Démission du gouvernement : la seule solution démocratique, harmonieuse et constitutionnelle

par Dimitris Konstantakopoulos

Depuis 2010, tous les gouvernements grecs, malgré leurs éventuelles différences, appliquent des politiques extrêmement destructrices dictées directement par des puissances étrangères et l’oligarchie locale. Ces politiques sont rejetées par la grande majorité du peuple grec.

En conséquence, d’immenses manifestations ont eu lieu à plusieurs reprises contre ces politiques, qu’il s’agisse du gouvernement PASOK sous Georges Papandréou – qui se présentait comme démocrate et presque « anarchiste », alors qu’il a été l’homme qui a amené le FMI en Grèce et en Europe – ou de tous les gouvernements successifs, qu’ils soient dirigés par le PASOK, la Nouvelle Démocratie, SYRIZA ou leurs petits alliés, jusqu’au gouvernement actuel de Mitsotakis.

La Constitution garantit en théorie le droit de réunion, mais en pratique, ce droit ne peut être exercé.

Une poignée d’individus, souvent qualifiés d’« anarchistes » ou d’« anti-autoritaires » ou encore sans aucun label, apparaissent soudainement et lancent quelques cocktails Molotov en direction des forces de l’ordre ou causent des dégâts à des bâtiments. Notre police, pourtant si active, ne procède jamais à aucune arrestation parmi eux. En revanche, elle attaque systématiquement l’ensemble des manifestants avec des gaz lacrymogènes, dispersant ainsi les rassemblements, notamment sur l’immense place Syntagma au centre d’Athènes.

L’affaire Marfin en 2011 et l’attaque contre Mikis Théodorakis et Manolis Glezos en 2012

Parfois, les événements prennent une tournure encore plus grave, comme l’incendie criminel de la banque Marfin le 5 mai 2010, qui a causé la mort de trois innocents. À ce jour, les autorités n’ont toujours pas identifié avec certitude les coupables. Dans une conversation avec l’ancien ministre de la Défense, Gérasimos Arsenis, qui fut à un moment pressenti pour succéder à Andréas Papandréou, le défunt m’avait vivement recommandé de ne jamais oublier « l’existence d’un État profond en Grèce aussi». (Pour l’affaire Marfin, voir également les références intéressantes du professeur Dionysis Drossos dans son article sur la manifestation de vendredi : https://slpress.gr/koinonia/to-megaleiodes-sillalitirio-kai-i-proanangeltheisa-provokatsia/).

Le ministre de l’Ordre public (car il ne s’agit certainement pas de « ministère de Protection du citoyen »), nom pompeux que porte ce ministère depuis lors) Michalis Chrysochoïdis, un politicien qui, pendant son mandat, a vu non seulement les trains passer, mais aussi la criminalité exploser de manière incontrôlable dans le pays. Chrysochoïdis est notamment resté célèbre dans l’histoire récente pour sa déclaration selon laquelle il ne savait pas ce que contenait le Mémorandum d’austérité qu’il avait voté, car il ne l’avait pas lu, étant occupé par des choses plus sérieuses. Voici ce que lui reprochait à l’époque le parti Nouvelle Démocratie, encore anti-mémorandum, avant sa propre conversion spectaculaire : https://www.tanea.gr/2012/01/24/greece/xrysoxoidis-den-diabasa-to-mnimonio-eixa-alles-ypoxrewseis/.

L’incendie criminel de la banque Marfin a eu un impact majeur : il a démobilisé la vague massive de contestation contre les mesures d’austérité de Papandréou, contestation qui menaçait de se transformer en soulèvement. De plus, les forces de police, jusqu’alors plutôt bienveillantes envers les manifestants, ont durci leur position. Avant que cet incendie ne se produise, il n’était pas certain qu’ils auraient résisté à une tentative d’entrée des manifestants dans le Parlement. Cependant, en apprenant les décès de la banque Marfin, ils devinrent prêts à « frapper fort » si nécessaire. Ces événements ont certainement aidé et facilité l’adoption, cinq jours plus tard, du Mémorandum (bail out) pour le sauvetage, c’est-à-dire pour la destruction de la Grèce.

Dans un autre cas, en février 2012, lorsque plus d’un million de manifestants se sont rassemblés sur la place Syntagma pour protester contre le programme désastreux de « restructuration » de la dette grecque (PSI) mis en place par le gouvernement Papadímos (ND – PASOK) — la seule restructuration de dette dans l’histoire mondiale qui a été faite en faveur des créanciers et au détriment du débiteur, privant ainsi le pays de son « arme nucléaire » pour la gestion de sa dette (application du droit grec et tribunaux grecs) —, la police n’a eu besoin d’aucun prétexte. Elle a frappé massivement de sa propre initiative, directement au cœur de la manifestation, devant le Parlement, où deux personnalités très âgées et malades, Mikis Théodorakis et Manolis Glezos, étaient à la tête, indifférente pour les conséquences qui auraient très probablement pu être leur mort. De toute évidence, ceux qui ont ordonné cette attaque voulaient prouver que rien ne les arrêterait !

Vendredi dernier, la colère et la détermination de la foule étaient telles que de nombreux manifestants, défiant l’utilisation massive de gaz lacrymogènes, refusèrent de partir et revinrent à Syntagma. Cela n’avait pas été prévu, et les voyous qui provoquent habituellement les troubles avaient déjà quitté la place. Le résultat fut que la police a été contrainte d’intervenir sans ménagement contre les manifestants pacifiques. La raison ? Ils ont eu peur d’une répétition du mouvement des Indignés qui avaient occupé une partie de la place Syntagma pendant des mois. Ils tremblent devant la colère populaire et pour ce qui pourrait être révélé par la suite.

Mitsotakis a perdu la partie

Aucune mesure policière ne peut plus être efficace face à une révolte aussi massive et profonde de tout un peuple. L’intensification de la répression par un gouvernement en panique et sans scrupules ne peut qu’aggraver les choses. Le soulèvement général du peuple grec ne concerne pas seulement la gestion de la tragédie de Tempi, mais aussi l’ensemble de la gouvernance du pays par ce gouvernement, ou, pour être plus précis, du « régime » Mitsotakis. Les gens n’ont plus confiance en aucun des trois pouvoirs, y compris la Justice, dont la direction est nommée par le gouvernement, et qui est désormais défiée par 75 à 80 % de la population grecque (https://www.naftemporiki.gr/politics/1631710/tempi-pos-ftasame-7-stoys-10-ellines-na-min-empisteyontai-ti-dikaiosyni/). Un pourcentage que je doute n’avoir jamais été atteint dans aucun autre pays du monde, et qui devrait normalement pousser la direction de la Cour suprême à démissionner, ne serait-ce que par décence, puisque c’est sous son mandat que la méfiance du peuple grec envers la justice, censée juger en son nom, a atteint des records. Sa direction s’est déjà engagée dans diverses controverses publiques, telles celles avec un chef de parti ou des proches des victimes. Pourquoi ne nous explique-t-elle pas comment elle-même justifie cet effondrement de la confiance envers l’institution qu’elle dirige ?

Le peuple grec a compris, à travers tout ce que le gouvernement a fait et dit à propos de Tempi, qu’il y a, comme dirait Hamlet, “quelque chose de pourri au royaume de Danemak”, et que cette pourriture n’a pas seulement coûté la vie aux 57 victimes de la tragédie, mais menace aussi de détruire sa propre vie et celle de tout le pays. La majorité du peuple grec subit en outre une inflation qui le ruine et une dégradation rapide du système de santé public (ESY).

 

Étouffement moral et insécurité absolue

À tout cela s’ajoute la confirmation d’un soupçon encore plus horrible et insupportable. Il ne s’agit pas seulement d’une politique gouvernementale qui peut plaire ou non suivant les opinions de chacun. Il ne s’agit pas seulement de la question A ou B. Ici, c’est la qualité morale, les vertus éthiques de ceux qui gouvernent l’État qui sont en jeu. Si ceux qui gouvernent peuvent applaudir l’ancien ministre de Trasports M. Karamanlis qui a ignoré les avertissements des syndicats sur la sécurité ferroviaire, s’ils peuvent organiser une opération d’urgence quasi militaire visant à la destruction massive de preuves sur le site de la tragédie, si, encore aujourd’hui, nous ignorons toujours quel type de cargaison transportait le train fatal et pour le compte de qui, si ce qui s’est passé lors des enquêtes relève de l’inexplicable, sans parler des soupçons sur trois décès de personnes impliquées ou liées à l’affaire et de dizaines d’autres événements et déclarations qui ont laissé le pays entier stupéfait, comment le citoyen grec pourrait-il encore avoir confiance en son État ? Comment ne pas trembler en pensant à ce qui pourrait lui arriver demain, à lui et à son pays ?

Des raisons d’ordre moral ne peuvent permettre la tolérance envers ce qui s’est passé pour dissimuler les responsabilités de la collision. Mais la morale est le moyen de survie de la société, la manière d’éviter qu’elle ne devienne une jungle.

Si les Grecs n’avaient pas compris à quel point cette affaire est vitale et d’une importance plus générale, ils ne se seraient pas soulevés, organisant probablement les plus grandes manifestations de leur histoire, et pas seulement dans chaque coin du pays, mais aussi dans le monde entier, à Tokyo, Rio ou en Islande.

La situation elle-même les a obligés à sortir de l’apathie et de l’inertie d’une décennie entière, résultat de la lourde défaite de 2015 (non seulement objective, mais aussi morale et psychologique, en raison de l’attitude et du comportement des dirigeants auxquels ils avaient fait confiance). Ce cycle d’une décennie semble désormais clos, et le gouvernement trouvera probablement face à lui le peuple grec, avec une combativité bien plus grande, non seulement sur la question de Tempi, mais aussi sur tous les autres sujets.

La dissimulation par le gouvernement de l’affaire de Tempi a été prouvée, et cela avant même que des aspects essentiels de l’affaire ne soient éclairés. La confiance du peuple grec envers les trois pouvoirs a été gravement ébranlée. Si ce qui est connu aujourd’hui l’avait été avant les dernières élections, le parti au pouvoir ne les aurait certainement pas gagnées. Aujourd’hui, la dissonance entre la volonté populaire et le gouvernement est plus qu’évidente, elle ne pourrait l’être davantage.

La seule solution constitutionnellement et démocratiquement correcte au problème qui s’est posé (et la seule solution nationalement bénéfique et sûre en période d’instabilité géopolitique sans précédent) est la démission du gouvernement et la tenue d’élections (https://www.youtube.com/watch?v=DFV67yi0Oh4). D’autant plus que tous les députés de la Nouvelle Démocratie soutiennent encore Kyriakos Mitsotakis et les pratiques de son gouvernement, ainsi qu’un système tout entier qui semble les couvrir et les soutenir, un système qui contrôle pratiquement tout : le Parlement, le Président de la République, la Justice et les médias, ce qui est déjà bien trop, même si l’on considère comme totalement infondées les suspicions formulées quant à l’existence et à l’action d’autres types de mécanismes.

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Ce gouvernement ne peut plus gouverner, en conflit ouvert avec presque l’ensemble du peuple grec. Et plus il s’accrochera au pouvoir, plus les choses empireront, dans une période extrêmement dangereuse pour le pays.

Il est vrai que les partis d’opposition ne satisfont pas la majorité du peuple grec. Il est vrai que nous avons besoin de grands mouvements sociaux et de nouveaux acteurs politiques (https://www.defenddemocracy.press/grece-et-maintenant-apres-le-tremblement-de-terre-pour-les-tempi/https://). Mais le fait que l’opposition ne nous satisfasse pas ne signifie pas que nous devons permettre à un gouvernement comme celui d’aujourd’hui, avec ces politiques et surtout ces qualités morales, de continuer son travail sans être dérangé, avec des conséquences désastreuses pour le pays.

Tous les Grecs ont besoin d’oxygène maintenant, la Grèce elle-même a besoin d’oxygène pour ne pas succomber à l’asphyxie morale.

Traduit du grec par Christian Haccuria