Comment les cabinets de conseil comme McKinsey ont conquis la France

Ces cabinets sont aujourd’hui embauchés sur de mutiples sujets, allant de la vaccination à la lutte contre le changement climatique

By Elisa Braun and Paul de Villepin
February 8, 2021

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PARIS — L’élite de la fonction publique occupe une place à part entière dans l’imaginaire français. Civil, raffiné, imperturbable, sa main assurée guidant l’appareil d’Etat, le haut fonctionnaire est à l’idéal de la gouvernance publique française ce que James Bond est au service d’espionnage britannique.

Mais ces derniers temps, un nouveau type de bureaucrates s’est fait une place dans les couloirs parisiens du pouvoir. Des consultants de haut vol issus de sociétés comme McKinsey, Accenture, BCG et Capgemini jouent un rôle de plus en plus important dans l’administration de services publics de base, allant parfois jusqu’à remplacer toute une génération de fonctionnaires.

De nouvelles données obtenues par POLITICO montrent que McKinsey s’est ainsi taillé la part du lion dans une série de contrats signés récemment par le ministère de la Santé avec six cabinets de conseil pour des projets liés au COVID-19. L’entreprise américaine obtient 4 millions d’euros sur un montant total de plus de 11 millions d’euros.

La députée Les Républicains Véronique Louwagie, rapporteure du budget sur plusieurs sujets santé, qui a obtenu les détails des contrats du ministère déclare vouloir pousser un “cri d’alarme”  après avoir vu les données.

“D’une manière générale, le recours à des cabinets de conseil ne me choque pas trop”, dit-elle. Mais “la fréquence me gêne, l’accélération [de ces derniers mois] aussi”. Et d’ajouter: “La question aujourd’hui est de savoir : est-ce qu’il est normal qu’une administration comme celle de la santé ne soit plus en capacité d’assurer un certain nombre de missions ?”

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La France n’est pas le seul pays à s’être tourné vers le secteur privé pour s’occuper des affaires de l’État. Beaucoup de ses voisins — le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse — font appel à des cabinets de conseil depuis des années, voire des décennies.

Mais la pratique, en voie de normalisation ailleurs, a du mal à passer en France — un pays qui a toujours été très fier de la qualité de sa fonction publique et a toujours considéré avec méfiance les intrusions du secteur privé dans le public. Le fait que McKinsey travaille sur la campagne de vaccination de la France — comme l’a révélé POLITICO le mois dernier — a été accueilli avec indignation par les membres de l’opposition.

Et pourtant, la France a accru son recours aux services de consultants ces dernières années, selon notre enquête portant sur des bases de données des marchés publics, des documents internes et des entretiens avec plus de 30 professionnels de l’administration et du secteur du conseil. L’administration française a rendu publics au moins 575 contrats avec des cabinets de conseil depuis octobre 2018, pour des services allant de l’élaboration de plans de relance économique à l’aide à la lutte contre le coronavirus, en passant par des recommandations sur la loi climat.

Le travail pour le secteur public a représenté près de 10% du chiffre d’affaires des cabinets de conseil français en 2018, soit 657 millions d’euros, selon la Fédération européenne des associations de conseils en organisation (FEACO). Cela place la France devant l’Italie et l’Espagne en termes de dépenses, qui ont toutes deux commencé à faire appel à ce type de prestataire bien plus tôt, mais encore loin derrière le Royaume-Uni ou l’Allemagne — où les dépenses du secteur public représentent respectivement plus de 2,6 et 3,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour le secteur.

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Que l’on considère, comme beaucoup autour du président Emmanuel Macron, que c’est la modernisation d’une bureaucratie sclérosée ou une pratique étrangère qui soulève d’importantes questions sur la transparence, la responsabilité de l’État (français) et l’érosion de son administration, le constat s’impose qu’avec peu de débat public, les cabinets de conseils jouent désormais un rôle de plus en plus important dans la fourniture de services publics de base.

“Je pense que l’État a baissé la garde et que la France s’est peut-être désarmée en matière sanitaire”, affirme Louwagie. La députée présentera l’ensemble de ses conclusions le 17 février en commission des lois à l’Assemblée.

Zoom avec McKinsey

Chaque jour à 17 heures, les hauts fonctionnaires du ministère de la santé assistent à l’une des nombreuses réunions quotidiennes organisées pour superviser le déploiement de la campagne de vaccination. Fait notable, cette réunion Zoom n’est pas présidée par un fonctionnaire, mais par un consultant de McKinsey & Company.

Depuis le 30 novembre, la firme américaine a été appelée à la rescousse pour le déploiement de la vaccination, pour un montant total de 3,4 millions d’euros, selon les chiffres obtenus par Louwagie. Un montant supplémentaire de 600 000 euros a été facturé par le cabinet pour la mise en place d’une “tour de contrôle stratégique” à Santé Publique France.

Depuis mars 2020, le gouvernement a également engagé le cabinet Citwell pour l’aider sur la distribution des vaccins et des équipements de protection individuelle, pour un montant de 3,8 millions d’euros. Il a également recruté Accenture pour les services informatiques liés à la campagne de vaccination, pour un montant total de 1,3 million d’euros. Un autre montant de 2,2 millions d’euros a été réparti sur plusieurs contrats que se partagent Roland Berger, Deloitte et JLL Consulting.

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“Nous avons quand même 26 contrats en dix mois, soit une commande toutes les deux semaines. Cela représente 1 million d’euros par mois et 250 000 euros par semaine en consultants”, souligne Louwagie

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