D’un président à l’autre : Emmanuel Macron versus Napoléon III

 

Par Jean-Claude Yon
2 août 2017

On a récemment comparé Emmanuel Macron à Louis-Philippe. Le parallèle avec Napoléon III est bien plus pertinent. Et si les débuts du nouveau quinquennat ressemblait à ceux du Second Empire ?

Dans une tribune récente publiée par Le Monde, Grégroire Franconie a comparé avec brio Emmanuel Macron à Louis-Philippe. Evoquant la prise de parole du président devant le Congrès réuni à Versailles, il a notamment rappelé le parallèle effectué par certains – de façon négative – avec les débuts du Second Empire, à savoir l’« Empire autoritaire », et rappelé que, par ce discours, le nouveau président se plaçait bien plus dans les pas de Louis-Philippe que dans ceux de Napoléon III. Il n’empêche. Si on examine plus largement les débuts du quinquennat en se livrant au jeu des comparaisons historiques – en étant bien conscient qu’il ne s’agit que d’un jeu et que vouloir en tirer des conclusions serait tout à fait vain –, c’est bien au neveu de Napoléon Ier et non au fils de Philippe-Egalité, c’est bien à 1852 et non à 1830 que l’on songe.

Deux maîtres en politique

Comparer Emmanuel Macron et Louis-Napoléon Bonaparte n’est possible que si l’on fait abstraction de tout ce qui sépare les vies politiques des XIXe et XXIe siècles. Point de coup d’Etat, heureusement, en 2017 ! Et il important de se souvenir que le projet politique de celui qui avait été le prince-président avant de devenir l’Empereur des Français était basé sur la suppression des libertés publiques et le refus du parlementarisme (lequel, du reste, n’en retrouva pas moins toute sa vigueur dans la seconde partie du règne). Ceci posé, on peut malgré tout s’amuser à trouver bien des points communs entre les deux hommes, le plus important étant sans doute leur remarquable sens politique. Lors de l’élection d’Emmanuel Macron, on a souvent rappelé qu’il accédait à la fonction suprême à peu près au même âge que Louis-Napoléon Bonaparte. Cette jeunesse est un atout, tout comme le fait que personne n’avait prédit leur fulgurante ascension. Thiers pensait pouvoir manœuvrer Louis-Napoléon Bonaparte à sa guise et François Hollande confiait à Gérard Davet et à Fabrice Lhomme que si son protégé voulait mener « je ne sais quelle aventure personnelle, […] ce serait sans avenir. » La foi inébranlable en leur destin et l’originalité de leurs parcours – qu’on pourrait presque qualifier de romanesque – constituent un autre point commun, tout comme un indéniable pouvoir de séduction qui agit autant auprès des « grands » que de l’homme et de la femme de la rue. Un certain goût du secret, la capacité à ne pas trop s’épancher les rapprochent également Par ailleurs, les deux hommes s’appuient sur le suffrage universel d’où ils tirent leur légitimité : la présidentielle de 1848, les plébiscites de 1851 et 1852 et les législatives de février 1852 (certes faussées par la candidature officielle) pour l’un, la présidentielle de mai 2017 et les législatives du mois suivant pour l’autre. On voit bien comment ces victoires électorales, à dire vrai assez écrasantes, ont pu nourrir le césarisme démocratique de Napoléon III et pourraient inciter le nouveau président à « jouer » le peuple contre les corps intermédiaires, quitte à justifier plus ou moins les soupçons de dérive autoritaire que certains ne manquent pas déjà de formuler.

Read also:
Marxist-Christian Symposium on Common Challenges in Europe

1852 et 2017

Il est vrai que les deux hommes accèdent au pouvoir dans une situation politique tout à fait exceptionnelle. Mettre en regard la France de 1852 et celle de 2017, redisons-le, est périlleux mais on peut tout de même souligner que, dans les deux cas, le pays, secoué par de fortes crises politiques, sociales et économiques, lassé par une classe politique dont la corruption ou les « affaires » l’ont durablement détourné, déçu par la droite et par la gauche – ici deux quinquennats ratés, là l’échec des monarchies constitutionnelles et de la République de 1848 –, est prêt, au moment où les deux hommes accèdent au pouvoir, à accorder toute sa confiance à celui qui lui redonnera à la fois l’espoir et la fierté de croire en ses chances dans un monde qui, aux deux époques, apparaît dangereux et incertain. C’est sur un champ de ruines politique que le parti bonapartiste s’empare du Corps législatif en 1852 tout comme, dans une moindre mesure, La République en marche de la Chambre des députés en 2017. Napoléon III et Emmanuel Macron n’ont aucun mal à rassembler autour d’eux les modérés de droite et de gauche, formant une large coalition qui rejette leurs opposants aux deux extrêmes. Ils réunissent des équipes qui se veulent pragmatiques et mettent en avant une vision a priori non idéologique, empruntant ici ou là leurs idées (le fameux « en même temps » d’Emmanuel Macron) et faisant appel à toutes les bonnes volontés. Là encore, on n’aura garde de confondre le XIXe et le XXIe siècles et d’oublier la terrible répression dont furent victimes les Républicains après le coup d’Etat. Mais on peut, certes avec un peu de malice, rapprocher les déboires de François Bayrou et le départ du ministère de l’Intérieur, en janvier 1852, du comte de Morny à la suite de la nationalisation des biens des princes d’Orléans, ou encore la retraite politique de Jean-Pierre Raffarin et l’attitude des responsables orléanistes se repliant sur la vie académique et les travaux intellectuels. Et l’on ne peut qu’être frappé par la place centrale accordée par les deux hommes aux questions économiques (le fait est nouveau dans le cas de Napoléon III) et par leurs liens avec les milieux d’affaires – le passage d’Emmanuel Macron par la banque Rothschild faisant écho à la visite rendue par l’Empereur des Français à James de Rothschild dans son château de Ferrières en 1862. On pourrait multiplier les exemples. Citons-en encore un car il est important : avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon III et celle d’Emmanuel Macron – tous deux très attentifs, d’ailleurs, aux questions allemandes –, la France réaffirme sa place dans les affaires internationales. Le premier voulait mettre fin au système instauré par les traités de 1815 et replacer la France au premier rang européen, ce qui fut fait avec le Congrès de Paris (1856) qui faisait suite à la guerre de Crimée remportée avec les Anglais face à la Russie. Le second a réussi à redonner espoir dans le projet européen et, tant face à Donald Trump qu’à Vladimir Poutine, il a su faire valoir ses idées et ses positions. Pour parvenir à leurs fins sur la scène internationale, l’un et l’autre ont su user de cette intelligence politique (certes bien prise en défaut quand Napoléon III eut face à lui Bismarck !) et de ce pouvoir de séduction déjà évoqués. Prospérité économique, dynamisme diplomatique : telle fut pendant longtemps la clé de la légitimation politique du Second Empire. Emmanuel Macron saura-t-il retrouver la formule, en l’adaptant à notre époque ?

Read also:
Before presidential run-off, Emmanuel Macron appeals to Jean-Luc Mélenchon voters

Comme on l’a dit en préambule, le rapprochement ici esquissé ne saurait livrer au nouveau président on ne sait quelles « leçons de l’histoire » ni fournir des arguments à ses soutiens comme à ses adversaires (même si on imagine bien Jean-Luc Mélanchon emprunter à Victor Hugo la posture de l’adversaire irréductible et contempteur : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »). Terminons plutôt par une pirouette. Il est devenu courant de comparer Emmanuel Macron à Jupiter. Cette allusion à la mythologie peut tout aussi bien renvoyer à sa parodie, en l’occurrence au génial opéra bouffon d’Offenbach, Orphée aux Enfers (1858) où Jupiter (« Papa Piter » pour les intimes…) a bien du mal à faire régner l’ordre dans l’Olympe. « Sauvons les apparences au moins ! Sauvons les apparences ! Tout est là ! », s’écrie-t-il. Puisse Emmanuel Macron, si féru d’histoire et de théâtre – et qui a fait jouer du Offenbach lors de sa cérémonie d’investiture, ce qui montre une belle absence de préjugés ! –, utiliser sa maîtrise de la communication non pour simplement sauver les apparences mais pour réaliser les réformes qui permettront à la France de s’adapter au monde moderne comme ce fut le cas – quel que soit le jugement politique que l’on porte sur le Second Empire – dans les années 1850 et 1860.