la santé et de l’éducation, l’augmentation de l’imposition des riches, etc., et il est largement inspiré du programme de la “France insoumise”, mais en termes de positionnement géopolitique du pays, son positionnement va clairement dans le sens d’une subordination aux aspirations stratégiques de l’impérialisme américain.  

La réalité virtuelle du totalitarisme  

Cela s’est produit parce que, dans une large mesure, la “réalité virtuelle” créée par les médias de masse n’a pas suscité la méfiance des forces progressistes qui, sur tous les sujets, se sont contentées de l’accompagner d’un commentaire “progressiste” sans jamais la remettre en question.  

Il n’y a donc pas eu de suspicion ou de prise de distance à l’égard des plans de guerre de l’OTAN, ni de dénonciation des interventions américaines dans le monde.

Cette ligne de soumission aux ordres américains était dominante chez les socialistes et les partisans du gouvernement Macron, ainsi que chez la droite traditionnelle, qui a abandonné depuis longtemps la ligne patriotique indépendante du Général De Gaulle.  

Avec l’Ouest contre l’Est et le Sud  

Les récits de base de cette réalité virtuelle dans le domaine géopolitique sont que la Russie, la Chine et l’Iran ainsi qu’une grande partie de la résistance palestinienne constituent “l’axe du mal” tandis que les Etats-Unis, malgré les injustices qu’ils ont pu commettre ici et là, sont le centre de résistance nécessaire à la barbarie de “l’axe du mal”. Israël est un pays démocratique qui commet l’erreur de répondre de manière excessivement violente à “l’attentat terroriste antisémite” du 7 octobre 2023. En ce qui concerne le conflit en Ukraine et l’invasion “non provoquée” de la Russie, le narratif veut que toute la faute et la responsabilité incombent à Poutine, qui aurait

peur que l’exemple d’une “Ukraine démocratique” ne déstabilise son régime autoritaire et qui, tel un “nouvel Hitler”, ne cherche qu’à étendre son règne barbare le plus loin possible.  

Réalité virtuelle et réalité “réelle” 

Cette réalité virtuelle s’est superposée à un certain nombre de faits indiscutables, à savoir  que  

1) En dépit des assurances données par les Américains aux Soviétiques que l’OTAN ne serait pas élargie, elle l’a été non seulement à la quasi-totalité des anciens pays socialistes d’Europe, mais aussi à l’Ukraine et à la Géorgie qu’il a été décidé en 2008 d’intégrer le moment venu dans l’OTAN, ce qui constitue une provocation à l’égard de la Russie.  

2) qu’en 2014, un coup d’État a été perpétré contre un président élu en combinant des manifestations de masse dans la capitale ukrainienne et une action armée menée par des milices néonazies armées par l’Occident et que, comme l’a admis la porte-parole américaine Victoria Nuland elle-même, les États-Unis ont investi cinq milliards de dollars pour assurer la réussite de ce coup d’État.  

Si l’on tient compte du fait que le président déchu Ianoukovitch disposait d’une nette majorité dans les provinces russophones, son renversement constituait une provocation pour toutes ces provinces.  

3) que le “gouvernement provisoire” a été formé sous la direction de Victoria Nuland, qu’il a rétabli les nationalistes ukrainiens au pouvoir et placé deux citoyens américains dans les ministères des finances, qu’il a considéré le collaborateur nazi de la Seconde Guerre mondiale, Stepan Bandera, le massacreur de centaines de milliers de Juifs, de Russes et de Polonais, comme un grand héros de la nation et a délégitimé la langue russe, qui était alors l’une des deux langues officielles du pays et la langue maternelle d’au moins un tiers de la population, voire d’une part bien plus importante.  

3) que des groupes armés de nationalistes d’extrême droite se sont abattus sur les provinces russophones qui s’étaient révoltées contre le coup d’État et ont terrorisé la population locale par des atrocités et le “massacre d’Odessa” où ils ont brûlé vifs une quarantaine de dissidents “communistes”.  

Tout cela a également été diffusé à la télévision française en 2016 dans un documentaire de Paul Morera “Les masques de la révolution”.  

Mais, sous la pression de la communauté (nationaliste) ukrainienne, ces éléments ont disparu et depuis seule la voix des Ukrainiens nationalistes peut être entendue à la télévision française.  

4) que la grande majorité des citoyens de Crimée, après la délégitimation de leur langue, préférèrent appartenir à la Russie plutôt qu’à l’Ukraine, et que le référendum sur l’union avec la Russie a donné les mêmes résultats qu’un sondage réalisé par une société américaine.

5) Que les provinces russophones séparatistes ont été bombardées sans discontinuer depuis 2015 avec plus de dix mille victimes.  

6) que les interventions de l’Occident ont empêché tous les efforts visant à trouver une solution pacifique à la fois à la guerre civile et à la guerre entre l’Ukraine et la Russie, qui est ainsi devenue une guerre entre la Russie et l’Occident, avec effusion de sang ukrainien et russe.  

Pour la guerre de Gaza, l’attaque du Hamas a été présentée par les médias comme une attaque brutale, “non provoquée” et raciste contre des civils innocents, avec des massacres d’enfants en bas âge et des viols massifs de femmes, alors que même les journaux israéliens ont montré qu’il s’agissait de mensonges fabriqués et qu’un pourcentage important des mille deux cents victimes israéliennes ont été tuées par des tirs d’hélicoptères israéliens et de l’armée israélienne dans le chaos de la contre-attaque.  

De même, aucun rappel n’a été fait, même par les partisans palestiniens, sur le fait que lors des deux précédents bombardements israéliens sur Gaza en 2014 et 2015, les Palestiniens tués ont été deux fois plus nombreux que les Israéliens tués lors de l’attaque du Hamas.  

Mélenchon, la gauche et l’extrême droite  

La gauche française dans son ensemble n’a pas remis en cause cette réalité virtuelle, si bien qu’elle prend aujourd’hui position en faveur de l’envoi d’armes à l’Ukraine “pour sa défense”, de sorte que le massacre dans les tranchées se poursuit et que nous nous rapprochons chaque jour un peu plus du danger d’une guerre généralisée qui pourrait facilement devenir nucléaire.  

Le seul homme politique d’envergure à avoir défendu une position favorable à la paix est Mélenchon, qui a proposé un cessez-le-feu et des consultations sur la neutralité et la sécurité tant pour la Russie que pour l’Ukraine.  

En ce qui concerne la question des frontières, il a proposé des référendums avec des observateurs internationaux dans les provinces contestées pour que la population décide si elle veut que sa province appartienne à l’Ukraine ou à la Russie.  

Mais son propre parti n’a pas suivi cette ligne non plus. Aujourd’hui, ces positions du “Nouveau Front Populaire” constituent un véritable “boomerang” car une partie des adeptes de la tradition gaullienne d’indépendance du pays vis-à-vis de l’OTAN risque de voter pour le “Rassemblement National” qui, par son flou sur la question, donne l’impression d’être plus indépendant de l’influence américaine et plus “pacifique” par rapport à la guerre en Ukraine, alors qu’en réalité ses positions sont identiques aux positions officielles du Front Populaire.  

Il s’agit bien sûr d’une tactique, car les chaînes qui soutiennent l’extrême droite du “Rassemblement national” sont toutes favorables à la poursuite de la guerre en Ukraine et diabolisent systématiquement Poutine.  

Gaza : les positions de l’extrême droite et de la gauche – Netanyahou   

En ce qui concerne la guerre à Gaza, le “Rassemblement national” diabolise fanatiquement le Hamas et soutient Israël, ce qui lui permet de dissimuler le fort antisémitisme d’une grande partie de ses cadres et de ses partisans. Par ailleurs, dans l’inconscient fasciste, une force “occidentale” qui combat les “Arabes” est un exemple, même si elle est “juive”.  

Sur la guerre de Gaza, la “France Insoumise” a adopté une position beaucoup plus cohérente et a réussi à imposer au “Nouveau Front populaire” l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat et la reconnaissance de l’Etat palestinien, mais là encore sans déconstruire systématiquement la “réalité virtuelle” de l’attaque du Hamas. De même, sous la pression de l’accusation d’encourager l’antisémitisme, il n’a même pas osé invoquer le fait que ceux qui encouragent le plus l’antisémitisme juif aujourd’hui sont ceux qui identifient Israël à tous les Juifs et empêchent les voix de tant d’intellectuels juifs qui s’élèvent contre le massacre génocidaire à Gaza (tels que Jeffrey Sachs, Naomi Klein, Noam Chomski, Gideon Levi, Ilan Pape, Judith Butler, Pierre Stambul https ://www.defenddemocracy.press/la-resistible-ascension-des-fascistes-a-la-francaise/ etc.)  

Read also:
Middle East: Again on the brink. Israel and “intra-imperialist” games

Les progressistes français n’ont bien sûr pas d’autre choix que de soutenir le nouveau Front populaire malgré ses dangereuses contradictions, mais ils doivent bien sûr mener une campagne vigoureuse en faveur de la paix en Ukraine et à Gaza, quel que soit le vainqueur des élections, car les signes annonciateurs d’une guerre généralisée et d’un risque imminent pour la survie de l’humanité, deviennent chaque jour plus alarmants !

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