De la guerre contre la Russie à la guerre contre la Chine : les « nationalismes » américain et russe

Par Dimitris Konstantakopoulos
Apr. 24, 2025

L’imposition de tarifs extrêmement élevés sur la Chine, ce qui équivaut à une rupture des échanges entre les deux plus grandes économies de la planète, revient pour les États-Unis à déclarer une guerre contre l’« Empire du Milieu ». Cette guerre est analogue, mais cette fois par des moyens économiques, à celle que les États-Unis ont initiée contre la Russie en Ukraine.

L’objectif minimal de cette guerre est d’arrêter le développement économique, militaire et technologique de la Chine, qui — tout comme la résurgence de la Russie et son arsenal nucléaire sur la scène internationale — remet en cause le monopole de la domination américaine et occidentale sur la planète, telle qu’elle a cherché à établir après la dissolution-suicide de l’URSS en 1991.

L’objectif maximal est la fragmentation de l’unité des forces sociales chinoises et du Parti communiste au pouvoir, le renversement de son système d’économie planifiée, et, si possible, la désintégration du pays qui constitue aujourd’hui la plus grande menace économique pour l’omnipotence internationale du capitalisme occidental.

Comme pour la guerre contre la Russie, Washington cherche également à rallier le soutien d’autres nations de la planète, en particulier l’Europe et l’Asie de l’Est, dans sa guerre contre la Chine. Le gouvernement américain a également clairement indiqué que toute négociation avec un pays concernant les tarifs ne se limitera pas aux questions économiques. Pour l’administration Trump, toute réduction des tarifs suppose que les pays « s’alignent sur les États-Unis en matière d’économie et de sécurité nationale ». Autrement dit, ils doivent choisir leur camp. « Quiconque n’est pas avec moi est contre moi. »

La direction de la (nominalement) Union européenne, composée non pas de politiciens mais d’individus de faible envergure, corrompus et dépendants, « nommés » à leurs postes par des banquiers, semble malheureusement prête à suivre aveuglément l’Amérique dans la guerre contre la Chine, comme elle l’a fait contre la Russie. Nous espérons nous tromper et voir émerger sur le continent européen de nouvelles forces qui poursuivront une politique semblable à celle de de Gaulle, refusant de se soumettre à l’aventurisme destructeur et bandit de l’Amérique, qui nuit aux intérêts européens eux-mêmes.

L’idée d’un axe comprenant Paris, Berlin, Moscou et Pékin, autrefois proposée par l’ancien Premier ministre français de Villepin, est peut-être la seule qui offre une issue à l’Europe et soutient la paix mondiale. Certains pourraient dire que c’est irrationnel dans les conditions actuelles. Mais l’irrationalité ne réside pas dans cette idée ; elle réside dans la politique que l’Europe met en œuvre aujourd’hui. Seul un retour à la philosophie de de Gaulle, Brandt, Palme, Moro et A. Papandreou peut offrir au vieux continent une voie de sortie.

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La politique étrangère et militaire de Trump

Dans une série d’articles, même avant l’annonce des tarifs de Trump, nous avons examiné la politique étrangère et militaire du président américain ici https://www.defenddemocracy.press/a-first-look-at-trumps-foreign-policy/, ici  https://www.defenddemocracy.press/war-and-peace-in-europe-trump-putin-and-zelensky/ et ici https://www.defenddemocracy.press/trumps-new-star-wars/

Les contradictions dans la politique de Trump soutiennent l’idée que son objectif, ainsi que celui de la faction du grand Capital qui s’est ralliée à lui et à M. Netanyahu, est une retraite stratégique. Ils réalisent que l’Occident n’est plus capable d’atteindre les objectifs qu’il poursuivait lorsqu’il a provoqué et participé à la guerre en Ukraine — à savoir, la récupération du Donbass et de la Crimée, le renversement du régime russe et le démembrement de la Russie. La poursuite de la guerre absorbe d’importantes ressources d’autres « fronts » tout en renforçant les tendances à l’émancipation du Sud global par rapport à l’« Occident collectif », en particulier le dollar, l’outil principal pour refinancer l’économie américaine.

Ainsi, ces forces visent à clore le chapitre ukrainien avec des pertes et des gains minimes (terres rares) et à se concentrer sur la guerre contre la Chine, qui est le rival économique et technologique le plus puissant de l’Occident. Cette guerre a déjà été lancée ces derniers jours, sans même attendre que la paix soit rétablie en Ukraine.

Ils n’ont du reste pas caché leurs ambitions. Le vice-président de Trump lui-même, Vance (qui a autrefois qualifié Trump de « Hitler américain » avant de rejoindre son camp !), a expliqué que le président américain fermera le chapitre ukrainien pour se concentrer sur la Chine, tout en précisant qu’il s’occupera également de l’Iran https://news.antiwar.com/2024/07/16/trumps-vp-pick-vance-says-iran-needs-to-be-punched-hard/.

En prévision de la guerre avec la Chine, la faction Trumpiste cherche naturellement à sécuriser ses « arrières » sur le continent américain, tandis que Netanyahu, une figure clé derrière la réélection de Trump, vise à « avaler » tout le Moyen-Orient avec l’aide de Trump — un flanc mou pour la Russie, l’Asie centrale et, plus loin, la Chine. Déjà, la Syrie, occupée par la Turquie et Al-Qaïda avec la complicité de l’Occident et d’Israël, sert d’excellente base pour lancer des attaques à travers l’Eurasie. Ce n’est pas un hasard si Trump a félicité Erdogan pour avoir réalisé quelque chose que personne n’avait pu faire en 2000 ans : occuper la Syrie avec l’aide de jihadistes. Des félicitations qui révèlent la qualité du leadership actuel aux États-Unis et en Turquie (et en Israël, qui intensifie aujourd’hui un génocide en Palestine — un génocide qui non seulement détruit les Palestiniens mais érode les fondements moraux de l’humanité entière, tant qu’aucune action efficace n’est prise pour l’arrêter).

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Le bloc Trump (et Netanyahu) cherche également à démanteler les alliances de la Russie avec l’Iran, la Chine, la Corée du Nord, les BRICS et toute idée de remplacer le dollar. Ils pourraient même tenter de répéter la tromperie du rapprochement américano-soviétique de 1989, cette fois en utilisant le « patriotisme » et le « nationalisme » comme ciment au lieu de la prétendue démocratie et prospérité (dont nous savons comment cela s’est terminé).

Mais le « patriotisme » et le nationalisme américains (« America First ») sont impérialistes, visant la domination mondiale des États-Unis, essentielle pour la survie du capitalisme américain. Le patriotisme et le « nationalisme » russes sont principalement des réactions défensives à l’assaut constant de l’Occident contre la sphère soviéto-russe. Les similitudes entre les deux ne sont que superficielles. La tendance des États-Unis à l’impérialisme n’est pas le résultat des idées de sa classe dirigeante, qu’elle soit « globaliste » ou « nationaliste ». Elle est inhérente au système économique même des États-Unis, qui nécessite un transfert constant de surplus économique du reste de la planète pour éviter l’effondrement. Nous le savons depuis plus d’un siècle, et c’est la cause profonde des deux guerres mondiales, de la guerre froide et des guerres actuelles contre la Russie, la Chine et les peuples du Moyen-Orient et du Sud global.

L’actuelle direction russe sait combien elle a gagné en se présentant comme le défenseur de la « majorité globale ». Le succès de la Russie contre l’OTAN, l’alliance militaire et économique la plus puissante de l’histoire humaine, au sens de l’annulation de ses objectifs, est sans aucun doute dû à la haute qualité de la stratégie militaire soviétique que les forces armées russes hérités de l’Armée rouge. La guerre, comme l’a définie Clausewitz, est toujours la continuation de la politique, donc le succès de la Russie reflète également le soutien d’une majorité de la société russe, qui a jugé qu’elle ne pouvait pas se permettre de laisser sa patrie perdre la guerre. Sans un tel soutien, le succès russe aurait été impensable. Mais ce succès est aussi le résultat du fait que la majorité des nations du monde n’a pas soutenu l’Occident collectif contre la Russie et n’a pas imposé de sanctions.

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Elles ont agi ainsi parce qu’elles sont épuisées par les interventions constantes des États-Unis et d’autres puissances occidentales à travers le monde. Elles ont agi ainsi parce qu’elles ont également réalisé que si l’OTAN parvenait à vaincre et démembrer la Russie, renversant son régime, aucune personne, nation ou continent ne pourrait se sentir en sécurité. La Russie a gagné un énorme capital politique dans le monde entier (sauf en Occident a l’ exception de certaines parties de l’opinion publique occidentale auxquelles manque aujourd’hui une expression politique satisfaisante) et ne peut pas se permettre de le perdre.

Moscou a toutes les raisons d’explorer les intentions de Trump en Ukraine et d’exploiter toute ouverture. Mais elle ne peut pas satisfaire les rêves des « trumpistes » et s’allier avec eux contre la Chine. Parce qu’elle sait que si elle démolit ses alliances, elle ne pourra pas facilement les reconstruire. De plus, une victoire occidentale sur la Chine laisserait la Russie elle-même dans une position désespérément difficile. Nous ne devons pas oublier que si Washington peut sembler « conciliant » en Ukraine (il reste à voir à quel point cela est sincère), il pousse l’Europe à se surarmer, a présenté le plus grand budget militaire de son histoire et s’intéresse à une nouvelle « guerre des étoiles ».

 Un grand défi, une grande opportunité

Pour en revenir à la guerre commerciale déclarée par les États-Unis contre la Chine, ces développements placent Pékin, ainsi que la Russie, l’Organisation de Shanghai, les BRICS et l’ensemble du Sud global, face au défi de proposer et de se battre pour un nouvel ordre économique mondial démocratique, juste, écologique et social. Un tel ordre permettrait à l’humanité d’évoluer pacifiquement vers une forme supérieure de civilisation et empêcherait la tentative d’imposer une dictature totalitaire mondiale du capitalisme américain et occidental sur toutes les nations du monde.

C’est également un défi pour toutes les forces en Europe qui pourraient rester en dehors du contrôle du capital financier et des États-Unis et de l’OTAN.

Le défi est immense, mais l’opportunité l’est tout autant.

Traduit de l’anglais https://valdaiclub.com/a/highlights/from-the-war-against-russia-to-the-war-against/  par Christian Haccuria.