Elle sourit

Par Serge Grossvak

Elle sourit. Tout le temps elle sourit. Un grand et beau sourire, on ne voit que lui. Une pointe de rire est accroché derrière. Menue, blonde et souriante notre gilet jaune, elle porte d’avantage à l’image de la Madonne qu’en la rebelle Marianne. Et pourtant.

Et pourtant ses mots premiers sont à la manifestation. Elle dit le gaz qu’elle s’est habituée à respirer, le flashball qui a frappé le mur à quelques cm, un coup de matraque au passage, le doigt d’honneur d’un CRS auquel elle a répliqué sans hésiter. Elle dit avec le sourire, grand. Vaillante et souriante, samedi après samedi, plus déterminée que jamais, elle manifeste. Déterminée parce qu’insupportable, inadmissible qu’un pouvoir lui interdise ainsi la parole. Elle manifeste pour la première fois, porte attention à la politique pour la première fois. Un pas est franchi, pour toujours, pour la vie. Elle a appris, elle continue d’apprendre. Décidée, déterminée.  

Là, d’un coup, elle lâche une bribe de son histoire. Elle révèle cette force immense camouflée derrière son sourire : le suicide de son ex mari quinqua qui n’avait pas supporté son licenciement. Ce que son sourire cache.

A ce sourire répond cet autre fier sourire du gars de cité. Le sourire belle allure, très belle allure de l’employé de grand hôtel. Horaires impossibles, incompatibles avec les obligations de père divorcé. Il faut un boulot à horaires « normaux ». Postier de l’enfer, y a du boulot. Bosser au golf où s’alignent les Porches, où se délassent les friqués, 1200€ net, pas un sou de plus, chaque week-end, chaque jour férié. Voilà le boulot de « l’autre côté de la rue ». Fracture de ce monde. Banalité.

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Violence, violence de cette société qui jette les vies au rebut. Société qui blesse et mutile, loi du marché. Violence enfermée au fond de tant et tant de gens. Violence invisible qui tout soudain surgit. C’est cela l’expérience des gilets jaunes, l’invisible devient parole. Le renfermé, le caché devient parole. Ceux d’en haut, ceux du monde du fric à foison, ceux de la certitude méprisante ne savent pas, ne veulent pas savoir. Ce monde qu’ils nous ont imposé est un monde de gueules cassées, de vies blessées. Un monde d’humanité mutilée. Des millions de blessés. Et tout soudain, dans cette révolte, la conscience nait que chaque souffrance fait écho aux souffrances des autres.

Autour de la table de nos rencontres, sous le doux soleil, devant nos verres, petit à petit se vident les sacs de nos vies. Ce n’est pas une plainte, pas une prière. Juste ce n’est pas juste. Ce monde n’est pas juste. Ceux d’en haut, ceux du monde du fric à foison, ceux de la certitude méprisante n’ont pas conscience de ce qui a cheminé dans nos têtes semaines après semaines. Aujourd’hui nous savons comme une évidence. Ce monde n’est pas juste. Ce monde n’a aucune légitimité. Ce monde est à changer. Nous sommes en chemin, nous débroussaillons le chemin. Ca ne va plus durer.

Macron, on vient te chercher, pour la poubelle de l’Histoire.

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