Cela ne pourra pas durer, mais depuis 2010 c’est par dizaines de milliards que se chiffrent les bénéfices de l’Etat allemand et de l’économie allemande du fait du plongeon de l’économie grecque et des économies des pays les plus « faibles » dans la crise de la zone euro. D’autres pays en ont aussi bénéficié, dont la France, mais c’est dans le cas de l’Allemagne que le phénomène est le plus massif et c’est aussi le seul pour lequel on dispose de chiffres récents et fiables.
Ce transfert indirect de richesses n’est pas la principale explication de l’intransigeance funeste des dirigeants allemands vis-à-vis de la Grèce et de la mollesse complice des dirigeants français. La principale explication est politique et non pas économique : il faut tuer au plus vite les velléités des peuples d’échapper à la domination des partisans néolibéraux de l’austérité, de la destruction des droits sociaux et des privatisations des biens publics. Mais le fait que ces orientations rapportent très gros aux dominants ne peut que les encourager à poursuivre : c’est dans leur intérêt, au moins à courte vue.
Guillaume Duval avait pointé, graphiques à l’appui, ce phénomène important mais peu visible et non médiatisé dans un excellent article d’AlterEcoPlus du 15 juillet dernier intitulé « L’Allemagne profite de la crise de la zone euro: depuis 2008 elle y a gagné 193 milliards d’euros ».
Une analyse confirmée et précisée ensuite dans une étude allemande du Halle Institute for Economic Research publiée le 10 août sous le titre « L’Allemagne profite de la crise grecque ». Même Le Figaro l’a relayée, sur la base d’un communiqué de l’AFP, dans les termes suivants (extraits) :
« Selon des calculs de l’Institut IWH, l’Allemagne a pu réaliser des économies budgétaires de quelque 100 milliards d’euros depuis le début de la crise grecque en 2010, soit plus de 3% du Produit intérieur brut (PIB).
Ces économies dépassent le coût engendré par la crise et ce même si la Grèce ne remboursait pas entièrement sa dette”, écrivent les économistes. “L’Allemagne a donc dans tous les cas profité de la crise en Grèce”, poursuivent-ils.
Les experts ont effectué des simulations en partant du constat que les investisseurs confrontés à une crise économique effectuent le plus possible des placements sûrs. “Durant la crise européenne de la dette, l’Allemagne a profité de cet effet de manière disproportionnée”, selon eux.
Ils ont également cherché à évaluer quelle aurait été une politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) neutre pour l’Allemagne durant cette période. “On en vient à des taux simulés sur les emprunts d’Etat allemands qui, en moyenne entre 2010 et aujourd’hui, sont 3% plus élevés à ce qu’ils ont été dans la réalité”, selon eux, ce qui revient à des économies budgétaires globales d’au moins 100 milliards d’euros sur les quatre dernières années et demi”.
BIEN D’AUTRES BENEFICES POUR L’ECONOMIE ALLEMANDE ET POUR CELLES DES PAYS « FORTS » (POUR L’INSTANT)
Mais il n’y a pas que cet effet massif sur les finances publiques allemandes. Dans le même article du Figaro il est écrit que « L’Allemagne a également raflé d’importants contrats lors des privatisations menées tambour battant par Athènes depuis 2011 en échange de l’aide financière des Européens notamment. La société Fraport, associée à un entrepreneur grec, a notamment décroché le contrat de rachat de 14 aéroports régionaux grecs, dont certains très touristiques comme Corfou, pour environ un milliard d’euros. »
On peut aller plus loin encore, en suivant une excellente analyse d’Eric Toussaint d’octobre 2012 (Grèce/Allemagne : qui doit à qui ? (2) Créanciers protégés, peuple grec sacrifié), où l’on trouve ceci (extraits) :
I. Les plans d’« aide » servent les intérêts des banques privées, pas ceux du peuple grec
Les plans d’« aide » mis en place depuis mai 2010 ont d’abord servi à protéger les intérêts des banques privées des pays les plus forts de la zone euro qui avaient augmenté énormément leurs prêts tant au secteur privé qu’aux pouvoirs publics grecs au cours des années 2000. Les prêts accordés à la Grèce par la Troïka depuis 2010 ont servi à rembourser les banques privées occidentales et à leur permettre de se dégager en limitant au minimum leurs pertes. Ils ont aussi servi à recapitaliser les banques privées grecques dont certaines sont des filiales des banques étrangères, françaises en particulier…
2. Les prêts accordés à la Grèce rapportent de l’argent… hors de Grèce !
… Quand le premier plan de prêt de 110 milliards d’euros a été adopté, Christine Lagarde, alors ministre des finances de la France, a fait observer publiquement que la France prêtait à la Grèce à un taux de 5% alors qu’elle empruntait elle-même à un taux nettement inférieur.
La situation est tellement scandaleuse (un taux élevé a aussi été appliqué à l’Irlande à partir de novembre 2010 et au Portugal à partir du mai 2011) que les gouvernements prêteurs et la Commission européenne ont décidé en juillet 2011 que le taux exigé de la Grèce serait en fait réduit |11|. Quel aveu ! Bien que cette décision soit entrée en pratique, la différence entre le taux d’emprunt auquel ces pays se financent et le taux qui est exigé de la Grèce est restée importante.
3. La crise de la zone euro fait baisser le coût de la dette pour l’Allemagne et les autres pays forts
[On retrouve ici le phénomène de transfert indirect analysé au début de ce billet]. Les pays qui dominent la zone euro tirent profit du malheur de ceux de la périphérie (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, pays de l’ex bloc de l’Est membres de l’UE). L’aggravation de la crise de la zone euro, due à la politique menée par ses dirigeants et non à cause de phénomènes extérieurs, entraîne un déplacement des capitaux de la Périphérie vers le Centre. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique en bénéficient grâce à une réduction très forte du coût du financement de leurs dettes.
4. Programme de privatisation dont bénéficient les entreprises privées des pays du Centre
Les politiques d’austérité imposées à la Grèce contiennent un vaste programme de privatisations dont les grands groupes économiques, notamment allemands et français, pourront tirer profit car LES BIENS PUBLICS SONT VENDUS A DES PRIX BRADES.
A l’encontre cite et commente une longue interview donnée par Costas Mitropoulos, un des personnages chargés du programme de privatisation en Grèce, au quotidien suisse francophone Le Temps le 7 avril 2012 : « Les bureaux du Fonds hellénique de développement des actifs (« Hellenic Republic Asset Development Fund ») jouxtent, à Athènes, un musée consacré à l’histoire de la capitale grecque. Un symbole, tant le processus de privatisations mené par une vingtaine d’experts, sous la direction de l’ancien banquier Costas Mitropoulos, doit changer à terme le visage de la Grèce » avant d’ajouter : « C’est à ce fonds, constitué à la demande de l’Union européenne (UE), que l’Etat grec transfère au fur et à mesure les propriétés, les concessions et les participations qui doivent trouver acquéreur. Avec pour objectif, selon les plans initiaux de l’UE, d’engranger au moins 50 milliards d’euros de recettes d’ici à la fin 2017. »
Costas Mitropoulos, banquier, a été actif à Genève et souligne que « le transfert des propriétés à notre fonds, par l’Etat grec, s’est accéléré »… « J’ai, comme banquier d’affaires, présidé aux destinées de l’une des plus importantes fusions-acquisitions en Grèce : le rachat, par le groupe international Watson, du groupe pharmaceutique hellénique Specifa pour près de 400 millions d’euros. Je connais les règles : UN INVESTISSEUR, POUR ETRE AUJOURD’HUI INTERESSE PAR UNE PRIVATISATION GRECQUE, DOIT POUVOIR ESPERER TRIPLER OU QUADRUPLER SA MISE. UN EURO INVESTI DOIT EN RAPPORTER TROIS OU QUATRE. »