Une centaine de militants du mouvement Extinction Rebellion a investi les cimenteries parisiennes Lafarge et Cemex ce lundi 17 février. Les activités des entreprises ont été bloquées pour dénoncer les impacts environnementaux du secteur de la construction.
Par Anaïs Grand
“Le ciment ment“, “Laisse le sable à la mer“. Prêts à partir, les poids-lourds sont à l’arrêt, et ne peuvent alimenter les différents chantiers d’Île-de-France. Éclaboussés de peinture jaune, fuchsia et turquoise, les camions-toupies ne tournent plus. Objectif : n’en laisser sortir aucun. Mission accomplie dans le calme par les activistes. Dès 8 heures ce jeudi matin 17 février, les membres de l’antenne parisienne d’Extinction Rebellion ont investi les sites des industriels Lafarge et Cemex, sur le quai d’Issy-les-Moulineaux, dans le XVe arrondissement de Paris. Banderoles, drapeaux, peinture, chorale et fanfare ont provoqué le retentissement d’une sirène d’alarme, annonçant l’arrêt des activités des industriels du ciment et béton. Les salariés des entreprises assistaient à la manifestation, impuissants du haut de leurs bureaux vitrés.
Défenseur climatique
Lancé en octobre 2018 au Royaume-Uni, le mouvement Extinction Rebellion (XR) s’est depuis étendu à travers de multiples cellules partout dans le monde afin de lutter contre l’effondrement écologique et le réchauffement climatique. En novembre, le groupe de désobéissance civile naît en France. Il fait parler de lui et devient médiatisé après une évacuation musclée par les forces de l’ordre, lors d’une manifestation pacifique sur le pont de Sully, à Paris, en juin dernier.
Par la suite, le mouvement a redoublé les actions. En octobre, les activistes avaient occupé pendant quatre jours une partie de la place du Châtelet lors d’une action baptisée la “dernière occupation avant la fin du monde“. Extinction Rebellion avait également ciblé la journée de soldes Black Friday en novembre. A terme, les manifestations coup de poing devraient converger vers “une réunion nationale du mouvement dans les mois à venir“, informe Diso, un membre du mouvement, sans plus d’informations.
Les principales revendications sont énumérées sur le site du mouvement. Mais les militants les connaissent par cœur. Primo : “reconnaître la gravité et l’urgence des crises écologiques, et apporter une communication honnête“. Secundo : “la réduction immédiate des émissions de CO2 pour atteindre d’ici 2025 la neutralité carbone“. Tertio : “Arrêter la destruction des écosystèmes. D’ailleurs, à travers l’action de ce jeudi, en exigeant l’arrêt des constructions en béton, car les industries se veulent capitalistes et surexploitent les ressources qui sont quasiment toutes épuisées“, énumère d’une traite Youji – un des organisateurs qui aime à se présenter uniquement sous un faux nom.
Organisation minutieuse
Le mouvement se déclare non-violent, mais “assume totalement les dégradations du jour“, insiste Diso, autre planificateur de l’action “Fin de chantier“. Il refuse lui aussi de divulguer son nom. Pourquoi ? Car les activistes d’XR empruntent donc des pseudonymes dans le but de ne pas avoir de chef identifié, pas de “porte-parole“, insiste-t-il. Et ainsi instaurer un pied d’égalité entre toutes les voix du mouvement. Via un talky-walky et une oreillette, il communique avec d’autres membres. Prévue depuis 3 mois, la manifestation est très organisée. Dès l’aube, les différents rôles ont été attribués.
Quand certains aspergeaient de peinture les camions dans un climat enfantin d’autres escaladaient habilement les cuves pour y accrocher des banderoles, formant un “STOP” coloré. Casques, baudrier, sacs de cordes… “Ils ont été préparés en amont“, tient à rassurer Diso. “Mais un responsable d’équipe de la société protestait contre l’ascension“, détaille Jeanneb, une autre activiste. Grâce aux “médiateurs” prévus par l’organisation, la situation a rapidement été tempérée. Mais ce n’est pas une raison pour relâcher l’attention. La militante continue de surveiller le mouvement des camions.
Ralliée à la cellule parisienne depuis le mois d’octobre, elle fait barrage au milieu de la voie et a comme objectif de n’en laisser sortir aucun. “Je voulais passer à l’action. Je n’en pouvais plus des marches tranquilles pour le climat”, raconte-t-elle. Alors, munie de son gilet et d’un drapeau au sigle XR du groupe, l’activiste œuvre aussi en tant que médiatrice. “Avec l’équipe, nous avons expliqué aux employés qu’ils pouvaient exercer leur droit de retrait, et ainsi stopper leurs activités. Je ne sais pas s’ils ont fait passer le mot à leur direction. Mais ils ont arrêté de travailler depuis un bout de temps“, se félicite-t-elle. Quand elle se charge de maintenir le calme, d’autres s’occupent de faire la même chose avec l’escadron de CRS sur le qui-vive. Pourtant, le calme régnait jusqu’à la fin de l’action.
Cibles identifiées
Sur les passerelles, un hamac a été suspendu, et déjà occupé. Pour accompagner les différents groupes éparpillés et allongés sur le bitume, qui attendent le repas en prenant paisiblement le soleil au bord de la Seine, une chorale et une fanfare déambulent. Sans pour autant perturber six activistes méditant tous yeux fermés devant un amas de sable, aspergé précédemment de faux-sang.
“A cause du béton, 8% de CO2 est émis chaque année“, estime Judith Pigneur, docteure en génie industriel.
Quelques mètres plus loin, des intervenants prennent le micro devant des bottes de foin entassées. Si les débats sont calmes, les alertes sont lancées. Chacun interpelle à tour de rôle sur la situation climatique et les enjeux que génèrent les industries du béton et du ciment. Dans un texte lu publiquement, les militants ont déclaré vouloir “occuper un lieu symbole de la catastrophe écologique“. Et Lafarge est concerné, faisant partie des plus gros extracteurs de sable. Pourtant, “les ressources naturelles pour le BTP sont quasiment toutes épuisées“, ont pacifiquement alerté les militants. Quant à Cemex, “la société se vante d’être éco-responsable alors qu’elle ne l’est pas ! Il n’y a qu’à voir les bassins de décantation de ciment un peu plus loin”, s’indigne Diso – un des organisateurs. “Il y a de l’eau partout sur le sol et ils sont extrêmement sales. Comme cette flaque boueuse“, montre-t-il du doigt, passant tout de même son chemin.
INTERVENTIONS DE SPÉCIALISTES
Les militants dénoncent ainsi “la grande majorité des industriels du secteur (du BTP) ont une politique irresponsable“. Selon le groupe, le secteur du BTP serait à l’origine de 39% des émissions mondiales de gaz carbone. Judith Pigneur, docteure en génie industriel, a été appelée “il y a deux semaines” par le mouvement pour apporter son œil de scientifique. Elle poursuit et décrit les impacts de l’industrie du bâtiment : “A cause du béton, 8% de CO2 est émis chaque année. Également, les quelques 30 milliards de tonnes de minéraux non-métalliques extraits par an – sable, ou encore calcaire – participent à l’épuisement rapide des écosystèmes“.
Youji est convaincu que des solutions et alternatives sont possibles. L’architecte de métier propose le bois et la paille pour remplacer le béton. “C’est totalement faisable. Dans d’autres pays, comme j’ai pu le constater moi-même, ils ont construit des bâtiments presque entièrement comme cela. C’est plus responsable“, lance-t-il au milieu d’une discussion paisible avec des amis. Pour l’heure, pas sûr que Lafarge et Cemex soient près d’être convaincus.