Démocratie, Gauche et Impérialisme : les guerres des élites occidentales contre l’humanité

Aucune des interventions occidentales n’a apporté la démocratie ; toutes ont conduit à des désastres sociaux et nationaux dans les pays où elles ont eu lieu.

Par Dimitris Konstantakopoulos

Peu avant sa mort, dans une série d’écrits, Samir Amin a développé les deux questions qui le préoccupaient principalement. La première était la non-subordination de la Chine à la mondialisation financière, c’est-à-dire au pouvoir totalitaire du capital financier mondial – et également la non-conversion de la terre chinoise en marchandise. Son deuxième problème était la nécessité de construire une nouvelle Internationale, la « Cinquième Internationale ».

Nous étions allés ensemble en Chine, invités à une conférence sur le marxisme, en 2018, peu avant sa mort, et je me souviens de son énorme anxiété à l’égard de la Chine et de la mondialisation financière. Un jour, il m’a réveillé et m’a demandé d’aller d’urgence dans sa chambre, où il donnait une interview à une chaîne de télévision chinoise. Il voulait que je leur parle aussi, que je décrive au public chinois ce que j’avais vécu dans l’ex-URSS, où j’avais suivi, en tant que journaliste, l’effondrement du régime soviétique et le rétablissement des rapports capitalistes de production et de distribution dans les années 1990. Il craignait que Pékin puisse, à un moment ou à un autre de son développement sui generis, prendre un tournant décisif vers le capitalisme et voulait en quelque sorte « vacciner » les Chinois préventivement.

Samir ne croyait pas que le régime chinois était socialiste. « Je ne dirais pas que la Chine est socialiste, je ne dirais pas non plus que la Chine est capitaliste », a-t-il déclaré dans un discours prononcé dans une prestigieuse université de Pékin. Parfois, il espérait, croyait, qu’il pourrait y avoir une voie vers le capitalisme d’État, le socialisme d’État et, finalement, le socialisme tout court. Il voulait garder une telle possibilité ouverte. La Chine a fait d’énormes concessions au capitalisme. Toutefois, le pouvoir en Chine n’est pas entre les mains de la classe capitaliste et son économie reste planifiée.

Samir pensait que si la Chine faisait le saut qualitatif vers le capitalisme comme l’URSS l’a fait en 1991, cela la conduirait à une catastrophe sociale, rappelant les années Eltsine en Russie, et à la dissolution de la Chine elle-même, comme cela s’est produit avec l’Union soviétique.

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Si la Chine devait rejoindre pleinement le système capitaliste mondial et sa hiérarchie, d’une part elle serait elle-même confrontée à d’énormes problèmes et, d’autre part, elle renforcerait de manière décisive un système hyper-impérialiste en évolution rapide, celui que nous avons tous vu avec la guerre en Ukraine.

Aujourd’hui, tous les États de l’Occident collectif, à l’exception peut-être de la Turquie et, dans une très faible mesure, de la Hongrie et de la Slovaquie, agissent en contradiction flagrante avec leurs intérêts nationaux les plus fondamentaux en soutenant la guerre des États-Unis contre la Russie en Ukraine. La Turquie est une exception, mais elle appartient à moitié à l’Occident et à moitié à la périphérie de la planète. Ce n’est certes pas une puissance anti-impérialiste, mais elle possède un degré important d’indépendance, et Ankara l’utilise pour négocier un statut privilégié dans les rangs de l’impérialisme occidental. Il en va de même du soutien quasi unanime de tous les États occidentaux à l’État sioniste d’Israël.

Les États-nations occidentaux deviennent rapidement de simples outils de cet hyper-impérialisme, tandis que toutes les institutions démocratiques sont désormais de plus en plus contrôlées directement par le grand capital financier international et sont dépourvues de tout caractère national et démocratique. Dans les principaux pays capitalistes, il subsiste encore des vestiges de la forme de la démocratie bourgeoise, mais de plus en plus dépourvus de tout contenu substantiel.

Même la simple existence d’alternatives relativement fortes aux centres de pouvoir occidentaux, comme la Russie, la Chine ou l’Iran, constitue aujourd’hui le principal obstacle à l’instauration d’une dictature totalitaire du grand capital internationalisé et de l’Amérique sur la planète et sur toute forme de vie.

La lutte contre le capitalisme totalitaire et l’impérialisme

Quant à savoir comment une voie vers le socialisme peut être rouverte, après les distorsions et les défaites du XXe siècle, celle-ci reste assurément une question ouverte. Mais pour ouvrir une telle voie, il faut en même temps bloquer la route à la poursuite accélérée du renforcement du caractère totalitaire du capitalisme occidental et aux possibilités totalitaires que lui offre la technologie moderne.

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Et cela est devenu possible aujourd’hui grâce à la résistance des peuples de Yougoslavie et du Moyen-Orient, grâce aux luttes sociales en Europe et en Amérique latine, grâce au retour de la Russie dans la politique mondiale, grâce à l’essor économique exceptionnel de la Chine et, bien sûr, grâce à l’extraordinaire résistance des Palestiniens au fascisme israélien, une résistance qui a transformé Gaza en « Stalingrad » du XXIème siècle.

Alors que le capitalisme occidental est aujourd’hui confronté à l’une des crises les plus importantes et les plus multiples de son histoire, il a tendance à répéter son passé, en particulier celui de l’entre-deux-guerres du siècle dernier. Il est poussé, d’une part, vers le totalitarisme et même vers des formes ouvertes de fascisme dans les pays occidentaux du centre, et, d’autre part, vers des guerres en dehors de l’Occident, comme la guerre en Ukraine, le massacre des Palestiniens, la menace de guerre contre la Chine, la guerre de la dette souveraine contre le Sud global, la guerre contre la civilisation et la guerre contre l`environnement, cette dernière menaçant même de mettre fin à la vie sur la Terre.

C’est pourquoi non seulement tout marxiste révolutionnaire, mais aussi tout démocrate, tout humaniste, tout écologiste, d’où qu’il vienne, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest de notre monde, doit résister résolument à la renaissance du fascisme en Occident et aux interventions impérialistes occidentales et ne pas se laisser tromper par les prétextes humanitaires et « démocratiques » utilisés par l’impérialisme occidental. Aucune des interventions occidentales n’a apporté la démocratie ; toutes ont conduit à des désastres sociaux et nationaux dans les pays où elles ont eu lieu.

Le premier devoir de tout militant conscient de la gauche et de tout démocrate aujourd’hui est de s’opposer aux guerres impérialistes et aux politiques de sanctions impérialistes. Cela ne signifie certainement pas un soutien inconditionnel aux régimes constamment attaqués par l’impérialisme, qu’il s’agisse de la Serbie, de l’Afghanistan, de l’Irak, de l’Iran, de la Russie, de la Chine.

Il s’agit de comprendre ce que la domination totale de la planète par l’Occident signifierait pour la civilisation humaine et pour la survie même de l’espèce humaine, y compris des sociétés occidentales elles-mêmes. Car à mesure que le capitalisme mondial évolue vers un capitalisme tout simplement de destruction (Disaster Capitaism), il n’est même pas capable, ou désireux, de maintenir le niveau de vie et les libertés démocratiques de ses propres citoyens. Lorsque nous parlons de domination occidentale sur Terre, nous parlons bien sûr de la domination d’une partie infime des couches sociales dominantes occidentales.

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Aujourd’hui, l’émergence des BRICS, l’évolution vers un monde multipolaire, l’affaiblissement du rôle du dollar ouvrent la voie à un nouvel ordre mondial démocratique. Il s’agit d’énormes pas et de moments historiques.

Mais de tels pas sont une condition nécessaire, et non suffisante, pour un nouvel ordre mondial démocratique. Notre problème ne doit pas être la question de la défaite de l’Occident pour que quelqu’un d’autre puisse prendre sa place, mais le mouvement de toute l’humanité vers une nouvelle civilisation qui saura faire face aux énormes menaces qui sont apparues pour la première fois dans l’histoire humaine, en raison des forces productives et des technologies que nous avons développées et qui, si elles ne sont pas contrôlées, menacent déjà la survie même de l’humanité.
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Note : Ce texte fait partie de la présentation de l’auteur au 17e Forum de l’Association Mondiale d’Économie Politique (WASP) qui s’est tenu à l’Université Panteion d’ Athènes, du 2 au 4 août 2024.

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