En Finlande, l’hiver est si chaud que les oiseaux ne migrent plus

Dans le sud de la Finlande, les habitants vivent un hiver « noir », sans neige et avec des températures particulièrement douces. À Vaasa, la compétition de sculpture sur glace annuelle a même été remplacée par une compétition de sculpture… sur sable.

Par Augustine Peny
15 février 2020

En ce mois de février, une atmosphère étrange règne à Helsinki, la capitale finlandaise. Des bourgeons ont fait leur apparition sur les arbres. Pas un centimètre de neige n’est visible et l’herbe est verdoyante. La mer Baltique, à proximité des côtes, est encore à l’état liquide et toute la journée les oiseaux chantent à pleine gorge. En temps normal, au milieu de l’hiver, la nature semble figée et endormie. Le sol est enrobé d’une épaisse couche de neige et l’on peut aisément traverser les eaux gelées à pied ou en patins à glace pour rejoindre les différentes îles.

Cette année, bien loin de la carte postale enneigée, le sud de la Finlande connaît un hiver particulièrement doux. Le mois de janvier a été entre 7 et 8 degrés plus chaud que les moyennes de saison et des records de température ont été enregistrés dans plusieurs zones du pays. Si bien que l’on peut dire que l’hiver n’a pas encore commencé. En effet, les chercheurs finlandais utilisent le terme « d’hiver thermal » pour définir l’hiver, qui correspond à au moins dix jours de températures négatives.

Bien qu’il y ait déjà eu des hivers doux auparavant, le mois de janvier a été « exceptionnel », précise Ilona Lang, chercheuse à l’Institut météorologique finlandais. Elle attend tout de même de voir si le mois de mars, normalement froid et neigeux, confirmera la tendance.

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« Beaucoup d’oiseaux ont décidé de ne pas migrer cet hiver »

Depuis plusieurs semaines, une très basse pression du Sud-Ouest et l’absence d’air froid venant de la Russie ou de l’Arctique ont provoqué ces températures élevées. Un seul hiver doux ne peut pas être expliqué par le réchauffement climatique à lui seul mais le lien est établi. « Selon nos modèles climatiques, ce genre d’hivers pluvieux et noirs vont être de moins en moins rares, avec une hausse des températures d’environ 4 ou 5 degrés d’ici 2100 dans le sud et l’est de la Finlande », explique Ilona Lang.

Le « non-hiver » est observé dans tout le sud de la Scandinavie — à l’inverse, tout au nord, en Laponie, l’hiver reste froid et il n’y a jamais eu autant de neige. Pour la première fois depuis les premières mesures météorologiques, les quatre capitales nordiques, Oslo, Stockholm, Helsinki et Copenhague affichaient un mercure au-dessus de 0 degré Celsius tous les jours du mois de janvier. Début janvier, avec 19 degrés, la Norvège enregistrait son record de température hivernale.

Hauteur de neige (en centimètres) en Finlande, février 2020 : le sud du pays est peu enneigé.

À Helsinki, les membres de BirdLife Suomi, une association de protection de la biodiversité, constatent un changement impressionnant dans les populations d’oiseaux en raison de cet hiver doux. « On a déjà enregistré un record du nombre d’espèces présentes dans la région », précise ainsi le biologiste Petri Lampila ; « Cela signifie que beaucoup d’oiseaux ont décidé de ne pas migrer cet hiver. Ils n’en ont pas forcément besoin puisque les eaux ne sont pas gelées ». Une augmentation du nombre d’oiseaux semble plutôt bon signe au premier abord mais le biologiste ne s’en réjouit pas : « À l’avenir, le nombre d’espèces va augmenter mais nous allons aussi peut-être perdre des espèces nordiques qui vont manquer d’espace. » Autre inquiétude, les oiseaux risquent de commencer leur reproduction trop tôt ce printemps et la nourriture pour les nouveau-nés pourrait manquer. « Ces changements de température arrivent si vite que les espèces n’ont pas encore le temps de s’adapter », explique Petri Lampila.

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À Helsinki, les équipes municipales chargées du déneigement ont été transférées au jardinage

Face à un hiver sans neige, que les Finlandais appellent « hiver noir », c’est aussi un spleen qui règne dans le sud du pays. Imaginer que les hivers neigeux vont devenir l’exception sous-entend un véritable changement sociétal. Dans le sud du pays, les activités hivernales favorites des Finlandais comme le ski et le patin à glace se font cette année sur des patinoires et des pistes artificielles. À Helsinki, les équipes municipales chargées du déneigement ont été transférées au jardinage. À Vaasa, la compétition de sculpture sur glace annuelle a été remplacée par une compétition de sculpture… sur sable. Ilona Lang, à 31 ans, constate déjà ce changement en repensant aux hivers de son enfance. « Un hiver sans neige, c’est tellement étrange pour nous. Cela fait tellement partie de notre culture, d’ailleurs je ne sais pas combien de mots différents nous avons pour la décrire », raconte-t-elle.

L’importance sociétale de la neige se remarque d’ailleurs à la fréquence d’utilisation du mot « lumi » (neige, en finnois) dans les chansons populaires finlandaises. Elle est surtout l’élément attendu chaque hiver comme celui qui apporte la lumière pendant des jours particulièrement sombres. Des hivers de plus en plus noirs peuvent ainsi accentuer les épisodes de dépression saisonnière déjà bien présents dans ces territoires nordiques. À l’avenir, luminothérapie et activités d’intérieur seront ainsi peut-être le quotidien hivernal de ces populations. « Bien sûr, certains se réjouissent de cet hiver doux car cela rend la vie plus facile, commente Ilona Lang. Les rues ne sont pas glissantes et les trains sont à l’heure. Mais de façon générale, en hiver, la plupart des Finlandais n’attendent qu’une chose : la neige ».

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