«Voter Front national, c’est approuver la xénophobie. Voter Macron, c’est accepter la soumission. Moi, je ne peux pas choisir». Emmanuel Todd ira à la pêche ou se promener dimanche prochain, mais en aucun cas il ira voter. C’est ce qu’il nous dit, avec humour, mais sans plaisanter. L’intellectuel et polémiste Emmanuel Todd (65 ans) est un anti-européen forcené. Et une critique féroce de la vie politique française. Le débat d’entre-deux-tours ne l’a pas réconcilié avec la présidentielle. Interview.
Le débat Marine Le Pen contre Emmanuel Macron vous a-t-il fait changer d’avis: toujours abstentionniste?
Emmanuel Todd: Non. Le débat ne m’a pas fait changer de position. Ce que j’ai vu était une comédie. Mais j’ai acquis la conviction que le FN ne voulait pas le pouvoir!
Qu’est-ce qui vous fait dire cela?
J’ai eu le sentiment étrange qu’un scénariste unique avait rédigé deux partitions: le fasciste hystérique et le bon élève discipliné. J’ai vu l’affrontement de la France d’en bas contre la France d’en haut comme dans une mise en scène. J’ai vu un système: vulgarité contre conformisme. Marine Le Pen a permis à Emmanuel Macron de ne pas parler de son absence de solution à la paralysie de la France. Elle n’a rien dit. Il n’a rien dit. Et en tant que Français, j’ai eu honte de ce que le débat soit devenu ça dans cette grande Nation. J’ai pensé que cette médiocrité allait faire regretter à beaucoup Jean-Luc Mélenchon.
Mais approuvez-vous le choix de Jean-Luc Mélenchon de ne pas donner une indication d’un vote clair pour le second tour?
On entend les commentateurs dire, c’est affreux, cette entorse à la loyauté républicaine, il se suicide. Au contre, je considère que le refus de Jean-Luc Mélenchon de prendre position automatiquement pour Emmanuel Macron est l’acte fondateur de quelque chose de nouveau. Il montre un vrai tempérament d’homme d’Etat. Enfin dans ce pays, une gauche alternative a le courage de se libérer du dogme européen. Car si rien ne change, les élections continueront d’être une sorte de fiction. Il serait plus honnête d’élire un vice-chancelier pour la France.
Vous ne craignez pas d’aider Marine Le Pen?
Le Front national n’a pas enregistré au 1er tour la progression que beaucoup prédisaient. C’est le résultat du succès de Jean-Luc Mélenchon. Cela fait des décennies que j’analyse les flux électoraux et je n’avais jamais vu un exploit de ce genre. Il gagne huit points par rapport à la dernière élection présidentielle. Il est également le seul candidat qui a des voix parmi les travailleurs «transclasse»: diplômés, jeunes, vieux, classe moyenne.
Battre le FN n’est donc plus une priorité?
Utiliser le bulletin de vote Macron pour barrer la route à Marine Le Pen signifie aussi frustrer cet élan extraordinaire qui est, à ce jour, la seule véritable opposition au Front national. A long terme, Emmanuel Macron est un marchepied pour Marine Le Pen. Personnellement, je considère le lepénisme et le macronisme comme les deux faces d’une même médaille. On ne peut pas choisir le racisme de Marine Le Pen. Mais Emmanuel Macron, c’est la soumission aux banques, à l’Allemagne, à tout ce qui nous a conduits à la crise d’aujourd’hui. C’est pourquoi je m’abstiens toujours, et même avec joie, en attendant la naissance d’un monde meilleur. Mais ce ne sera pas pour cette fois, parce que je suis convaincu maintenant que Macron va gagner.
Comment en êtes-vous si certain?
La présidentielle se décide par le vote des électeurs âgés. Qui ont peur de quitter l’Europe. Et si l’on additionne les voix de Macron, Hamon et Fillon au premier tour, nous nous rendons compte – ô surprise – que les candidats pro-européens ont remporté la majorité. L’européisme est une forme de conservatisme. Le résultat de ce grand cirque électoral, c’est que le vote de Maastricht est reconduit au premier tour de la présidentielle. Le programme d’Emmanuel Macron est européiste… On est dans un pays qui fait semblant d’exister. Le rêve français, c’est de sortir de l’histoire. (TDG)