Par Yona Helaoua
24 octobre 2020
« Beaucoup de gens vous diront que je n’ai pas de cœur. » Bob Price, un Républicain de 67 ans basé à Delton, dans un comté pro-Trump du Michigan, se définit comme une personne « logique », dont les décisions ne sont pas basées sur les « émotions ». C’est le fondement de son opposition au « socialisme » : « Beaucoup d’idées socialistes ne sont pas défendues d’un point de vue logique mais d’un point de vue émotionnel. “Comment pouvez-vous faire ça à cet enfant ? À cette femme enceinte ? À cette personne âgée ?” Ils ne parlent pas, en revanche, de combien leur prise en charge va coûter. Et d’où vient cet argent ? Comment cela peut-il fonctionner sur le long terme ? »
Comme de nombreux partisans de Donald Trump, Bob Price, qui vit dans une jolie maison au bord d’un lac, cite l’économie parmi ses premiers sujets de préoccupation. Cet ingénieur à la retraite est farouchement attaché au libéralisme économique et à la théorie du ruissellement. Il souhaite donc que l’État dépense le moins possible en prestations sociales. « Comme le dit mon petit frère, fais ce que tu veux tant que ça n’est pas moi qui paye. » À ce titre, il salue les baisses d’impôts et les dérégulations consenties par l’administration Trump, même s’il estime que le président américain « n’est pas un conservateur mais un populiste ». « Mais quand on le compare à un socialiste, il reste le plus conservateur des deux », nuance-t-il, estimant que les États-Unis virent de plus en plus à gauche avec le temps. Il n’apprécie pas non plus ses tweets incessants et ses sorties publiques controversées : « Il a un comportement puéril, il ferait un bon élève de terminale », raille-t-il.
« Notre vie est meilleure qu’il y a quatre ans »
Cette critique revient assez souvent parmi les électeurs de Donald Trump. Mais l’essentiel, pour eux, est ailleurs. « Notre vie est meilleure qu’il y a quatre ans, assure Jill, une femme de ménage de 41 ans rencontrée à un meeting de Donald Trump près d’Orlando, en Floride. Nous avons davantage d’argent, nous pouvons nous permettre davantage d’activités avec notre famille, partir plus souvent en voyage, et nous avons plus d’économies que jamais auparavant. C’est grâce à la baisse des taxes, de toutes les politiques qu’il a mises en place pour aider la classe moyenne. »
Au fil des entretiens, les préoccupations économiques cèdent rapidement la place à des considérations sociétales. Dans le meeting de Floride, Austin, un étudiant de 18 ans, portait un t-shirt résumant sa frustration du moment : « Blanc, hétéro, conservateur, chrétien, masculin. Que puis-je faire d’autre pour vous offenser ? » « Je le porte car les hommes blancs aux États-Unis sont très attaqués par les médias et les démocrates », explique-t-il. « Moi je suis fier d’être un homme blanc, conservateur, chrétien, etc. », renchérit le jeune homme, reprenant des arguments se voulant anti-politiquement correct qu’on retrouve désormais chez l’extrême droite des deux côtés de l’Atlantique.
L’alliance des anti-avortements
L’opposition à l’avortement est l’une des valeurs conservatrices les plus mises en avant par les pro-Trump. Même les évangéliques pardonnent au Président ses frasques car il a fait de leur agenda — le renversement de l’arrêt Roe v. Wade de 1973 qui a légalisé l’avortement — une priorité en faisant basculer la Cour suprême à droite. La juge Amy Coney Barrett, nommée par Donald Trump après les juges Gorsuch et Kavanaugh, qui pourrait être confirmée le 26 octobre.
- Pour Lexie, la priorité aujourd’hui est d’être contre l’avortement.
Lexie Hall, militante anti-IVG de l’organisation Created Equal, qui a assisté à Cleveland (Ohio) au premier débat entre Donald Trump et Joe Biden, résume ainsi la situation : « Pour moi, l’avortement est le sujet le plus important. Donc si un candidat soutient cette pratique, je ne peux pas voter pour lui. » Ne voit-elle pas une contradiction entre ses positions soi-disant « pro-vie » et le soutien à un président qui a minimisé une pandémie qui a fait plus de 210.000 morts aux États-Unis ? « Même si Trump avait mal géré la crise du Covid-19, ce que je ne dirais pas personnellement, mon souci principal est le massacre de 2.300 êtres humains innocents qui a lieu légalement chaque jour en Amérique. »
La rengaine de la « majorité silencieuse »
Selon Bob Price, le retraité du Michigan, « un nombre incalculable de gens ne sont pas très engagés politiquement mais ont des idées bien plus conservatrices que ce qu’on voit dans les médias ». Selon lui, « la majorité silencieuse est plus importante que jamais », et elle soutient Donald Trump au même titre que celui-ci la soutient.
Steve, un fan de la première heure rencontré au meeting de Floride, se sent épaulé par le milliardaire comme jamais il n’a vu un homme politique le faire : « Nous l’aimons car il se bat pour ce pays. Il aime les gens, il aime les États-Unis et il est pour les États-Unis. Il va à l’ONU et il dit “l’Amérique d’abord”. Cet homme ne s’excuse pas et c’est pourquoi je voterai pour lui pour la seconde fois », dit cet ancien postier de 58 ans qui a commencé à s’intéresser à la politique « ces dix dernières années ». « Après Trump, je ne voterai plus, à moins que le candidat arrive à attirer autant de foules. »
« Notre air est le plus pur qu’on ait connu depuis des années »
Steve soutient toutes les décisions diplomatiques du 45e président des États-Unis. « Qu’est-ce qu’il a fait de mal pour ce pays ? Ou même pour le monde ? Il est en train de mettre fin aux guerres. Les gens ne l’aiment pas car il a tenu toutes ses promesses », déplore le quinquagénaire. Parmi ces promesses, la sortie de l’Accord de Paris est une bonne chose, selon lui : « L’Amérique devait faire tous les efforts, pas les autres. Il fallait rétablir une justice. Les plus grands pollueurs sont la Chine et l’Inde… Ils jettent leurs déchets dans les océans et ils veulent nous imposer des restrictions ? Balayez devant votre porte d’abord et ensuite revenez nous voir. Notre air est le plus pur qu’on ait connu depuis des années. »
Tous les partisans de Donald Trump ne nient pas le changement climatique. Mais ils n’affirment pas son existence non plus. « Je ne dis pas qu’il n’y a pas une forme de réchauffement en cours, mais je ne m’avancerai pas sur le fait que l’Homme en est à l’origine », dit Brian, un électricien de 53 ans rencontré dans un meeting de Donald Trump en Pennsylvanie. « Dans les années 1990, Al Gore [vice-président de Bill Clinton dans les années 1990 et qui milite pour l’environnement, NDLR] a sorti un film expliquant que ça serait bientôt terminé pour nous. Et pourtant, on est toujours là. »
En Pennsylvanie, l’exploitation du gaz de schiste est un enjeu économique majeur. Pour Brian, cette industrie doit continuer car il est trop tôt pour basculer dans les « énergies propres ». « La fracturation hydraulique, le gaz naturel, les énergies fossiles, tout ça, c’est très important », assure-t-il, avant de s’arrêter : « Cela dit, ils ne forent pas dans mon jardin, donc je ne sais pas… »