Denis Langlois – ‘Panagoulis, un héros toujours présent’

Par Aurore Le Perff
Publié le 28/02/2019

Réédité 50 ans après, le livre ‘Panagoulis, Le sang de la Grèce’ retrace le procès du célèbre militant durant la dictature des colonels. Le Petit Journal d’Athènes a interviewé Denis Langlois.

panagoulis denis langlois

Ce livre est une autre façon de découvrir cette période sombre de la Grèce, la dictature des colonels. En 1968, Alekos Panagoulis est arrêté pour avoir organisé un attentat contre le colonel Papadopoulos. Un procès s’organise et est même médiatisé dans le monde entier. La dictature des colonels assure que ce sera un procès équitable. Tous les acteurs sont là : juges, avocats, procureur, accusés.

Denis Langlois, avocat au Barreau de Paris, est envoyé pour suivre de près ce procès en tant qu’observateur judiciaire de la Fédération internationale des droits de l’homme. Mais il se rend très vite compte de l’hypocrisie de cette mise en scène dictatoriale. Entre tortures, fausses preuves et témoignages forcés, quelque chose manque… le respect des droits de l’homme, peut-être ?

Lepetitjournal.com/Athènes Jeune avocat à la Ligue des droits de l’homme. Mai 68 en France. Dans quel état d’esprit êtes-vous arrivé en Grèce ?

Denis Langlois : J’étais un militant des droits de l’homme. J’avais participé à Paris aux événements de Mai 68, je rêvais d’une société plus libre et plus juste. Arrivant dans un pays écrasé par une dictature – c’était alors aussi le cas en Espagne et au Portugal, pour ne parler que de l’Europe occidentale -, il était de mon devoir de dénoncer les conditions dans lesquelles était jugé le jeune militant Alekos Panagoulis qui, en risquant sa propre vie, avait essayé de tuer le colonel Papadopoulos, principal dirigeant de la junte militaire.

Était-ce la première fois que vous interveniez en tant qu’observateur judiciaire ? Pouvez-vous expliquer en quoi consistait votre rôle et le pouvoir que vous aviez ? 

Un observateur judiciaire est un témoin, mais un témoin actif. Il suit les procès et s’assure que les droits essentiels sont respectés – ce n’était bien sûr pas le cas dans la Grèce des colonels où la torture était largement pratiquée. L’observateur judiciaire demande à rencontrer les accusés (là aussi c’était impossible), les avocats, les juges. S’il constate de graves violations des droits, il les dénonce publiquement dans des rapports, des articles, des conférences de presse. C’est là le pouvoir dont il dispose : informer, en appeler à l’opinion, espérer la faire réagir.

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Le procès d’Alekos Panagoulis et de ses camarades en novembre 1968 était le premier procès politique que je suivais à l’étranger. J’étais avocat depuis peu, mais j’étais le conseiller juridique de la Ligue française des droits de l’homme depuis un peu plus longtemps. Par la suite, j’ai suivi pour la Fédération internationale des droits de l’homme des procès politiques en Tunisie, en Algérie, au Koweit, au Mali, en Espagne. Je suis retourné en Grèce pour suivre comme observateur plusieurs procès de résistants et résistantes, dont celui du sociologue Vassilis Filias.

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Les colonels n’ont guère apprécié mes comptes-rendus de procès. Ils m’ont expulsé de Grèce en septembre 1969, alors que je venais m’informer du sort de Jean Starakis, un journaliste à la double nationalité grecque et française, qui avait été arrêté et torturé. J’ai été remis d’office dans un avion pour Paris. Un observateur judiciaire ne bénéficie d’aucune immunité diplomatique ou autre. Ce n’était bien sûr rien par rapport à ce que subissaient les résistants grecs, mais cela m’a empêché de continuer en Grèce mon travail d’observateur.

Pourriez-vous décrire l’ambiance durant le procès de Panagoulis entre les différentes parties ? Les juges ne devaient pas voir votre présence d’un bon œil ?

C’était une atmosphère de peur. Aussi bien dans l’enceinte de la Cour martiale d’Athènes que dans l’ensemble du pays. On le sentait dès qu’on débarquait à l’aéroport.

Les chauffeurs de taxi refusaient de vous conduire à certains endroits. Dans la rue, les gens fuyaient les questions. Un peu partout, il y avait des militaires et des policiers qui patrouillaient et surveillaient. Une chape de plomb.

Hormis le président, les juges étaient tous des militaires. Panagoulis et ses camarades, torturés dès leur arrestation, n’avaient pas pu s’entretenir librement avec leurs avocats avant le procès. La plupart n’avaient d’ailleurs pas pu choisir leur avocat. Il leur avait été imposé. Une caricature de procès.

Les juges ne voyaient effectivement pas d’un bon œil ma présence, mais le pouvoir militaire l’avait acceptée pour essayer de montrer qu’il respectait certaines règles démocratiques. Je n’ai pas pu parler à Panagoulis, il était gardé constamment par deux policiers qui lui tenaient les bras, impossible de l’approcher. Mais l’un de ses avocats qui parlait français a courageusement servi d’intermédiaire.

En dehors des journalistes grecs qui étaient soumis à la censure, il y avait plusieurs représentants de grands médias internationaux. C’était donc un procès paradoxal. Les droits des accusés étaient bafoués, ils avaient été atrocement torturés pendant leurs interrogatoires, et la presse internationale était autorisée à en rendre compte.

Pourriez-vous décrire les réactions internationales concernant ce procès ? Sentiez-vous que vous faisiez partie de l’histoire à ce moment-là ?

panagoulis denis langlois

L’opinion internationale a été scandalisée par la façon dont s’est déroulé le procès, mais surtout par la condamnation à mort du principal accusé Alekos Panagoulis. Son exceptionnel courage a impressionné les démocrates du monde entier. Il a tenu tête à ses juges et donc à la dictature.

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D’accusé, il est devenu accusateur.

Pour sauver sa vie, il y a eu des réactions de la part de nombreux chefs d’État. Des écrivains, des scientifiques, des artistes, ont protesté. Le Pape est intervenu. Des manifestations se sont déroulées en Italie, en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, devant les ambassades grecques. Mon action s’est inscrite dans ce vaste mouvement qui a permis de faire reculer les colonels et les amener à ne pas exécuter Panagoulis. Faisais-je pour autant partie de l’histoire ? Ce serait prétentieux de ma part de l’affirmer. Ce qui est sûr, c’est que l’exemple de Panagoulis m’a incité à persévérer dans mon travail de défenseur des droits de l’homme. Les livres que j’ai publiés par la suite, les affaires dont je me suis occupé, lui doivent beaucoup. Il m’a servi en quelque sorte de modèle.

Le 17 novembre 1969, Panagoulis est condamné à mort. Comment expliquez-vous que quelques années plus tard une révolte historique se soulève à la même date ?  Est-ce une pure coïncidence, ou un hommage officieux à Panagoulis ?

17 novembre chars militaires

Je crois que c’est une coïncidence, mais elle est troublante et symbolique. Panagoulis, lui-même qui, en novembre 1973, avait été libéré et s’était réfugié en Italie n’avait pas manqué de le remarquer, d’autant plus que la révolte contre la dictature est partie de l’École Polytechnique d’Athènes où il avait fait ses études. Le 17 novembre reste donc une grande date dans l’histoire grecque. Une épopée démocratique.

Pourquoi et dans quelles circonstances avez-vous écrit ce livre ?

J’étais avocat, mais j’étais aussi écrivain. J’avais déjà publié un livre “Le Cachot” qui relatait l’emprisonnement que j’avais subi en France pour avoir refusé d’effectuer mon service militaire. Il m’a semblé logique et efficace de consacrer un livre à Panagoulis et à son procès. À ce moment-là, Panagoulis était toujours emprisonné et torturé. C’était pour moi une façon de continuer à le défendre, faire qu’on ne l’oublie pas dans sa prison de Boyati où il écrivait des poèmes en utilisant comme encre son propre sang.

Comme je l’ai dit, je n’ai pas pu parler avec Alekos Panagoulis pendant son procès. Mais, pour écrire mon livre, je me suis longuement entretenu avec son frère Stathis qui s’était réfugié en Italie. Par la suite, il est revenu clandestinement en Grèce et a vainement tenté de faire évader Alekos. Il a lui-même été emprisonné et torturé. J’ai bien sûr gardé des contacts en Grèce. J’espère pouvoir venir y présenter mon livre.

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Quelle a été votre réaction lorsque la dictature est enfin tombée ? Quel est votre lien avec la Grèce depuis ?

Une joie énorme bien sûr quand la dictature a été obligée en juillet 1974 d’abandonner le pouvoir ! Tous les démocrates s’en sont réjouis. Beaucoup de Grecs réfugiés à l’étranger sont rentrés dans les jours qui ont suivi. Personnellement, je ne suis retourné en Grèce qu’en 1983. Comme plusieurs militants de différents pays qui avaient aidé la résistance grecque contre la dictature, j’ai été invité officiellement… et décoré. L’ordre du Phénix que l’on m’a décerné est la seule décoration que j’aie jamais acceptée au cours de ma vie. Elle est pour moi symbolique.

Pourquoi avoir réédité le livre près de 50 ans après ? Qu’avez-vous ajouté à l’édition originale ?

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Pour marquer bien sûr le 50e anniversaire de la condamnation à mort de Panagoulis. Saluer à nouveau son courage et rappeler sa disparition en mai 1976, à l’âge de 37 ans, dans un accident de voiture resté fort suspect, alors que, devenu député, il dénonçait la collaboration de certains hommes politiques avec la junte militaire. J’ai été aussi encouragé par le fait que, l’an dernier, mon livre a été traduit en grec et publié par les éditions Papazissis, avec une préface de Stathis Panagoulis.

Internet m’a montré également que beaucoup de gens s’intéressaient à la vie de Panagoulis. Avec mon éditeur français, Scup-La Déviation, nous avons décidé de publier sans modification le texte de 1969, mais j’ai ajouté une seconde partie “Vie et mort d’Alekos Panagoulis”, une sorte de chronologie avec des photos, des documents. Je voulais montrer aussi que les Grecs n’ont pas oublié Panagoulis, puisqu’il a sa statue sur une place d’Athènes et qu’une station de métro porte son nom. Comme le député Grigoris Lambrakis, dont l’assassinat en 1963 a servi de trame au roman “Z” de Vassilis Vassilikos puis au film de Costa-Gavras, Panagoulis est toujours présent.

Un demi-million de Grecs ont suivi ses obsèques le 5 mai 1976, en criant justement “Z” (pour ‘Zei’ = “Il est vivant !”). Les héros ne meurent jamais.

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