Coups d’Etat en Bolivie : 2016 , 2019

La Bolivie, petit pays enclavé d’Amérique du Sud, a fait la Une de nos média pendant plusieurs semaines. Les médias dominants se sont évertués à dire que le départ de Evo Morales n’était pas un coup d’état mais le rétablissement de la démocratie.

Quelques données historiques

Il faut rappeler que la Bolivie a été sous l’administration des Incas dans la période précolombienne, puis sous le joug de l’Espagne pendant environ 3 siècles jusqu’à son indépendance en 1825. Pendant la période coloniale, ce pays s’appelait « Haut Pérou » car rattaché administrativement au vice-royaume du Pérou. Son nom actuel est en hommage à Simon Bolivar, «  El Libertador »,  celui qui a initié et mené les guerres d’indépendance dans toute la région.
Depuis son indépendance, la Bolivie a connu environ 190 coups d’état, c’est dire son instabilité politique jusqu’en 2006,  année d’arrivée au pouvoir de Evo Morales qui a gouverné le pays pendant presque 14 ans.

Qui est Evo Morales ?

C’est un amérindien aymara (1)  ancien paysan, ancien syndicaliste représentant les « cocaleros » (planteurs de coca).  Son arrestation en 1994, et sa grève de la faim, le font connaître dans le pays. Il fonde et prend la tête du Mouvement vers le Socialisme (MAS). Il se présente à l’élection présidentielle en 2002 où il arrive second puis à celle de 2005 qu’il remporte avec plus de 53% des suffrages. Il  entreprend de réformer le pays : réforme institutionnelle par élaboration d’une nouvelle constitution adoptée par référendum en 2009, réformes administratives, économiques et sociales en faveur du peuple. La nouvelle dénomination est « État plurinational de Bolivie » qui reconnaît officiellement trente-six “nations” qui correspondent aux divers peuples autochtones. La Bolivie d’aujourd’hui donne ainsi aux Indiens ( 2/3 de la population) une place qu’ils n’ont jamais eue au sein de l’État.
Dans ce pays qui était le plus pauvre d’Amérique du Sud,  le PIB a bondi de 9 milliards de dollars en 2006 à plus de 40 milliards en 2017, les réserves de change se maintiennent à la hausse, l’inflation est maintenue sous contrôle, le pouvoir d’achat a augmenté et, de 59,9 % en 2005, le taux de pauvreté est descendu à 36,4 % fin 2017 (l’extrême pauvreté passant de 38 à 15%, soit une baisse de 23 points). Un véritable  « miracle » économique reconnu par tous, obtenu par des mesures comme la limitation des latifundia (2), la nationalisation des ressources naturelles et  des entreprises stratégiques.
Evidemment, la classe bourgeoise blanche et raciste ayant perdu ses privilèges n’a jamais accepté ces changements et surtout d’être dirigée par un « Indien ». Les opposants à Evo Morales se concentrent  dans les riches départements de l’est : Santa Cruz, Beni, Pando, Tarija.  Des tentatives de sécession y ont été organisées par le parti fasciste de Luis Camacho en 2008,  provoquant de violentes émeutes racistes visant à la fois à évincer Morales, élu démocratiquement, et à diviser l’État en deux en cherchant à créer un pays non autochtone dans la région orientale du territoire, exactement là où se trouvent les gisements pétroliers et gaziers.

Causes et conséquences d’un référendum perdu

Evo Morales  se présente pour un troisième mandat le 20 octobre 2019 , alors que la constitution n’en autorise que deux ( article 168), et que  les Boliviens lui ont dit « non » en 2016 à l’occasion d’un référendum portant sur la possibilité d’un troisième mandat consécutif. Il serait  donc, en s’ « accrochant au pouvoir », un  « caudillo », un « dictateur en puissance » …?
Sauf bien sûr à rappeler dans quelles conditions a eu lieu, le 21 février 2016, le référendum en question.  Le quotidien espagnol El País avait déjà titré le 4 janvier: ” Evo Morales transgresse les normes à la recherche d’une réélection”.
Une campagne  de diffamation commence qui met en cause la vie privée de Morales orchestrée par un prétendu journaliste Carlos Valverde et le supposé ” scandale de corruption du Président ” retombera  comme un soufflet après enquête .(3)
Mais l’infox a atteint son objectif.  Lorsque la vérité se fera jour, révélant l’ampleur de la manipulation, il sera malheureusement trop tard… La défaite d’Evo est consommée. Le référendum est perdu : avec une participation de 84,47%, 51,3% des Boliviens se prononcent contre la réforme de la Constitution lui permettant de briguer un nouveau mandat. Ce 21 février peut être qualifié de “coup d’état médiatique”.  Ce 21 février peut être qualifié de « Le 28 novembre 2017, répondant à un recours déposé par plusieurs parlementaires du MAS, le Tribunal Constitutionnel invalide le résultat du référendum, au motif que la campagne des partisans du « non » a été diffamatoire et donc illégale. Le Tribunal  permet à Evo Moralès de briguer un troisième mandat dont la date est fixée au 20 octobre 2019.
Tout va être mis en œuvre pour empêcher Morales de se représenter, l’opposition se déchaîne,  elle en  appelle à la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), à l’OEA (Organisation des Etats d’Amérique inféodée à Washington), au Brésil, à la Colombie et même directement à Donald Trump. Dès le 10 octobre 2019, dans tout le pays, de multiples manifestations se déploient pour exiger le respect du référendum de 2016.  Les opposants  annoncent  qu’ils ne reconnaîtront pas le résultat électoral si Morales l’emporte, traitent le gouvernement de « dictature » et proposent le « fédéralisme » comme moyen d’en finir avec l’Etat central (comme en 2008, précisément).

Read also:
Marta Harnecker, The Fighter

Résultat du scrutin du 20 octobre

Pour être élu au premier tour, tout candidat doit obtenir au moins 50 % des suffrages ou recueillir 40 % des voix avec une avance de 10 points sur le deuxième (article 167 de la Constitution), un second tour étant prévu le 15 décembre en cas de nécessité.

En Bolivie, le vote est manuel et la transmission des résultats des bureaux éloignés dans les zones rurales est longue.  Le 20 octobre au soir, dans les villes, l’opposition exulte car l’avance de Evo Morales sur Carlos Mesa ( droite modérée) arrivé second est inférieure à 10% , ce qui doit entraîner un deuxième tour. Mais après dépouillement de tous les bulletins et l’arrivée des résultats de la  campagne traditionnellement favorable au MAS, l’écart est de plus de 10%. Un second tour n’est pas nécessaire, Evo Morales est élu par 47,08% des voix (35,51% pour Mesa). En outre, le MAS a obtenu la majorité absolue au Parlement ( 2 chambres).

Déchaînement de violences

L’opposition ne reconnaît pas le résultat du scrutin, hurle à la fraude, exhorte le peuple à descendre dans la rue pour exiger un second tour.
Afin de désamorcer la situation tendue, Morales  demande au TSE ( Tribunal Suprême Electoral ) d’inviter l’Organisation des États américains (OEA) à effectuer un audit sur les élections. Mesa et Camacho  rejettent catégoriquement cette demande et exigent de nouvelles élections puis la démission de Morales, tout en continuant à pousser les opposants – avec leurs théories  racistes et leurs méthodes de voyous – à mener une chasse aux sorcières à l’échelle nationale contre les partisans du MAS.
Le conflit prend une très vilaine tournure. Des scènes obscènes vécues en 2008 se répètent.  Des bandes armées de l’opposition agressent des militants et dirigeants du MAS et des journalistes, mettent le feu aux bâtiments publics, aux maisons de membres du gouvernement. A certains endroits, toute personne qui semble indigène est malmenée physiquement. Des femmes indigènes sont déshabillées et molestées. Le 6 novembre, dans le « municipio » de Vinto (département de Cochabamba) où il a brûlé la mairie, un groupe de nervis a séquestré la mairesse Patricia Arce, membre du MAS, l’a traînée dans la rue, pieds nus, sur plusieurs kilomètres, avant de l’installer sur une tribune, devant une foule haineuse, pour la peindre en rouge et  lui couper les cheveux. Il y a des morts et de nombreux blessés.

Read also:
McKinsey Settles for Nearly $600 Million Over Role in Opioid Crisis

La plupart des pires outrages ont été soigneusement omis par la presse du monde entier qui présente la crise comme une rébellion contre le gouvernement Morales pour la défense de la démocratie, loin de la réalité sur le terrain.

Le coup d’état du « Pinochet » bolivien

Il a lieu le dimanche 10 novembre. La veille une grande partie de la police s’est mutinée. Puis l’armée, soutenant les policiers rebelles, lâche le Président….Le général William Kaliman, chef d’état-major, le « Pinochet bolivien »,  exige la démission du président. Ce général avait occupé en 2013, le poste d’attaché militaire de l’ambassade de Bolivie à Washington et dix ans auparavant il avait suivi une formation à l’Ecole des Amériques  (rebaptisée WHINSEC), cette célèbre école qui a formé tous les apprentis  putschistes du continent !
Sous la contrainte et des menaces de mort, Evo Morales démissionne, suivi par tous les remplaçants prévus par la Constitution dans l’hypothèse d’un départ du chef de l’État, entraînant une vacance du pouvoir. C’est finalement la deuxième vice-présidente du sénat,  Jeanine Añez – extrême droite –   qui s’auto-proclame Présidente et prête serment en brandissant la bible, alors que la séparation de l’Eglise et de l’Etat est inscrite dans la constitution. Parmi les premières mesures, Mme Añez  change le chef de l’armée, lance des poursuites contre Evo Morales, annonce vouloir quitter l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), renvoie sans délai 700 membres de la mission de coopération médicale cubaine et signe un décret exonérant les forces armées de toute responsabilité pénale. Très logiquement, elle reconnaît Juan Guaido, le dirigeant de l’opposition vénézuélienne qui s’était autoproclamé président de ce pays en janvier 2019.
Le Président du Mexique ayant proposé  l’asile politique à Evo Morales, celui-ci accepte et embarque dans un avion militaire mexicain venu se  poser à Cochabamba.
Par ce coup d’État, l’élite blanche prend sa revanche. Elle terrorise les élus MAS et leurs supposés partisans. Le président Evo Morales, qui a osé toucher à ses privilèges et à ses possessions, devait être neutralisé. Ils ont réussi, comme au Chili en 1973…
A Washington, le président américain Donald Trump s’est félicité de la tournure des évènements en Bolivie.

Les Etats-Unis derrière ce « golpe »

Depuis de nombreuses années des agences publiques américaines telles que l’USAID(4) financent ouvertement des groupes anti-Morales dans le pays. Les chefs de la police et de l’armée boliviennes qui ont trahi ont été  formés à « l’Ecole des Amériques ».
Les États-Unis ne tolèrent pas l’émergence du socialisme et des courants anti-impérialistes et les combattent de diverses façons : invasions, attentats, coups d’état, corruptions, financement et entraînement des opposants, campagnes de presse, etc….Ils justifient ces ingérences au nom des droits de l’Homme et de la démocratie.
Ils n’ont pas apprécié la décision de Morales, dès son élection, de renégocier les contrats avec les firmes exploitant les ressources naturelles de gaz et de pétrole. Enfin, la découverte des fabuleux gisements de lithium, dans le « salar de Uyuni »(5) –  les plus grandes réserves mondiales –  excite leur appétit : ce précieux métal indispensable aux technologies modernes ne doit pas leur échapper !

Read also:
Stalling Coup Needs a Little 'Aid'? - The newsletter of venezuelanalysis.com

Le peuple désarmé sera toujours vaincu

Un problème complexe est celui des relations des gouvernements progressistes avec les corps armés. Ils négligent souvent la police mais il faut rappeler que la police municipale fut la troupe de choc dans le coup d’État raté contre Hugo Chávez en 2002 ; la police s’est soulevée contre le pouvoir d’Evo Morales et c’est aussi des policiers qui ont séquestré Rafaël Correa  en 2010 …
Quant à l’armée, son rôle est ambiguë ; il faut distinguer les coups d’Etat fomentés par les généraux et les coups d’Etat menés par des sous-officiers de rang inférieur. Les premiers issus des classes supérieures sont des « Pinochet » qui établiront des dictatures de droite, les seconds issus des classes populaires sont des «Thomas Sankara » qui auront à cœur de mettre en place un pouvoir démocratique et d’améliorer les conditions de vie du peuple.
Dans les tentatives de renversement d’un gouvernement légitime l’attitude de l’armée sera donc déterminante, soit elle reste loyale soit elle trahit. Hugo Chavez, un ancien militaire, avait bien compris cela ; il a développé des politiques d’union civico-militaire et il a mis en place une milice populaire forte d’un million de patriotes prêts à défendre l’indépendance du pays.
Si la tentative d’invasion de Cuba a échoué après le débarquement de mercenaires anti-castristes à la Baie des Cochons en avril 1961, c’est bien parce que le peuple en arme a réussi à arrêter les envahisseurs.
Il est naïf de croire que l’on va transformer la société par une majorité parlementaire. Sans armes, le peuple sera toujours vaincu et ce n’est pas un hasard si les seules expériences révolutionnaires ayant abouti à une transformation effective de la société ont doublé l’outil politique d’un outil militaire.

Post-scriptum : La présidente par intérim de la Bolivie, Jeanine Añez, a promulgué  une loi convoquant de nouvelles élections présidentielle et législatives auxquelles Evo Morales ne pourra pas se représenter.

Notes :

(1) Aymara : Parmi les 36 peuples autochtones identifiés, les aymaras et les quechuas sont les plus  nombreux.

(2) Les latifundia : Nom latin qui désigne une très grande propriété où se pratiquent l’agriculture et l’élevage extensifs.

(3)http://www.ms21.org/index.php?titre_article=443&categorie=2

(4) USAID : Agence des Etats-Unis pour le développement international, en réalité officine de la   CIA

(5) : Salar d’Uyuni : un immense désert de sel  de 10500 km2  au sud ouest de la Bolivie.

http://ms21.over-blog.com/2019/12/coups-d-etat-en-bolivie-2016-2019.html