Malgré la multiplcation des tueries de masse, le lobby aux 5 millions de membres ne baisse pas la garde pour défendre le droit des Américains à posséder une arme à feu.
Par Marie-Violette Bernard Clément Parrot France Télévisions
Deux nouvelles tueries ont ensanglanté les Etats-Unis le même week-end. A El Paso (Texas) et à Dayton (Ohio), deux villes situées à environ 2 500 kilomètres de distance, deux hommes ont sorti un fusil d’assaut à quelques heures d’intervalle, samedi 3 et dimanche 4 août, ôtant la vie à au moins 31 personnes. De nouveaux drames qui relancent l’éternel débat sur les armes à feu outre-Atlantique. Dans le camp démocrate, plusieurs voix se sont élevées pour exiger un contrôle renforcé, à commencer par Barack Obama. Sur Twitter, l’ancien président a estimé qu’un durcissement des lois “pourrait arrêter certains massacres”.
En face, les défenseurs du port d’armes ne baissent pas la garde. La célèbre NRA (“National Rifle Association”), principal lobby pro-armes, a rapidement présenté ses condoléances aux familles avant d’entonner son habituel refrain : “La NRA est attachée à l’utilisation sûre et légale des armes à feu par ceux qui exercent leur liberté dans le cadre du deuxième amendement.” Et pour évacuer toute polémique, l’organisation a ajouté qu’elle “ne participerait pas à la politisation de ces tragédies”.
54 millions de dollars pour Trump et les Républicains en 2016
“Après une fusillade, ils rejettent les accusations et espèrent que la colère qui les vise se dissipera”, souffle à franceinfo Josh Sugarmann, directeur du Violence Policy Center, une organisation anti-armes. De fait, depuis leur communiqué laconique, les porte-paroles de la NRA se font discrets. Sollicité par franceinfo, le groupe de pression a pour l’instant choisi de ne pas en dire plus. “Leur stratégie est de ne pas répondre à la presse après une fusillade. Lorsque la tempête politique est passée, après quelques semaines, ils reprennent leur communication”, explique Robert Spitzer, professeur de sciences politiques à l’université de Cortland.
La NRA, forte d’un budget de 419 millions de dollars en 2016, ne lésine pas sur les moyens lors de ses opérations de lobbying. Lors de la campagne républicaine d’il y a trois ans, le groupe de pression a dépensé 54 millions de dollars, dont 31 millions pour la campagne de Donald Trump. Il a cherché à “protéger les majorités républicaines à la Chambre des représentants et au Sénat”, indique Anna Massoglia, chercheuse au Center for Responsive Politics (CRP), organisme spécialisé dans le financement politique. “Il s’agit d’une augmentation considérable par rapport aux années précédentes. Les dépenses déclarées par la NRA pour Trump représentent plus que les dépenses combinées du lobby pour les élections en 2008 et en 2012”, détaille-t-elle.
L’engagement politique de la NRA s’est considérablement intensifié au cours des dernières décennies et a atteint son apogée en 2016.à franceinfo
Cette puissance financière est alimentée par diverses donations et par les cotisations des quelque 5 millions de membres revendiqués par l’association. Parmi les donations, le Violence Policy Center relève qu’entre 2005 et 2013 fabricants et distributeurs d’armes ont donné “entre 19,3 et 60,2 millions de dollars” à la NRA. “Le groupe n’est pas tenu de divulguer l’origine de ses fonds. Il est donc difficile de déterminer qui finance les activités de la NRA ou le montant de ces donations”, observe Anna Massoglia.
Les ressources de la NRA lui ont souvent permis de jouer les trouble-fêtes lors des élections. Lors de la campagne présidentielle en 2000, le lobby a déboursé 20 millions de dollars pour orchestrer une campagne de dénigrement contre le candidat démocrate Al Gore, à l’origine d’une loi anti-armes. “La NRA a joué un rôle décisif dans sa défaite”, assure aux Echos Matt Bennett, ancien conseiller à la Maison-Blanche.
“Effrayer certains candidats”
Au-delà des élections, la NRA cherche à peser directement dans le débat politique. Comme le rappelle NBC, l’association s’est réjouie d’une session législative “très fructueuse” au Texas, après le vote de dix nouvelles lois favorables aux armes à feu. La nouvelle législation, qui doit entrer en vigueur le 1er septembre, soit moins d’un mois après la tuerie d’El Paso, assouplit les règles du port d’armes dans les églises, les immeubles d’habitation ou encore à proximité des écoles.
Pour organiser son lobbying, la NRA attribue à chaque élu, qu’il soit républicain ou démocrate, une note allant de A à F, en fonction des positions politiques sur le contrôle des armes. Le “A” correspond à la meilleure appréciation, tandis que le “F” fait office de note éliminatoire. Ces évaluations se reflètent dans le soutien financier apporté aux élus, comme le montre cette infographie du New York Times. Elles servent aussi à mobiliser les adhérents de la NRA. “Ils peuvent être appelés à manifester ou à appeler les élus. La plupart des Américains s’engagent peu dans la vie politique, alors quand un petit groupe de personnes le fait, ils peuvent avoir beaucoup de poids”, explique Robert Spitzer.
Certains élus n’hésitent pas à mettre en avant la bonne note attribuée par le lobby. “De nombreux représentants des circonscriptions conservatrices ont des idées proches de celles de la NRA”, souligne Robert Spitzer. Plusieurs conservateurs travaillent même étroitement avec l’organisation. “Tous les sénateurs républicains qui comptent avaient le numéro de portable de Chris [Cox, l’ancien lobbyiste en chef du mouvement], explique ainsi un proche à CNN. Et vice versa.” En retour, la NRA mobilise ses partisans en période électorale. “Ils ne se contentent pas de dire ‘allez voter pour ce candidat’“, assure un sénateur républicain à la chaîne américaine, sous couvert d’anonymat. Ils persuadent, ils motivent les gens à se rendre aux urnes.”
“Ils disent même à leurs membres comment, où et quand voter lors des primaires, ce qui a été une aide énorme pour certains d’entre nous” —à CNN
La NRA peut aussi se révéler être un adversaire redoutable, comme en témoigne David Jolly dans Newsweek. Elu représentant en Floride en 2014 avec le soutien du lobby, il propose deux ans plus tard une loi durcissant les conditions de vente des armes, en réponse à la tuerie d’Orlando. “Ils ne m’ont pas soutenu lors du scrutin suivant, raconte-t-il. J’ai été abandonné.” David Jolly échoue de peu à l’élection en 2016, un revers qu’il attribue notamment à la perte du financement venu de l’association pro-armes. “Leur réputation surpasse leur capacité réelle à influencer les scrutins, mais elle suffit à effrayer certains candidats”, nuance le politologue Robert Spitzer. “D’un côté, vous avez les élus loyaux à la NRA. Et de l’autre, vous avez ceux qui ne veulent pas se la mettre à dos”, résume Josh Sugarmann.
Bourse d’études et “discours apocalyptique”
Le réseau de militants reste la principale force de la NRA, qui fait tout pour choyer ses membres. L’adhésion à l’année coûte 45 dollars et permet d’accéder à de nombreux services, en plus des cadeaux de bienvenue (sac, caquette ou couteau siglé). Le site de l’organisation promet ainsi des réductions sur des bouteilles de vin ou une assurance contre le cancer. A travers sa fondation, la structure va jusqu’à offrir des subventions ou des bourses d’études pour des projets en lien avec ses actions (essentiellement la promotion des armes à feu et le renforcement de la sécurité liée aux armes).
“Au-delà des incitations matérielles, le pouvoir de la NRA découle de l’adhésion de ses membres à la culture américaine des armes à feu. Ce n’est pas un objet de consommation, mais un symbole de liberté, d’individualisme, d’opposition à un gouvernement fort”, estime Robert Spitzer. Le groupe de pression n’hésite pas à souder régulièrement sa base militante en insistant sur ces valeurs politiques et historiques. “Il s’adresse à ses sympathisants, et non à l’Américain moyen, à travers des publicités à la télévision et en ligne. Le discours est volontairement apocalyptique et évoque par exemple ‘la liberté assiégée’, pour les pousser à s’investir.”
“Le message fondamental envoyé aux adhérents est que l’élite (les médias, les membres du Congrès, Hollywood…) va leur enlever leur arme. Donc qu’ils doivent donner de l’argent et s’impliquer avec la NRA, abonde Josh Sugarmann, militant anti-armes. Ils donnent également à leurs partisans le sentiment de faire partie d’un mouvement qui sauve l’Amérique.”