Concert de «retraites» et symphonie de l’ «autre monde»

Par Philippe TANCELIN
Poète-philosophe
6 décembre 19

Il aura fallu pas moins d’une quarantaine de samedis de colère jaune, de seize semaines d’infusion jaune dans les luttes, et de plus de quatre mois de mot d’ordre « convergences-5-décembre-retraite » asséné sans lasse pour que « montent en puissance » comme aiment à le dire syndicats et partis, entre 880.000 et un million et demi de citoyens contre « une-fin-de mois-fin-de-monde »,  hurlée sur tous les tons derrière des sonos à tête de montgolfières en retraite de toute échappée de haut vol.

Arrivée au sommet de la « montée », c’est maintenant la longue ou brève marche de « grève dure » qui commence avec en perspective, la victoire exclusive sur les retraites ou encore la « sortie de crise » tête plus ou moins haute selon le langage commun des forces politiques, syndicales en présence. En s’engageant dans une « négociation-bras-de-fer », c’est maintenant au concert-ballet des représentants respectifs (syndicats-gouvernement) ou préfère-t-on dire « gouvernement-partenaires sociaux), auquel on est confronté.

Compte-tenu des contradictions que traverse le monde syndical et de la fragilisation du pouvoir sur le terrain de la confiance, il se peut qu’aucune victoire ne puisse franchement apparaître et qu’on assiste à des compromis d’appareils laissant pour compte Les tiers colères sur leur lit d’infortune.

Les quelques récents débats médiatiques qui ont réuni membres du gouvernement, représentants syndicaux et acteurs-témoins de la colère populaire, ont laissé échapper une méchante  haleine d’indigestion de faux dialogues entre pouvoir et contre-pouvoir. La voix des colères quant à elle, s’étant vue très souvent devoir reléguer sous sa langue les mots-couleurs qui l’animaient…ces mots de « (G)rêve grave », ces expressions- clartés d’utopie qui travaillent depuis plus d’un an le langage de l’inaccédé contre la langue-garrot de l’inaccessible.

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Il n’est qu’à dresser l’oreille dans un cortège, ou dans une file d’attente, à la caisse enregistreuse des privations quotidiennes de tous les « in-vus » de notre société, pour entendre  les sirènes de la perte de crédibilité du discours convenu des pouvoirs.

Loin d’une seule « perte de confiance » qui conduirait à croire qu’il y eut quelque confiance ou compréhension à travers le faible pourcentage recueilli aux élections présidentielles, il s’agit plutôt d’une rupture de langue dans une rupture de monde, rupture à laquelle les organisations traditionnelles structurées auraient tort de penser pouvoir échapper.

En effet que peuvent bien poursuivre ensemble une société d’inégalités et d’injustices amoindries et une société du don, de la générosité…une société de la libre concurrence et une société de l’entraide en chaque occurrence…une société où on « entre dans l’histoire par la française des jeux » et une assemblée d’assemblées humaines sur un chemin d’histoire qui ne joue ni avec le nucléaire, ni avec la nature, ni avec les guerres par procuration, ni avec la marchandisation de l’Homme jetable…

Comment s’écouteraient une langue de la confiscation d’histoire collective,  et une langue fondée sur l’expérience sensible générant des valeurs communes, une éthique. Comment se comprendraient une langue de mots équarris, vidés de vie, avec laquelle on ne sait plus ce qui se signifie dans ce qui se parle et, une langue qui appartient au poème en ce qu’il se rebelle contre les configurations des petits lexiques « corporate » et à l’opposé, entreprend les mots en chacun, depuis ce tourbillon du vivre-à-milliers…lors que s’ouvre la rosée dans le bouton.

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« La symphonie de l’autre monde » que composent depuis des mois les lentes infusions d’idées jaunes dans le mouvement social et dans les luttes des bases, aujourd’hui en marge des directions syndicales, est sans doute radicale. Elle est non négociable avec le ballet des dirigeants de toutes sortes et leur langue de glissements-retournements de sens qui introduisent les pires confusions dans la pensée, entretiennent un flou flottant d’une rive à l’autre des discours.

Si une victoire des résistances à la réforme se veut possible, ce ne sera que sous la condition de ne pas occulter derrière l’abcès de fixation des retraites, l’urgence de cet « autre monde »  articulé dans tous les blancs d’attente que s’octroient d’un camp à l’autre les négociateurs avec leur jeu de balle.

S’il venait aux directions du 5 décembre le goût d’endosser  le costume gris des « braqueurs-traqueurs » de luttes aux couleurs de soleils, qu’ils sachent alors ce qu’un acteur conciliant vis-à-vis du sacrifice des mots, de la langue, connaîtra d’inexorable histoire de mur, entre les mondes.