Deutsche Bank: l’effet papillon ou l’effet Bretzel ?

L’annonce du Mégaplan de survie du mastodonte allemand plonge l’Europe économique dans un silence qui en rappelle un autre : Lehman.

Par Karl Eychenne
10 juillet 2019

« La Deutsche Bank, en difficulté, a annoncé dimanche qu’elle procéderait au licenciement de 20 000 personnes sur ses 91 500 employés, et au transfert de 50 milliards de prêts douteux à une « structure de défaisance » (bad bank). » (Bloomberg)

On se doutait un peu que les choses n’allaient pas fort du côté de la belle Allemande :

  • baisse de près de 90 % du cours boursier depuis la crise de 2008
  • pertes de la banque sur 4 des 5 dernières années
  • 5 CEO utilisés depuis 2012
  • fusion avortée avec Commerzbank.
  • « La banque la plus dangereuse du monde », selon l’économiste en chef du FMI en 2011

Deutsche Bank, LA banque allemande, née il y a près de 120 ans, traversant les deux guerres, l’hyper-inflation de 1923, la crise économique et financière de 1929, et les récentes crises des subprimes (2008) et de la dette souveraine (2010-12). En fait, ce sont ces deux dernières crises qui auront eu raison de la machine allemande, trahissant certaines faiblesses et largesses.

Le problème c’est que la banque allemande reste un monstre, qui effraie autant par les encours qu’elle possède (4ème détenteur européen) que par ceux qu’elle vient de mettre en quarantaine dans sa bad bank (50 milliards). On imagine alors l’onde de choc au cas où la grande faucheuse de la finance passait par là.

Itinéraire d’un enfant pas gâté

1/ Au départ, cela ressemble à l’histoire banale d’une grosse banque qui survit à la crise des Subprimes.

Cette banque compte alors sur ses deux moteurs pour refaire surface, comme tout le monde : la banque de détail et la banque d’investissement. Non, en fait il y a un troisième moteur : la politique monétaire non conventionnelle de la Banque Centrale Européenne et les éventuels petits arrangements des autorités allemandes qui détiennent quand même 15 % du joujou germanique. Et puis, il y a l’empêcheur de tourner en rond : le macro-prudentiel, qui prend la forme de stress tests ou autres contraintes, que les banques traînent alors comme un boulet.

— Concernant la banque de détail, la croissance économique est bien repartie depuis 2008, notamment en Allemagne, et ce malgré quelques trous d’air. Du coup, les encours de crédit ont également gonflé ce qui fut une bonne nouvelle, mais largement contrebalancée par l’effet négatif de la forte baisse des taux d’intérêt. Ainsi, les marges bénéficiaires des banques ont été plus que pincées comme on dit, pour la Deutsche Bank comme pour l’ensemble des banques allemandes.

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— Concernant la banque d’investissement, on imagine alors que la sortie de crise des Subprimes (mars 2009) va permettre de générer un retour en territoire positif des bénéfices, aussi bien du côté des actif dits traditionnels que des actifs dérivés. Mais rien à faire, quand ça veut pas… De plus, la crise de la dette souveraine (2010-12) vient fragiliser davantage les positions en titres d’emprunts d’États périphériques de la Deutsche Bank.

— Le QE et autres TLTRO ? il s’agit de toutes les mesures dites non conventionnelles de la BCE qui ont permis à la zone euro de survivre, sous perfusion de 2010 à 2012, voire davantage. Les emprunts d’États périphériques (Italie, Portugal, Grèce…) dont personne ne voulait trouvaient soudainement preneurs, et les banques commerciales auxquelles plus personne ne voulait prêter trouvaient soudainement prêteurs. De bonnes nouvelles pour la Deutsche Bank dont les encours en titres italiens auraient pu lui faire plus de mal encore.

2/ Puis, cela devient une histoire très singulière…

Plus que les autres, Deutsche Bank va souffrir de trois maux majeurs :

— Elle est rattrapée par les affaires, et voit se succéder les amendes et les personnes impliquées.

— Elle peine à se débarrasser de son panier de titres toxiques hérités de 2008, et en accumule de nouveaux, pas franchement plus présentables.

— Elle est handicapée par un process jugé vieillissant, des difficultés croissantes à attirer des têtes bien faites, etc…

La sanction est immédiate :  la note de la banque est régulièrement dégradée, elle a alors de plus en plus de mal à faire appel aux marchés pour se refinancer, survivre lui coûte alors de plus en plus cher pendant qu’elle affiche perte sur perte.

La deuxième sanction est mécanique : la banque affiche le plus mauvais ratio dépenses sur revenus de toutes les banques européennes, pire que les banques italiennes.

La Banque allemande n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Chrysalide, zombie, ou dinosaure

3 possibilités s’offrent alors à la banque allemande :

— L’option Chrysalide : c’est l’option la plus optimiste, celle qui limite la casse. Quand nécessité fait vertu, c’est une fois au pied du mur qu’on se dépasse pour se réinventer. Alors la Banque allemande opèrerait sa mue, celle qui lui permettrait de survivre ? A priori, c’est l’option choisie par les dirigeants actuels, enfin presque puisqu’ils proposent un retour aux sources à la banque de détail, et une amputation partielle de la banque d’investissement.

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— L’option Zombie : à vrai dire, elle existe déjà plus ou moins, puisque les autorités monétaires et budgétaires ont déjà multiplié les tours de passe-passe pour faciliter la survie de la banque allemande. De toute façon, tous les États ont fait de même avec leurs banques locales. L’avantage, c’est que la banque devient alors immortelle, l’inconvénient c’est qu’elle n’est plus vraiment vivante : on appelle cela un zombie, les Japonais pratiquent également.

— L’option Dinosaure : la banque se suicide ou bien disparait à « l’insu de son plein gré », parce que le marché ou une entité suprême le décide. C’est finalement 100 % de l’effectif qui disparaît dans la nature. Par contre, les encours eux ne disparaissent pas, et la suite dépend alors de ce que l’on trouvera sous le capot. La création d’une « bad bank » autorise d’ores et déjà à penser qu’il y aura du sang sur les murs comme on dit, puisqu’à la fin il y a toujours quelqu’un qui paie : soit l’autre banque, soit le consommateur si c’est l’État qui paie, soit le consommateur encore si c’est la Banque Centrale qui paie. La partie banque de détail serait susceptible de souffrir de créances dites douteuses, mais seulement dans le cas où la récession économique survenait.

Quel impact sur la stabilité économique et financière en Europe ?

Curieux : nos autorités ont bien imaginé des stress tests officiels qui déterminent l’impact d’une crise économique sur nos banques, mais pas l’inverse, c’est-à-dire l’impact de la faillite d’une grosse banque sur nos économies ; or c’est bien lui qui nous intéresse dans le cas présent. Bon, il existe quand même quelques papiers académiques qui nous éclairent, et concluent à peu près tous à la même chose : « Too big to fail ». Autrement dit, il faut toujours sauver le soldat grosse banque, quel qu’en soit le prix, car ne pas le sauver ferait plus de dégâts encore. Effectivement, la faillite de Lehman fut très éclairante de point de vue.

Donc, la Deutsche Bank ne peut pas faire faillite ? Les investisseurs raffolent de ces petits raisonnements boiteux du genre « si ça va mal, alors la Banque Centrale interviendra, donc ça n’ira pas mal ». Ces raisonnements ne fonctionnent pas évidemment, puisqu’il arrive que les marchés baissent, il arrive que des grosses banques fassent faillite, et il arrive donc que les choses aillent mal.

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1/ L’effet papillon

Tout a déjà été dit sur la réaction en chaîne qu’une telle faillite pourrait provoquer.

Oui, une telle faillite pourrait plonger l’Europe dans le chaos ; dans ce cas les investisseurs font un raccourci logique fallacieux mais qui fait beaucoup de dégâts : ne pas savoir est équivalent à savoir que pas ; autrement dit, ne pas savoir s’il faut encore traiter avec la Deutsche Bank est équivalent à savoir qu’il ne faut pas traiter avec la Deutsche Bank. Les dirigeants de la Banque Allemande auront beau présenter leurs meilleurs arguments, on ne convainc pas la tendance, on la suit.

On peut préciser que la réaction en chaîne convoque alors autant le rationnel que l’irrationnel : le rationnel puisqu’effectivement la faillite de la Banque pénalise économiquement d’autres entités financières, et in fine le financement de l’économie ; irrationnellement puisque dans ce cas, personne ne veut détenir la patate chaude, quel qu’en soit le prix aussi faible soit-il.

2/ L’effet Bretzel

L’origine du Bretzel est assez floue, mais il y en une plutôt appropriée à notre propos : un boulanger de la cour aurait mal cuit son pain. Il aurait alors été jeté au cachot. Le seigneur lui donna une dernière chance ; il lui demanda un pain « au travers duquel le soleil brillerait trois fois ». Le boulanger trouva la solution en créant le bretzel. Peut-être que la Deutsche Bank a aussi trouvé son Bretzel en annonçant son méga-plan de survie.

Car rappelons que pour l’instant, il n’est pas question de faillite. Au contraire, il est question de survie de la banque allemande. Et rappelons aussi que pour l’instant, l’accueil des marchés n’est pas catastrophique, et que celui des analystes est même plutôt favorable. Alors si la panique n’est pas exclue, elle est en tout cas moins justifiée.

Peut-être les marchés seront-ils assez taquins, et attendront l’arrivée de Christine Lagarde pour sonder la capacité du nouveau Draghi à produire des formules magiques du genre « whatever it takes »…

https://www.contrepoints.org/2019/07/10/