Covid : pour des traitements accessibles à tous, casser les monopoles, socialiser la production

par Rachel Knaebel

Les futurs traitements et vaccins contre le coronavirus seront-ils accessibles à tous, dans tous les pays ? Les entreprises pharmaceutiques qui les produiront, avec l’aide financière des pouvoirs publics, seront-elles prêtes à renoncer à leurs profits ? Des solutions existent pour mutualiser ces médicaments, pour le bien de toutes et tous.

Sanofi, Novartis, Bayer… Ces multinationales pharmaceutiques promettent d’offrir des millions de doses de chloroquine, l’un des traitements à l’étude contre le Covid-19. « Big Pharma » serait-elle en train de remiser au placard sa soif de profits, pour lutter solidairement contre le coronavirus ? « Il faut vraiment observer le geste soi-disant philanthropique de Sanofi avec méfiance. Pour Sanofi, 300 000 boîtes de chloroquine, ce n’est rien en termes financiers », tempère Jérôme Martin, ancien président d’Act Up-Paris et cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

Fin mars, la firme californienne Gilead a tenté d’obtenir, pour l’un de ses anti-viraux recyclés contre le Covid, le statut de « traitement contre une maladie rare », statut qui ouvre droit à des crédits d’impôts et des avantages commerciaux (lire notre enquête). Cette tentative, contrée par la société civile, fait redouter le pire en matière de pratiques sans scrupules de la part des labos pharmaceutiques. Elle a ravivé les craintes chez ceux qui se battent pour un accès de tous, et dans le monde entier, aux médicaments.

Parmi eux, Patrick Durisch, chargé des questions de santé pour l’ONG suisse Public Eye : « Quelle entreprise aurait le culot aujourd’hui de dire “on profite de cette crise pour renflouer nos caisses” ? interroge-t-il. Est-ce que le secteur pharmaceutique dans son ensemble va prendre acte que cette crise est exceptionnelle et qu’il faut qu’il renonce à ses droits exclusifs sur les traitements ? » Ces droits exclusifs peuvent être des brevets, des exclusivités de commercialisation pour plusieurs années, ou bien des secrets de fabrication… « Si les entreprises pharmaceutiques veulent vraiment associer la pratique aux discours, il faut qu’elles lâchent du lest. »

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Poser des conditions pour les recherches financées par l’argent public

Comment obliger l’industrie pharmaceutique à « lâcher du lest » sur ses intérêts financiers ? Tout d’abord en posant des conditions aux programmes de recherche financés par l’argent public. « La Commission européenne et les États investissent depuis janvier de grosses sommes pour les recherches sur le Covid », souligne Viviana Galli, qui suit le dossier à l’Alliance européenne pour des médicaments accessibles [1]. 47,5 millions d’euros ont par exemple été alloués via le programme européen Horizon 2020. Lorsque des molécules efficaces sont identifiées dans le cadre de ces programmes de soutien à la recherche, les traitements sont généralement brevetés par des entreprises privées, qui en détiennent ensuite le monopole de production, pour les vendre cher, très cher. En sera-t-il autrement pour lutter contre le Covid-19 ?

L’Europe a aussi investi 45 millions d’euros via un partenariat public-privé, « Innovative Medicines Initiative ». 45 autres millions doivent être abondés par les entreprises. Le programme est cogéré par la Commission européenne et le groupement européen de l’industrie pharmaceutique [2]. Les autorités européennes ont aussi prêté 80 millions aux entreprises qui travaillent sur un vaccin, via la Banque européenne d’investissement.

Est-il possible d’intégrer à ces financements des obligations, par exemple un plafonnement du prix de vente ? « Légalement, tout est possible, cela dépend de la volonté politique, répond Viviana Galli. Quand des équipes qui allient recherche publique et entreprises pharmaceutiques gagnent un appel pour recevoir de l’argent européen, un contrat est signé avec la Commission européenne. C’est envisageable d’inscrire dans ces contrats des clauses sur les licences des futurs traitements, sur la transparence de toutes les données des essais, ou sur l’accessibilité des médicaments, même si les prix restent une compétence nationale des pays membres. » Pour l’instant, aucun des programmes lancés par l’Union européenne ne fait clairement mention de ces garanties.

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Un autre outil pour peser sur les prix serait une obligation de transparence sur les fonds publics qui ont contribué à développer un traitement. Une même entreprise pharmaceutique peut recevoir des fonds de la France, de l’Allemagne, de l’Union européenne pour développer une même molécule. Résultat : il est très compliqué d’avoir une vision exhaustive de tout l’argent public investi dans une recherche donnée. « Or, si vous avez ces infos, vous avez plus de poids pour négocier les prix », explique Viviana Galli.

Ouvrir les licences pour fabriquer des médicaments génériques

Autre levier : prévoir des licences « non-exclusives » dans les contrats de financement. Le marché du médicament est régi par les règles de la propriété intellectuelle : les traitements et les vaccins sont couverts par des licences, un peu comme des logiciels ou les œuvres culturelles. Des licences exclusives assurent à une entreprise un monopole sur un traitement. Dans une situation de pandémie, alors que tous les pays auront besoin en même temps des mêmes traitements et vaccins, il semble évident qu’une seule entreprise ne pourra pas produire assez pour tout le monde.

Les entreprises qui détiennent des droits exclusifs peuvent certes distribuer des licences « volontaires » à d’autres producteurs de leur choix. Mais cela ne sera pas suffisant, avertit Patrick Durisch. « Si on pense qu’un grand groupe pharmaceutique, quel qu’il soit, va pouvoir, en distribuant lui-même des licences à qui il veut, répondre aux besoins mondiaux, on se trompe. Ils n’y arriveront pas. Pour y parvenir, il faut permettre à d’autres acteurs d’entrer en jeu. »

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C’est tout l’enjeu d’une initiative lancée par des ONG et des pays, dont le Costa Rica, qui demandent à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’œuvrer « pour mettre en commun les droits sur les technologies utiles pour la détection, la prévention, le contrôle et le traitement de la pandémie de Covid-19 » [3] En clair, le petit État d’Amérique centrale demande à ce que les traitements potentiels contre le Covid, les produits nécessaires aux tests de dépistage, et le futur vaccin éventuel, soient mis en commun à toutes les nations, et non détenus au profit exclusif d’intérêts privés.

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