Depuis 2010 sont appliquées en Grèce des mesures ressemblant étrangement, sur de nombreux points, aux “lois Travail XXL” qui doivent être prochainement adoptées par ordonnances en France. Sept ans après les premières dispositions, le bilan est inquiétant.
Le 25 mai 2017, tout le monde a entendu parler de l’attentat perpétré, en Grèce, contre Loukás Papadímos, l’ex-banquier reconverti en premier ministre qui, en novembre 2011, avait constitué un gouvernement mêlant les sociaux-démocrates du Pasok, le parti de droite Nouvelle démocratie et un parti d’extrême-droite appelé LAOS.
Une autre explosion est passée sous silence : elle s’est produite dans l’entreprise Top Gas, à Elefsina à quelques kilomètres d’Athènes, et a grièvement blessé trois salariés. Elle est symbolique des conditions dans lesquelles vivent, au travail, des milliers de Grecs. Ironie de l’Histoire, c’est ce banquier qui a signé l’acte de décès du droit du travail grec.
“Réformes” au nom de la “compétitivité”
« Les cadres du droit du travail ont été détruits progressivement mais tout était déjà en germe dans le texte de 2010 », explique Ellie Varchalama, conseillère juridique à la GSEE, la confédération syndicale du secteur privé. La Grèce risque alors le défaut de paiement. Le gouvernement en place, dirigé par Giorgos Papandreou, signe avec l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international un accord de prêt, en échange de profondes réformes à appliquer dans le pays.
Elles comportent des baisses des salaires et des retraites, des hausses fiscales, des coupes dans les dépenses publiques et sociales, des privatisations ou, encore, des réformes du marché du travail. Avec un prétexte : améliorer la compétitivité et la productivité hellènes. Mais l’économie plonge dans une récession incessante, à court de liquidités. Deux autres prêts et leur corollaire, deux mémorandums, viendront donc s’ajouter. Ironie du sort, c’est celui paraphé en 2012 par Loukas Papadimos qui va le plus loin dans les “réformes”.
« Il est plus institutionnel que le précédent ; il sape les négociations collectives », analyse Savas Robolis, professeur à l’Université Panteion d’Athènes. Et pour cause, au programme : suppression des conventions collectives et primauté́ aux accords d’entreprise qui peuvent même être conclus avec des “associations de personnes” au détriment de la représentation syndicale, abolition des Prud’hommes, fin du financement des syndicats ou encore baisse du salaire minimum, qui passe de 751 euros pour tous à 586 euros bruts, et même 510 euros pour les moins de vingt-cinq ans.
En juillet, Alexis Tsipras, le leader du parti de la gauche, Syriza, est contraint de signer à un troisième mémorandum. Le système de retraite par répartition devient par capitalisation, la pension minimale est fixée à 386 euros bruts (seuil de pauvreté). Même le droit de grève est menacé.
Précarité et insécurité du travail
Ces mesures ont beau contrevenir aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), à la charte sociale du Conseil de l’Europe, au traité de Lisbonne et à certaines directives européennes, elles ont été appliquées en Grèce. Leurs effets sont dramatiques. Sur le plan macroéconomique d’abord. Entre 2010 et 2016, le PIB s’est effondré de 27%. Le nombre de petites et moyennes entreprises a fondu, passant de 900.000 en 2009 à 450.000 aujourd’hui. Le chômage est le plus élevé de la zone euro ; à moins de 10% en 2009, il frappe aujourd’hui 21,7% des actifs, et même 44,4% des 15-24 ans.
Sur le plan du travail ensuite, « flexibilisation et précarisation sont les conséquences de ces décisions », poursuit Savas Robolis. Un travailleur sur cinq n’est pas déclaré́ du tout et 200.000, au moins, travaillent à plein-temps, alors qu’ils sont déclarés à temps partiel auprès du ministère du Travail. 300.000 autres sont embauchés comme indépendants et ont donc les cotisations sociales à leur charge. Plus de 50% des nouvelles embauches se font à temps partiel.
Mais les entreprises n’ont pas seulement taillé dans les dépenses sociales. Elles ont aussi coupé dans les dépenses pour l’hygiène et la sécurité. L’été 2017 en a été le triste révélateur ; les médias comme The Press Project ou Rizospastis ont égrené dans leurs pages les accidents du travail, une vingtaine au total. À Elefsina, un syndicaliste déplore : « Nous ne pouvons plus contrôler les entreprises comme Top Gas. Les portes sont fermées aux syndicats. Nous n’avons pas de moyen de pression… » Selon un rapport de l’inspection du travail, les accidents du travail, y compris mortels, sont passés de 5.721 déclarés en 2010 à 6.500 en 2016 malgré la hausse du chômage et la baisse de 30% de l’activité des entreprises.
Du côté des syndicats grecs, un interlocuteur sourit à l’évocation des lois Macron : « Bienvenue dans la jungle grecque. Nous n’étions qu’un cobaye. » Sourire amer, averti. Et prévenant.
www.regards.fr