27 mars 2021
Source : Jacques Serieys Sélection 27
Que le lecteur de cet article n’y cherche pas une histoire de la guerre grecque d’indépendance vis à vis de l’Empire ottoman.
Je n’aborde ci-dessous que les liens reliant la Révolution française au processus d’éveil national et démocratique appelé Révolution grecque.
– 25 mars 1821 : Début de l’insurrection grecque contre la domination ottomane
– 3 février 1830 : signature de la version définitive du traité de Londres officialisant l’indépendance de la Grèce.
1) Le soulèvement de 1769
La Grèce connaît un mouvement populaire de libération durant la grande phase de montée puis d’apogée révolutionnaire de la fin du 18ème siècle. En 1769-1770, des groupes actifs profitent de la guerre russo-turque pour soulever la population et libérer le Péloponnèse ainsi que les Cyclades. Le pouvoir ottoman utilise des groupes paramilitaires albanais pour combattre ces insurgés et ravager leurs terres durant une dizaine d’années. De nombreuses insurrections dont celle de Grèce ont préparé la Révolution française. Interaction inverse : la présence de Grecs réfugiés politiques en France de 1789 à 1799 et le rôle de Grecs dans l’audience européenne de la Révolution française à la même époque.
2) Righas Pheraios
La personnalité symbole du lien grec avec la Révolution française se nomme Rigas Féraios. Né en 1757, il parfait ses études dans la capitale de l’empire ottoman, Constantinople. Pour des raisons professionnelles, il doit apprendre plusieurs langues, particulièrement le grec, le turc et le français mais aussi l’Allemand et le valaque, plus tard l’italien et l’arabe. Secrétaire particulier d’Alexandre Ypsilántis, ses liens avec l’organisation révolutionnaire créée par les fils de celui-ci sont mal connus.
Connaisseur des penseurs français des Lumières, heurté à plusieurs reprises par la violence répressive ottomane, Rigas Féraios accueille favorablement la Révolution française et ses envoyés dans les Balkans. Il construit pas à pas une conspiration secrète qui déplaît au régime autrichien comme aux Ottomans. Arrêté par la police de Vienne, il est trop populaire pour être jugé et condamné par les Ottomans ; aussi, il est étranglé et jeté à Belgrade dans le Danube dans la nuit du 24 au 25 juin 1798 avec sept de ses compagnons.
L’article de Wikipedia sur lui étant excellent, j’en recopie un extrait :
Son Thourios (Chant de guerre) commence par l’évocation de la situation de toutes les populations opprimées par le pouvoir arbitraire de l’Empire ottoman. Il ne s’adressait pas en effet qu’aux seuls Grecs, mais à l’ensemble des peuples balkaniques soumis au Sultan qui, selon lui, n’était plus imbattable. Il insistait sur la nécessaire tolérance religieuse pour unir tous les opprimés, musulmans inclus. Il s’adressait aussi aux Grecs de la diaspora, leur demandant de revenir se battre pour la liberté de leur patrie. Il rappelait enfin, à son habitude, les gloires passées des ancêtres21. La Nouvelle Administration Politique (projet de constitution) de Rigas s’inspirait très largement de la constitution française de 1793. Elle commence par une Déclaration des Droits de l’Homme de 35 articles, inspirée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elle devait s’appliquer à une république démocratique fonctionnant avec un scrutin proportionnel. Le texte affirmait l’égalité des citoyens devant la loi ; la liberté individuelle et nationale ; la liberté d’expression, de conscience, de religion, de réunion ; l’abolition de l’esclavage ; le respect de la propriété ; l’interdiction de l’usure ; la nécessaire résistance à la violence et à l’injustice. L’obligation scolaire, pour les garçons et les filles, y était prévue, ainsi que l’égalité homme-femme et le service militaire obligatoire pour les deux sexes. Rigas rendait aussi obligatoire la participation à la vie politique.
Il aurait été en contact avec les agents que la Révolution française avait envoyés dans les provinces danubiennes pour y propager l’idéologie républicaine, et les aurait peut-être même aidés. Contacts et soutien sont avérés par les documents à partir de 1795. Au moment où Rigas cherchait à partir pour Vienne, le consul d’Autriche à Bucarest dénonça à ses supérieurs les « amitiés » entre celui-ci et les Français, principalement « l’envoyé secret Gaudin ». Après l’arrestation de Rigas en 1798, l’ambassadeur d’Autriche à Constantinople rappela que Gaudin, alors secrétaire de l’ambassade de France dans la capitale ottomane, devait être au courant du complot. Rigas lui-même, après son arrestation, en appela au consulat de France à Trieste, pour obtenir une sorte d’immunité diplomatique en tant qu’ancien interprète du consulat français de Bucarest. Surtout, les liens furent étroits en 1796 entre Rigas et le chancelier du consulat français à Bucarest, un Grec, Constantin Stamaty. Ce fut peut-être alors qu’il aurait été rémunéré comme interprète au consulat de France. Ce poste aurait plus été un moyen de lui assurer un revenu et une justification de relations avec les agents consulaires qu’une réalité.
3) Années 1815 à 1826 : l’étincelle d’espérance ne meurt pas
En 1814 1815, l’alliance des rois tarés, des cardinaux moyenâgeux et des financiers corrompus écrase militairement l’ombre de la Révolution et envahit la France. Dans toute l’Europe commence alors le règne des policiers, des indics et des répressions sauvages de toute lutte sociale ou démocratique.
Dans un tel contexte, quelles forces restent susceptibles de résister ?
– les opprimés qui ne peuvent supporter le joug de leurs tyrans, ainsi le peuple grec assommé sous la dictature ottomane et ses alliés féodaux grecs.
– des sociétés secrètes comme la franc-maçonnerie. Ainsi, en Grèce, l’association Filikí Etería rassemble des intellectuels et bourgeois ; en 1820, elle décide une insurrection placée sous les ordres d’Ypsilantis.
– des hommes et femmes qui ont engagé leur vie pour un monde meilleur, par exemple durant la Révolution française, et ne peuvent abandonner le combat en chemin.
Le soulèvement débute le 22 février 1821 par l’entrée de troupes d’exilés grecs sur le territoire de l’empire ottoman. Elles sont commandées par un jeune étudiant sans aucune expérience militaire : Alexandre Ypsilantis . L’insurrection en Grèce même commence le 25 mars. Rapidement, l’armée régulière turque prend le dessus et pourchasse les révolutionnaires isolés.
Dans une situation aussi désespérée, peut-il venir des étrangers combattre les armes à la main aux côtés des Grecs ? Oui, les militaires aguerris durant la période 1789 1802 et suivantes, issus des combats face au monde fétide des royautés : des Italiens, des Polonais (Mierzewsky), des Allemands (Normann…), des Français (Persat, Raybaud, L’Homme, Voutier…).
Au 19 juin de la même année, toutes les troupes de l’insurrection paraissent écrasées par l’armée ottomane. En fait, l’élan populaire et national grec s’avère fort. Le commandant des troupes internationales, un ex-officier français nommé Bareste, fait preuve de qualités remarquables jusqu’au jour où les Turcs le capturent et le décapitent. Il est remplacé par Tarella, un Piémontais présentant le même profil, ancien officier de l’armée napoléonienne, engagé ensuite dans les sociétés secrètes républicaines, combattant durant la révolution piémontaise de 1821…
Lors de la bataille décisive de Péta le 16 juillet 1822, les Grecs placés en seconde ligne s’enfuient devant l’avancée des soldats ottomans. Les petites unités de “philhéllènes” supportent tout le choc de première ligne, se battent de façon tellement héroïque que leurs actes sont souvent passés dans la légende. Tous les chefs étrangers (Tarella, Dania, Raybaud…) et 300 de leurs proches meurent sur le champ de leur défaite inévitable.
Les survivants poursuivent le combat autour d’un nouveau chef Gubernatis, ancien capitaine piémontais des grenadiers de la Garde napoléonienne. En 1823, il protège Chios et prend le Péloponnèse intérieur car il bénéficie du renfort de nombreux démocrates chassés par les tueries infâmes des droites européennes. Ainsi, des Espagnols après la chute de Cadix, des Italiens animateurs des mouvements révolutionnaires écrasés de 1820 1823 (Pisa, Russo, Collegno, Santa-Rosa…), des Français décidés à être utiles partout où les armes parlent encore face à l’Ancien régime.
Un nouveau chef militaire apparaît alors. Il s’agit du colonel Fabvier. Né en 1782, sorti de l’Ecole polytechnique, il a sans cesse connu les combats, les blessures (Borodino), les missions difficiles (en Turquie, en Perse…). En 1815, il commande un corps de partisans pour protéger les frontières. De 1816 à 1822, il est sans cesse mêlé à des complots politico-militaires contre la royauté. En 1823, il passe en Espagne combattre avec les libéraux et républicains contre les royalistes absolutistes ; écrasé sous le nombre, il réunit des fonds et des troupes pour rejoindre les insurgés grecs… et va faire merveille. Il refuse tout grade même s’il fait fonction de général en chef des troupes philhéllènes “Simple volontaire, je commandais à ceux que leur confiance rangeait derrière moi”. Les opérations militaires ne présentent pas d’intérêt ici ; signalons seulement le rôle décisif de Fabvier dans la prise d’Athènes en 1826.
4) Proclamation de la république grecque mais les souverains de Russie, Royaume-Uni et France imposent un roi
Le 20 octobre 1827, les marines de France, Royaume-Uni et Russie battent celle des Ottomans à Navarin.
Après la victoire des armées russes, la Turquie se voit obligée de signer le Traité d’Andrinople (14 septembre 1829) et de reconnaître l’autonomie de la Grèce. La conférence de Londres (1830) décide d’un État grec indépendant ; la Grèce se déclare aussitôt indépendante.
La Troisième Assemblée Nationale grecque réunie à Trézène (printemps 1827) en pleine guerre face aux Ottomans avait opté pour une République, dirigée par Ioánnis Kapodístrias et une constitution démocratique.
Les grandes puissances européennes ne peuvent l’accepter et imposent la monarchie en la personne du second fils du roi de Bavière Louis Ier, Othon. Celui-ci impose l’hégémonie de ses 4000 soldats bavarois, de ses conseillers, de ses architectes, de ses choix politiques et financiers. Il gouverne en souverain absolu et se fait rapidement détester.
Les Puissances Protectrices (Royaume-Uni, Russie, France) poussent la Grèce à la guerre face aux Ottomans pour soutenir l’Egypte, apportent des prêts pour cette guerre mais utilisent ensuite cette dette pour véritablement humilier la Grèce qui n’est plus vraiment indépendante.
Jacques Serieys