Dick Marty sur le trafic d’organes au Kosovo : « Qui sera assez fou pour témoigner ? »

19 Mar., 2018
Source : Justiceinfo.net, Fondation Hirondelle, le 27 avril 2017.

Devant un public nombreux de l’université de Neuchâtel, où l’émotion des guerres de l’ex-Yougoslavie était bien palpable, Dick Marty, l’auteur du rapport explosif de décembre 2010 sur le trafic illicite d’organes au Kosovo, s’est exprimé mercredi dans le cadre du « Carrefour de Sarajevo ».

C’était la première fois depuis des années que Dick Marty, (membre par ailleurs du Conseil de la Fondation Hirondelle, propriétaire de JusticeInfo.net) revenait sur son rapport qui met en cause l’actuel président du Kosovo, Hashim Thaçi. Il accusait celui-ci d’être « l’un des plus dangereux parrain de la pègre albanaise ». Le rapport affirmait que le président du Kosovo et ses proches « ont ordonné, et parfois personnellement veillé au bon déroulement d’un certain nombre d’assassinats, de détentions, d’agressions et d’interrogatoires dans diverses régions du Kosovo et notamment à l’occasion d’opérations menées par l’UÇK sur le territoire albanais, entre 1998 et 2000. »

Mandaté à trois reprises par le Conseil de l’Europe pour enquêter respectivement sur les prisons secrètes de la CIA en Europe, sur les crimes dans le Caucase du Nord, et sur le trafic d’organes au Kosovo en 1999, Dick Marty a goûté de près au cynisme de la Realpolitik et de la raison d’Etat. Mercredi soir, il a avoué avoir été « ébranlé » par la rédaction de ces trois rapports qui, dit-il, « ont détruit bien des illusions, bien des espoirs que j’avais en la justice : J’ai découvert que les gouvernements mentent, que les gouvernements manipulent l’information, que des hommes ont un double langage, ils parlent le dimanche des droits de l’homme et le lundi matin, ils les bafouent ».

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Revenant sur le rapport lié aux assassinats et au trafic d’organes, dont se sont rendus responsables des responsables de l’UCK (l’armée de libération du Kosovo) et notamment de l’actuel président de la république du Kosovo, Dick Marty s’étonne que l’ex-procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Carla del Ponte, n’en a fait état que dans son livre paru en 2008, « La traque, les criminels de guerre et moi » ; soit quatre ans après l’échec des enquêtes de ses services pour faire la lumière sur les allégations contenues dans le rapport Marty. « Etonnement » redoublé, raconte Dick Marty, lorsque en 2010, il demande à voir les éléments de preuve que les enquêteurs du TPIY ont récolté sur le trafic d’organes, et qu’on lui dit que « ces preuves ont mystérieusement disparu du bureau du procureur »…

Pour l’ex-procureur tessinois, la justice sur cette affaire est un leurre : « les Américains ont privilégié la stabilité à court terme. Avec les Européens, ils ont fermé les yeux même s’ils savaient tous parfaitement à quoi s’en tenir sur les têtes du crime organisé au Kosovo et sur les crimes qu’ils commettaient ».

Dans quelques jours, les Chambres spéciales sur le Kosovo vont devenir opérationnelles et auront pour mandat de poursuivre les auteurs du trafic d’organes mis en lumière par Dick Marty. Mais celui-ci n’attend rien du premier Tribunal jamais créé par l’Union européenne : « Qui, dans ces conditions, serait assez fou pour témoigner vingt ans après les faits ? Beaucoup de témoins ont déjà été assassinés ».