26 Novembre 2018
Des protestations de masse spontanées se sont déroulées dans quelques villes de province de l’Ukraine. Toute l’affaire consiste en ce que, avec l’arrivée de l’hiver, le chauffage n’a pas été mis en marche dans les maisons des habitants de ces villes. La raison n’en est pas uniquement les vols des responsables des services communaux et l’incompétence des autorités. Pour l’Ukraine c’est le signe annonciateur d’une grande crise.
Ca y est, le vrai hiver est arrivé en Ukraine – le thermomètre est maintenant en-dessous de zéro, et pas uniquement la nuit mais pendant la journée aussi. Dans ce contexte, vendredi dernier, le premier ministre de l’Ukraine Vladimir Hroïsman a annoncé que la saison de chauffage a commencé dans 95% des villes ukrainiennes. Cependant dans les 5% d’agglomérations restantes, les habitants continuent à geler, les hôpitaux renvoient au maximum les malades à la maison et les enfants des écoles et des jardins d’enfants sont envoyés en vacances forcées pour une durée indéterminée.
Pour ces villes ukrainiennes il n’y a pas de solution crédible à ce problème de chauffage – chacune d’elles a déjà accumulé des centaines de millions et milliards de hryvnia (monnaie ukrainienne) de dette pour la consommation d’énergie de chauffage. Cela étant on peut dire que c’est seulement le premier signe annonciateur [de la crise à venir NdT]: dans les régions habitées ukrainiennes où le chauffage a heureusement été mis, il y a exactement la même problématique que dans celles sans chauffage aujourd’hui.
Carte des endroits de l’Ukraine où l’on gèle
Actuellement les situations les plus critiques concernant le chauffage en Ukraine sont celles de Smel, Chepetovka, Krivoï Rog, Pavlograd, Severodonetsk et Kropyvnytsky (ex-Kirovograd).
Les autorités de deux petites villes ukrainienne –Smel et Chepetovka a– ont même, depuis le 12 novembre, déclaré l’état d’urgence:, “ayant épuisé tout l’éventail des outils juridiques pour résoudre le problème de manière légale”, selon leurs propres termes. Outre cela, demain, les autorités de Chepetovka a ont appelé les habitants de la ville à une réunion populaire (un vetché dans l’ancienne Russie) pour résoudre la question du chauffage de la ville. Mais que peut-on résoudre en s’adressant à la foule des concitoyens et de quelle manière peut-on chauffer la ville à l’aide de manifestations? Le débat est ouvert. Au vu de tout cela les autorités locales veulent simplement s’assurer du soutien “de la rue”: jeudi dans la ville, la température descendra jusqu’à -4°C.
Avant ça, l’usine de distribution de gaz “Chepetovka agaz” a informé la mairie que la société productrice de l’énergie thermique “Chepetovka Energoinvest” avait une dette chez “Naftogaz Ukraine” de l’ordre d’environ 60 millions de hryvnia (environ 145 millions de roubles, environ 2 millions d’euros). En conséquence de cela à compter du 13 novembre la pression de distribution du gaz sera réduite à zéro, ce qui conduira à l’inévitable arrêt des chaudières. Faire payer cette dette par les 45 mille habitants de Chepetovka est irréalisable puisque qu’elle s’est accumulée pendant bien quatre ans.
Et voilà qu’à Smel ,situé dans la région de Tcherkassy, il fait déjà -4° pendant la journée. Les raisons d’absence de chauffage à Smel sont les mêmes que celles de Chepetovka, les dettes des services communaux locaux envers les fournisseurs de gaz. En cela les dettes de Smel sont considérées également comme absolument insoutenables: une petite ville de 68 mille habitants doit à “Tcherkassygaz” plus de 200 millions de hryvnia (6 250 000 Euros environ). Cela étant, d’un point de vue formel, cette dette est celle de la compagnie privée de services “Smel Energoinvest” qui n’a déjà plus de liens directs avec la fourniture de l’énergie de chauffage de Smel, mais qui a cependant laissé la dette aux habitants de la ville, n’ayant pas payé le fournisseur en gaz pour le combustible consommé.
Comme à Chepetovka le pouvoir local en appelle aux habitant. “Si on en arrive aux extrêmes, demain je rassemblerai les gens et nous bloquerons les routes et attendrons la réaction du cabinet des ministres. Il ne nous reste rien d’autre”, a déclaré le maire de Smel, Alexeï Tsybko.
Hier, les routes ont été bloquées à Pavlograd, ville où les dettes envers les fournisseurs de gaz ont atteint 100 millions de hryvnia (environ 3 159 707 euros). Le 10 novembre la mairie avait officiellement promis que le chauffage serait mis dans les maisons de Pavlograd dans les très prochains jours. Selon les dire des fonctionnaires, “actuellement une maintenance technique est en cours sur les chaudières de la ville”. Au demeurant, de toute évidence les promesses des fonctionnaires n’ont pas beaucoup réchauffé les habitants de la ville et hier ils sont “sortis se réchauffer un peu” dans la rue (-3°C), et par la même occasion ont bloqué l’autoroute de Dnepropetrovsk à Donetsk.
Mais un record original a été établi dans l’affaire “luttes pour le chauffage” de Kryvoï Rog. Une foule de citoyens révoltés de cette ville ukrainienne de 630 000 habitants a, hier, fait brûler des pneus devant un bâtiment de la subdivision régionale de “Naftogaz Ukraine”. Des groupes d’”inconnus” ont bloqué l’accès des pompiers et des équipes techniques de la société et ont ensuite fait irruption dans les chambres de chauffe, ont brisé les scellés et ont d’eux-mêmes démarré les installations éteintes en raison des dettes. Du reste ça n’est pas étonnant: en tout à Kryvoï Rog le 12 novembre au matin la situation était la suivante: il y avait, sans chauffage, plus de 2 000 immeubles de plusieurs étages, 78 écoles, 75 jardins d’enfants et 22 hôpitaux, en tout plus de 300 000 personnes étaient sans chauffage. Aujourd’hui il fait aussi -4°C à Kryvoï Rog et les dettes des services communaux du réseau de chauffage s’élèvent à plus d’un milliard de hryvnia (environ 31 600 000 euros).
Les affrontements des employés communaux, des gaziers et des habitants de Kryvyi Rog ont déjà pris une tournure franchement criminelle: à part les cas de prise de possession illégale des équipements, des inconnus en cagoules ont, pendant le weekend, brisé les vitres du bureau et entaillé les pneus des véhicules de “Krivorojgaz” et coupé l’eau dans le bureau de ce fournisseur de gaz. Maintenant les “dépanneurs” du gaz répondent aux appels mais ne circulent dans la ville qu’accompagnés de patrouilles de police.
Le “triangle” maudit
Cette crise de fourniture du chauffage a surgi soudain dans quelques villes d’Ukraine, alors que l’on s’efforce d’en rendre responsables “les vilains oligarques”. Comme à Chepetovka et Smel où on accuse de ces malheurs les propriétaires des sociétés de chauffage municipales pratiquement inconnus qui, soi-disant, se sont approprié l’argent versé par la population pour le chauffage. Concernant la situation critique ayant surgi à Krivoï Rog, par tradition on accuse les membres de la famille Vilkul que l’on considère à juste titre comme les “pères de la ville” et la tête du clan politique local. Après tout, c’est une explication bien pratique alors que le problème réel se trouve être bien plus profond et insoluble.
Comme exemple parlant ça vaut le coup d’examiner la situation de la fourniture du chauffage dans la capitale Kiev où le conflit entre “Naftogaz” et les services communaux s’est bâti autour du changement de fournisseur de chauffage. Le précédent fournisseur était soi-disant “mauvais” et voilà que le nouveau sera, évidemment, “bien”. Cette année les autorités de Kiev ont décidé d’”enterrer” la vieille société “Kievenergo” avec ses milliards de dollars de dette en fondant rapidement de leur propre chef une nouvelle entité “Kievteploenergo” sur la balance de laquelle on été transférées toutes les usines thermoélectriques et les chaudières de Kiev.
Bien sûr, un montage aussi simple pour esquiver le paiement des dettes n’a absolument pas convaincu “Naftogaz”: Selon la législation ukrainienne les dettes pour le gaz consommé sont rattachées aux équipement consommateurs de gaz – et dans le cas qui nous occupe, les chaudières et les turbines des usines thermoélectriques et des chaudières de Kiev. Par chance pour les habitants de Kiev, les scénarii provinciaux de Krivoï Rog et Smel ont été considérés comme pouvant coûter trop cher à l’image du pays et le chauffage a été mis dans les appartements de Kiev. Bon, c’est vrai que c’est sans eau chaude dans de nombreux immeubles.
Derrière tout ça ne reste que la dette sans issue de “Kievenergo” envers “Naftogaz”. Mais la ventilation de cette dette avait déjà été annoncée publiquement durant la période chaude d’été, ce qui a enlevé toute délicieuse odeur de “coq grillé” [qui réserve de mauvaises surprises] qui maintenant picore le postérieur des fonctionnaires de Chepetovka, Smel, Pavlograd ou Krivoï Rog. Au début du conflit “Kievenergo” devait à “Naftogaz” près de 3,3 milliards de hryvnia [environ 104 millions d’euros] desquels seulement 2,6 milliards [environ 82 millions d’euros] représentaient la dette des consommateurs, mais il y a encore près de 730 millions de Hryvnia [environ 23 millions d’euros]… que le gouvernement lui-même devait pour ce qu’on appelle une subvention affectée à l’aide au paiement des services de production d’énergie thermique.
En fait il n’y a rien d’étonnant dans les dettes des entreprises communales envers les fournisseurs de gaz; ce n’est qu’une partie constitutive de la crise d’endettement dans la structure des services communaux, “un raz de marée” qui déjà submerge toute l’Ukraine.
Mais les villes qui se gèlent, mentionnées plus haut, sur la carte de l’Ukraine ne sont que les premiers frêles esquifs submergés par cette vague. Tandis que la brèche à bord du “Titanic” de Kiev n’est pas moindre, les iceberg gelés des immeubles, hôpitaux et jardins d’enfants pris en glace, menacent la capitale ukrainienne exactement au même degré.
Ce problème systémique qui a émergé dans la sphère de l’administration des communes ukrainiennes n’a pas de solution crédible. Les consommateurs ordinaires en Ukraine ne paient pas, non pas en raison de quelle que “vilénie” que ce soit, mais en raison d’un simple manque d’argent pour le paiement des tarifs ogresques des services communaux. La tentative de versement d’aides aux consommateurs dans le besoin par l’Etat a, de fait, également échoué: cette année le volume d’endettement envers les services communaux n’a fait qu’augmenter, malgré les assurances en tout genre d’une “protection sûre” des couches indigentes de la population ukrainienne. Pour l’année suivante, la situation se présente rien moins que sans espoir – dans ce contexte d’augmentation inévitable des tarifs on veut diminuer les aides aux catégories modestes de consommateurs ukrainiens des services communaux, en invoquant une amélioration mythique de leur “bien-être”.
Un choix simple: geler ou se ruiner
Tout porte à croire que face à cette situation les autorités de Kiev vont agir de deux manières différentes. Comme nous l’avons déjà dit dans le triangle ” fournisseurs de gaz-services communaux – consommateurs”, comme dans d’autres schéma semblables où l’on transfère les services et les moyens contre leur paiement, les entreprises communales ne sont que des intermédiaires.
Bien sûr, cela n’élimine pas les vols ou même la gestion inefficace dans les sociétés communales, cependant leur part dans la destruction des services communaux est minimale. Les deux raisons principales de cette longue crise d’endettement sont tout autres – l’augmentation galopante des tarifs des services communaux qui se heurte à l’impossibilité physique de la population à les payer.
Il est facile de prévoir les conséquence d’un tel effritement: le triangle “fournisseurs de gaz – services communaux – consommateurs” craque sous toutes ses coutures et, qui plus est, non seulement sur les questions d’approvisionnement en gaz et en production d’énergie, mais aussi sur toutes les questions de service communal, en commençant par le ramassage des ordures et en finissant avec l’approvisionnement en électricité, en eau et en entretien des canalisations. Et ceci menace de ne pas être simplement des crises ou catastrophes locales mais l’effondrement de toute la sphère des logements communaux de l’Ukraine.
Etant donné qu’il est pratiquement irréalisable d’obliger les fournisseurs de services à baisser leurs tarifs, tout le poids en sera mis sur les épaules des consommateurs. Mais devant eux s’offre une solution simple: ou bien geler dans la rue ou bien littéralement se retrouver “en slip” après avoir régler les nouveaux tarifs.
Et c’est ainsi que déjà en décembre 2018 le prix du chauffage à Kiev augmentera de 32%. Officiellement c’est lié à l’augmentation du prix du gaz sur laquelle a insisté le FMI et qui a été imposée par décision du gouvernement ukrainien en octobre. Cependant là dessous il y a une part de ruse et d’extorsion cachée à l’encontre des habitants de la capitale car, mine de rien, les tarifs du gaz n’ont augmenté que de 23%. Mais au moins les habitants de Kiev pourront ainsi vivre dans des appartements chauffés – comme on l’a déjà dit, car montrer au monde entier le spectacle évident d’une Kiev en train de geler ne rentre pas, pour le moment, dans les plans de l’élite ukrainienne.
Et c’est ainsi que les habitants des villes de province ukrainiennes auraient intérêt à se préparer au pire. Comprenant qu’ils n’ont pas les moyens de payer même selon les anciens tarifs existants, on leur suggère de se “sauver” eux-mêmes. Cela signifie que les pouvoirs ukrainiens se laveront simplement les mains de la question des prestations des services communaux centralisés, attirant les citoyens vers le fantôme du “chauffage individuel” mais laissant de côté les problèmes de son coût réel et de sa dépendance aux systèmes locaux d’approvisionnement en gaz et en électricité nécessaires à l’installation des équipements directement dans les appartements ou les immeubles.
Effectivement, devant un tel futur ukrainien, des services communaux autrefois développés et qui représentaient la marque d’un état social contemporain, s’avèrent aujourd’hui parfaitement superflus.
Et en plus de ça en Ukraine la population est clairement trop nombreuse pour les objectifs d’une production agricole et artisanale. C’est pourquoi les élites actuelles ukrainiennes s’appuient par tous les moyens sur l’Occident: en effet ils exécutent sans un murmure le programme de “réformes”, massacrant leur propre industrie, culture et organisation sociale, condamnant leur propre population à une fuite peu glorieuse au-delà des frontières du pays. Et si les habitants de Smel, Chepetovka, Pavlograd et même de Krivoï Rog s’enfuient de leurs villes gelées et indigentes, alors qui cela troublera-t-il? Même à Kiev ce n’est pas tout le monde qui sait où se trouvent ces villes sur la carte. Alors, à plus forte raison, à Londres, Paris et Washington.
Ainsi, malheureusement ces 95% de villes prêtes à affronter l’hiver ne représentent qu’un début. Ensuite, il y en aura moins.
Texte: Alexeï Anpilogov
Source : ВЗГЛЯД, Alexeï Anpilogov, 13-11-2018