Coronavirus : pour en sortir plus forts ensemble

    Par Jeune Afrique

    Cinquante intellectuels africains dont Kako Nubukpo, Alioune Sall, Felwine Sarr, Achille Mbembe, Reckya Madougou, Souleymane Bachir Diagne, Franck Hermann Ekra et Hakim Ben Hammouda cosignent cet appel à la mobilisation des intelligences, des ressources et de la créativité des Africains pour vaincre la pandémie de Covid-19.

    Covid-19 est le nom scientifique du virus responsable d’une maladie respiratoire très contagieuse pouvant devenir mortelle. Épidémie puis reclassée pandémie par l’OMS le 11 mars 2020, ses effets sont dévastateurs : il sème la mort, plonge les économies les plus puissantes dans la récession, et constitue une menace sans précédent pour l’existence des sociétés humaines. Selon certains experts, ce virus serait annonciateur des plus funestes jours à venir pour le continent africain et ses habitants.

    L’Afrique n’est pas le foyer d’origine de cette pandémie, pourtant elle fait face à ses durs effets, par les contagions humaines en nombre croissant et la contraction brutale d’une partie significative des activités sociales et économiques essentielles. Le continent est donc sommé d’apporter une réponse indispensable, puissante et durable à une menace réelle qu’il ne faudrait ni exagérer ni minorer, mais bien rationaliser.

    Il s’agit de battre en brèche les pronostics malthusiens qui prennent prétexte de cette pandémie, pour donner libre cours à des spéculations à peine voilées, sur une prétendue démographie africaine démesurée, désormais cible des nouveaux civilisateurs. C’est une opportunité historique pour les Africains, de mobiliser leurs intelligences réparties sur tous les continents, de rassembler leurs ressources endogènes, traditionnelles, diasporiques, scientifiques, nouvelles, digitales, leur créativité pour sortir plus forts d’un désastre que certains ont déjà prédit pour eux.

    Le continent le moins impacté

    Nous allons dans les prochains jours dépasser la barre de deux millions de contaminés par le Covid-19 dans le monde entier. Le virus se propage à une vitesse incommensurable et la résistance des systèmes de santé des pays africains face à ce dernier est au cœur des interrogations. L’offre de services sanitaires, équipements, personnels qualifiés, etc. est désormais la source de toutes les inquiétudes. L’OMS a même appelé récemment les pays africains à « se réveiller » et à « s’attendre au pire ».

    Il convient de rappeler que l’Afrique est pour le moment le continent le moins impacté, avec son premier cas confirmé en février 2020 en Égypte, sans que l’on puisse apporter à ce constat, à ce jour, une justification concrète et documentée. Que les écosystèmes locaux, les facteurs démographiques, la nature mutante du virus, l’intensité des flux internationaux et d’autres éléments limitent la propagation de la pandémie reste hypothétique, mais il faut relever aussi la part prise par un certain nombre de mesures drastiques décidées par les gouvernements : fermetures des frontières, des écoles, des commerces et lieux de cultes…

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    Bien que la nature anxiogène de la pandémie, les contextes politiques locaux plus généralement, incitent à une demande sociale impatiente d’efficacité, l’observation des réponses publiques inégales apportées dans le monde, l’imprévisibilité relative de la pandémie, peuvent expliquer un processus d’essais et d’erreurs.

    Systèmes de santé repensés

    Si l’appréciation de la réactivité des pays africains est variable, à juste titre, il faut reconnaître pour s’en souvenir, l’effet catastrophique des décennies d’ajustements structurels sur la santé publique et l’offre sanitaire dans les pays africains. Malgré tout, nombre de systèmes de santé ont substantiellement évolué, tirés par la volonté d’atteinte des Objectifs du développement durable (ODD) en 2030 nonobstant les gaps à combler et des défaillances évidentes.

    L’état de l’équipement sanitaire africain, selon les pays, est certes globalement peu satisfaisant et mal doté, mais il serait méprisant de postuler une offre sanitaire inexistante préparant à un mouroir inévitable. De plus, la prise en charge de la santé est souvent sociale et de proximité, bénéficiant aussi des filets culturels qui prescrivent solidarité et gestion familiale des maladies.

    Pour ces raisons, les prophéties auto-réalisatrices ne sauraient se justifier. Les scénarios-catastrophes, envisagés çà et là pour le continent, pourraient de facto avoir un impact négatif sur les économies et l’évaluation des risques généralement défavorables à l’Afrique d’avant Covid-19, les investisseurs étant dans un contexte d’incertitude totale.

    Les systèmes de santé en Afrique doivent être repensés totalement au regard de nombreuses considérations et limites actuelles, et nous ne devrions pas attendre les possibles effondrements engendrés par une pandémie de cette ampleur pour agir diligemment et efficacement.

    Quelques pistes sont envisageables à cet effet :

    • À court terme, une véritable union des pays africains sur les plans économique et sanitaire pourrait permettre une mutualisation des réponses aux risques engendrés par le Covid-19 et au-delà. Les initiatives multiples prises pour mobiliser des ressources financières suffisantes afin d’éviter que s’ajoute une crise économique majeure à la crise sanitaire annoncée sont à saluer. Nous appelons vivement, à la fois à une gestion rigoureuse desdites ressources, et à une coordination sous-régionale et régionale efficientes des actions, afin que lesdites initiatives gagnent en synergie et en complémentarité.

    • De même, le partage de connaissance, de savoir-faire et de matériels médicaux sera un élément décisif.. L’énorme patrimoine culturel et traditionnel d’où est issue la pharmacopée africaine devrait être davantage mobilisé, mutualisé, panafricanisé, en association avec la médecine et les recherches dites modernes, comme l’ont fait avec succès certains pays comme la Chine. La créativité et l’ingéniosité locales devraient être stimulées, et l’offre artisanale valorisée à l’instar des équipements hydratants hygiéniques nouveaux proposées dans de nombreux pays (Ghana, Cameroun, …).

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    • L’Afrique doit apprendre de ses expériences et des autres régions du monde frappées par la pandémie, elle devrait davantage favoriser la solidarité dont elle possède les gènes, la sensibilisation massive, notamment en zone rurale, et le dépistage massif des populations. Les exemples provisoires de réussites montrent que ce ne sont pas nécessairement les moyens a priori abondants des pays à PIB très élevés qui produisent les meilleurs résultats sanitaires, à l’instar du Vietnam donnant 550 000 masques à 5 pays de l’Union européenne ou même de Cuba exportant son expertise dans la médecine d’urgence vers les pays dits développés

    Le coronavirus est révélateur d’une certaine « fin de l’histoire » et de l’existence de modèles alternatifs. Il revient à l’Afrique d’inventer les siens. Notre continent dispose de ressources étendues, d’une population active mobilisable et créative, de professionnels formés pour résister et vaincre la pandémie. Il faudrait pour cela qu’il prenne les bonnes décisions et les ajuste au besoin. L’existence d’une nouvelle conscience reliant le continent à ses diasporas, ses nouveaux réseaux d’intellectuels, de professionnels, de chercheurs, de militants, d’associations, de politiques, d’indépendants, devrait pouvoir apporter des voix neuves et disruptives dans ces débats.

    • À moyen terme, le principal enseignement de la crise du Covid-19 devrait être le constat pour l’Afrique qu’elle continuera d’être d’autant plus vulnérable aux chocs exogènes qu’elle ne trouvera pas de réponse structurelle aux défis de son développement. Assertion valable aussi bien pour la santé que tous les autres domaines. En effet la dépendance sanitaire reste un problème épineux et le coût des évacuations sanitaires des élites pose un cas d’injustice sociale et d’irrationalité économique, dans la mesure où nombre de ces services sont réalisables en Afrique à moindre frais. La perpétuation d’un modèle d’économie de rente, fondé sur l’exportation de matières premières non transformées en attendant des recettes extérieures volatiles est suicidaire. L’urgence africaine, c’est en l’occurrence la production locale de services sanitaires qualitatifs étendus, la transformation sur place des matières premières, vectrice de création de valeur et d’emplois, et la diversification de la base productive.

    Défis de taille

    C’est alors même que le Covid-19 met les économies à l’arrêt, sème la mort et la désolation dans les pays, perturbe le fonctionnement des sociétés, criminalise les formes de sociabilité les plus ancrées, perturbe les calendriers politiques, que paradoxalement, sonne pour l’Afrique l’heure de relever ses défis et de réinventer les modalités de sa présence dans le monde.

    Certes le défi auquel nous sommes confrontés est de taille car en plus de nos économies à l’arrêt, la pandémie du coronavirus a offert à certaines chancelleries occidentales matière à réactiver un afro-pessimisme que l’on croyait d’un autre âge. Dans les scenarii qui y sont élaborés, le visage de l’Afrique est celui d’un continent vulnérable, où les morts pourraient se compter non pas en milliers mais en millions d’individus. Il nous faut affirmer que ce scénario n’a rien d’une fatalité historique à laquelle le continent ne saurait échapper. Il en dit plus sur ses auteurs que sur la réalité d’un continent Africain, dont nul ne saurait préempter l’avenir et l’assombrir par principe. Il est temps de se rappeler que les périodes de basculement du monde ont toujours engendré un renouvellement paradigmatique, culturel et parfois civilisationnel pour ceux qui embrassent les exigences du changement. Il nous faut donc faire face aux défis qui se profilent et engager résolument les combats nécessaires.

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    Nous en appelons à tous les intellectuels africains, aux chercheurs de toutes les disciplines, aux forces vives de nos pays, à rejoindre le combat contre la pandémie du Covid-19, nous éclairer de leurs réflexions, de leurs talents, nous enrichir des fruits de leurs recherches et tous de leurs propositions constructives. Il nous faut nous fixer un cap optimiste tout en ayant courageusement conscience des lacunes à combler. Une autre Afrique est possible tout comme l’est une autre humanité dans laquelle la compassion, l’empathie, l’équité et la solidarité définiraient les sociétés. Ce qui pouvait ressembler jusqu’ ici à une utopie est entré dans l’espace des possibles. L’Histoire nous observe qui nous condamnera si nous nous laissons aller à conjuguer notre avenir au passé.

    Osons ne pas perdre confiance en l’avenir ou en nous-mêmes. Osons lutter ensemble contre la propagation du Covid-19 et osons vaincre ensemble le précariat mondial auquel donne naissance la pandémie éponyme. Oui, l’Afrique vaincra le coronavirus et ne s’effondrera pas.

    Cette tribune a été cosignée par : Kako Nubukpo, Alioune Sall, Reckya Madougou, Martial Ze Belinga,  Felwine Sarr, Carlos Lopes, Cristina Duarte, Achille Mbembe, Francis Akindès, Aminata Dramane Traore, Souleymane Bachir Diagne, Lionel Zinsou, Nadia Yala Kisukidi, Demba Moussa Dembélé, Franck Hermann Ekra, Alinah Segobye, Mamadou Koulibaly, Karim El Aynaoui, Mamadou Diouf, Hakim Ben Hammouda, Paulo Gomes, Carlos Cardoso, Gilles Yabi, Adebayo Olukoshi, Augustin Holl, Abdoulaye Bathily, Cheryl Hendricks, Lala Aicha Ben Barka,  El Hadj Kassé, Taoufik Ben Abdallah, Frédéric Grah Mel, Didier Acouetey, Yousra Abourabi, Didier Awadi, Marguerite Abouet, Valsero, Smockey, Monza, Fadel Barro, Lassane Zohoré, Mehdi Alioua, Véronique Tadjo, Madani Tall, Willy Zekid, Khadja Nin, Qudus Onikeku, Folashade Souley, Teddy Mazina, Joseph Tonda, Tiken Jah Fakoly