Dansons la carmagnole… !

Y a-t-il encore aujourd’hui un Français ou une Française qui ignore l’air et les premières paroles de ce chant révolutionnaire : « Dansons la carmagnole, vive le son, vive le son… » . Cette chanson apparue en 1792 fait référence à la veste courte à gros boutons, la carmagnole, que portaient les jours de cérémonie les paysans et les classes populaires en Italie puis en France au début des années 1790. Depuis cette date ce chant a accompagné la plupart des mouvements révolutionnaires qui ont jalonné l’histoire du XIXème siècle.
Par un de ces retours dont l’histoire a le secret, le peuple aujourd’hui a, par le gilet jaune, recréé le symbole vestimentaire signe de reconnaissance autant que d’appartenance à un mouvement populaire à la fois solidaire et de revendications sociales. Qu’on le veuille ou non, il signe son opposition à la classe dominante.

Le mouvement des GJ, outre la manifestation et l’exigence de revendications légitimes, a fait surgir de manière brutale en peine lumière la réalité d’un monde incroyablement inégalitaire dans lequel le clivage social n’a rien à envier aux pires époques de notre histoire.
Il y a, bien sûr, l’accaparement des richesses produites par les travailleurs qui n’en perçoivent que la portion congrue. La nécessité impérieuse de travailler pour assurer le quotidien et la dépendance à l’égard de ceux qui l’octroient ou le retirent au gré de leurs intérêts, signe une nouvelle forme de servage qui ne dit pas son nom mais s’illustre par le chômage, la précarité, les temps partiels subis, la  mobilité, les délocalisations etc… Les entreprises du CAC 40 ont versé pour 2018 les dividendes les plus élevés depuis dix ans cependant que les contrats précaires de 24 heures explosent – intéressant parallèle.

Mais la classe dominante plus encore que l’argent veut le pouvoir, l’entièreté du  pouvoir. Elle a besoin de ce levier indispensable et ne tolère pas l’idée d’un quelconque partage fût-il infime, qui l’obligerait à négociations et concessions.

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L’intrusion des gilets jaunes dans le champ politique a ébranlé le mécanisme rôdé depuis des décennies et fort convenant à l’élitocratie, de l’alternance sans changements, des élections sans enjeux, d’un Parlement qui ne représente plus les citoyens et d’une démocratie de façade. Mais la façade se lézarde et la classe dominante, à l’instar des aristocrates de l’ancien régime, s’offusque autant qu’elle s’affole. Il serait trop long d’établir un florilège des qualificatifs et autres épithètes dont les GJ ont été affublés « incontrôlés, incontrôlables, irrationnels, chemises brunes, haineux, violents, incultes qui doivent aller chercher dans un dictionnaire le sens du mot moratoire (dixit Bruno Jeudy sur BFM TV)… Luc Ferry – ancien ministre de l’Education Nationale et philosophe dit-on – a quant à lui trouvé la solution radicale : « les policiers, qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois, écoutez, ça suffit… on a je crois la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies, il faut dire les choses comme elles sont».

En 1871, écrasé par la misère et la guerre le peuple de Paris se soulève, le poète Théophile Gautier semblable en cela à nombre de ses contemporains écrivains et artistes bourgeois parle alors « d’animaux féroces » qui « se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements sauvages » d’autres, de « déclassés » « envieux » «  voleurs » « fripouillards »  et « assassins ». Seule différence, le langage actuel est peut-être plus policé, encore que…

Disqualifier le mouvement des gilets jaunes, c’est à quoi s’emploie la presse tous médias confondus. Comme un chien à qui on a donné un os à ronger ils s’acharnent à mettre en exergue des faits de violence, scandalisés qu’ils sont par « le comportement bestial de ce peuple de bêtes sauvages ». Ils s’érigent en procureurs et s’efforcent systématiquement d’arracher à tous les intervenants conviés sur les plateaux une condamnation des violences, ils se font les hérauts d’une morale qui varie au gré de leur partialité. C’est dans ce contexte que survient la proposition macron-gouvernementale d’une grande consultation nationale qui permettrait aux Français de faire connaître leurs attentes.

Faut-il voir là un aveu d’incompétence alors que depuis des semaines les gilets jaunes font entendre clairement leurs demandes ? Plutôt de surdité politicienne et un moyen de botter en touche afin de gagner du temps en déplaçant le mouvement sur un terrain choisi par le pouvoir. Si les GJ abandonnent le mode d’action et les lieux qu’ils ont choisis, les ronds-points et les rues, l’éblouissement de leurs gilets, ils redeviendront invisibles et seront pris dans les rouages d’institutions y compris locales, dont on a vu qu’elles n’étaient plus que les courroies de transmission du pouvoir et ne servaient plus la démocratie.

A quelques jours du lancement de ce projet nul ne sait encore ce qu’il sera, comment il s’organisera, qui dépouillera les remarques et en fera la synthèse. La question est de savoir de quelle valeur peut être une telle consultation qui n’engage nullement ses initiateurs, n’entre pas dans un cadre constitutionnel, n’obéit à aucune règle établie, ne répond pas à l’exigence d’une quelconque majorité de participants, peut être accaparée par des lobbies, échappe à toute possibilité de contrôle quant à ses résultats et dont le gouvernement a déjà exclu qu’elle puisse remettre en cause les décisions prises tout comme E. Macron a affirmé, urbi et orbi, qu’il ne changerait pas de cap.

A la sortie du premier conseil des ministres 2019, Benjamin Griveaux porte-parole du gouvernement, a déclaré : « Nous devons … être beaucoup plus radicaux dans nos méthodes, dans nos manières de faire, dans notre style, nous devons aller au bout de l’envie de changement des Français car c’est cette envie qui nous a portés au pouvoir… » «  …plus loin, plus fort, plus radicalement… »

Envie de changement certes, reste à se mettre d’accord sur la nature de ce changement et pour l’instant il semble bien que le changement pour les dirigeants, soit une simple affaire de rythme pas de contenus.

Si le besoin de débattre est réel, utile, si les échanges pacifiques sont préférables à la violence, la situation présente nécessite des prises de décision. Mais la grande consultation ne peut lever le blocage actuel. Pour débattre, il faut être face à face. Ce à quoi les Français sont conviés n’est pas un débat puisque seule une des parties est invitée par l’autre à s’exprimer. Proposez dit le pouvoir, nous trierons et nous déciderons.

Que les GJ ne veuillent pas être « récupérés » est une exigence claire et sans doute compréhensible. Mais on peut penser que cela n’exonère pas les partis, syndicats, associations, qui se revendiquent de l’émancipation et de la justice sociale de se prononcer haut et fort en faveur de ce mouvement . Peuvent-ils croire que certaines attitudes attentistes leur vaudront reconnaissance ? Qu’ont-ils donc à perdre ?

http://www.palaisgalliera.paris.fr/fr/oeuvre/veste-dite-carmagnole

                                                 Pour en savoir plus :

Classes dominantes et chômage http://www.ms21.org/index.php?titre_article=330&categorie=34

http://ms21.over-blog.com/2019/01/dansons-la-carmagnole.html