par Michel Quinet
Secrétaire général du Parti de la démondialisation
le 28 juillet 2019
Le projet de loi de ratification de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne a été voté en première lecture par l’Assemblée nationale avec 266 voix contre 213. Le projet de loi de ratification devrait être examiné au Sénat en octobre.
Si on peut se réjouir qu’il y ait eu 213 députés pour s’opposer à la ratification du CETA, on peut s’affliger que 24 n’ont pas pris part au vote – alors qu’ils pouvaient se faire représenter – et surtout que 74 se soient abstenus, dont 52 de la majorité. Sur un tel sujet il est scandaleux que des députés soient incapables de choisir. On est pour ou on est contre cet accord qui est un texte inamendable. A moins que par coquetterie les députés de la majorité se soient abstenus pour exprimer leurs états d’âmes (ou encore des calculs électoralistes pour la suite de leur carrière) en sachant que leur vote ne mettait pas en péril la ratification voulue par le gouvernement.
Quant aux députés qui ont voté contre, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a pour certains une part d’opportunisme dans leur vote, bien dans l’air du temps, en réponse aux inquiétudes grandissantes de la population et aussi pour de piètres calculs politiciens. D’ailleurs on pourrait se demander quel aurait été le vote des députés PS et LR si ce texte était arrivé sous la présidence de Hollande ou Sarkozy…
Si ce vote est sans surprise, ce qui attire l’attention des médias c’est le fait que 9 députés de la majorité ont voté contre et que 52 se sont abstenus. Est-ce l’amorce d’un bouleversement du paysage politique ? Non ! M. Le Gendre, patron des députés LREM, est bien sûr contrarié mais il lit dans ce vote que « des questions qui traversent notre société, et notre majorité en est le reflet fidèle, notamment un certain nombre de thèmes et de sujets provoquent des inquiétudes, des interrogations, des peurs, contre lesquelles il est extrêmement difficile de lutter, même avec des arguments raisonnables ». Selon lui, « ces peurs liées au risque écologique, climatique, sanitaire (…) agitent nos concitoyens avec une intensité telle qu’il est extrêmement difficile de s’y opposer par les seuls arguments de la raison ». Et il ajoute sans pudeur : « Notre majorité est sensible à ces interrogations et à l’écoute de la population qu’elle estime devoir représenter », même s’il admet qu’aujourd’hui « il y a des doutes exprimés sur le modèle économique global de la planète ».
Nous sommes loin d’un éclatement de la majorité et il est significatif d’entendre Sandrine Le Feur, députée LREM du Finistère, agricultrice bio, qui a voté contre, expliquer : « Je ne considère pas être allée contre la majorité, je suis allée contre un texte qui est l’héritage de la droite et de la gauche. Je ne me suis pas contre le gouvernement, ce n’est pas un texte produit par celui-ci ». Et de faire semblant de croire que les gesticulations des parlementaires ont pu améliorer un texte qui est figé depuis sa signature par l’Union européenne. En fait elle ne remet pas en cause les traités de libre-échange, mais elle veut les améliorer, elle propose même : « Il faudrait sortir l’agriculture de ce genre d’accord. Au même titre que l’exception culturelle, on devrait construire durablement une notion d’exception agricole. » Peut-être faudrait-il aussi créer une exception automobile ou pour les machines à coudre ou les chaussettes ?
Non M. Le Gendre, non Mme Le Feur, vous n’êtes pas le reflet fidèle de notre société. Nous voyons bien que ce qui préoccupe le gouvernement et sa majorité, ce n’est pas le bien commun, la défense de la souveraineté nationale, c’est au contraire de maintenir le système capitaliste qui est pour eux une évidence et une croyance. Ce qui les inquiète, ce ne sont pas les problèmes environnementaux, c’est la compétitivité des entreprises ! Et tous les moyens sont bons, y compris d’instrumentaliser les craintes légitimes des peuples pour l’avenir. Vous décrétez ʺl’urgence climatiqueʺ mais, en totale contradiction, vous négociez à tout va des accords de libre-échange dans le cadre de l’Union européenne, car comme le dit Jean-Claude Juncker, « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Par conséquent, l’urgence climatique ne doit pas remettre en cause le modèle économique global qui s’impose par la mondialisation néolibérale et dont le libre-échange est un des piliers.
Vous prétendez atténuer les conséquences du système alors que c’est le système qu’il faut remettre en cause. Il ne peut y avoir de protection efficace de l’environnement, de sécurité et de souveraineté alimentaires sans remettre en cause le capitalisme et la mondialisation néolibérale.
La majorité macroniste a montré par son vote que malgré ses belles paroles l’environnement et la démocratie sont secondaires par rapport au marché et au libre-échange : seuls 6% des députés de la majorité présidentielle qui s’agitent au sein du groupe “Accélérons la transition” ont voté contre le CETA.
La lutte contre le CETA n’est pas finie
En France, après l’Assemblée nationale, le Sénat doit voter la loi de ratification en octobre et nous verrons si les sénateurs PS et LR qui y sont majoritaires auront la même attitude que leurs collègues députés. Nous devons continuer notre campagne pour décider les sénateurs à rejeter le traité. Même si l’Assemblée nationale gardera la main sur la décision finale.
Dans l’Union européenne, seuls 13 pays – Autriche, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni et Suède – ont ratifié le CETA qui s’applique cependant de façon scélérate depuis plus d’an an. Si l’on peut penser que l’Allemagne ratifiera le traité, n’oublions pas que les partis au pouvoir en Italie ont promis de ne pas ratifier le CETA. Tiendront-ils parole ?
Non la lutte contre le CETA n’est pas finie, de même que celles contre tous les accords en cours de discussion comme avec le Mercosur (Amérique latine) et pour lesquels l’UE demande encore l’avis des Parlements nationaux. Mais la démocratie et le débat public contrariant la bonne marche de l’Union européenne, les futurs accords de libre-échange dépendront du Conseil européen, uniquement !
Les accords commerciaux sont, en effet, du ressort exclusif de l’Union européenne (Art. 3 du TFUE) à laquelle la France a désormais concédé sa souveraineté par le Traité de Lisbonne intégrée à sa Constitution depuis 2008, contre l’avis du peuple qui avait rejeté le TCE en 2005 par référendum ! C’est en sortant de l’Union européenne que nous retrouverons notre souveraineté et notre liberté de négocier des accords de commerce équilibrés avec les peuples et nations pour échanger des biens et des services en respectant l’équilibre des balances commerciales, en ne laissant plus les entreprises multinationales décider à la place des citoyens ce qui est bon pour eux.
http://pardem.org/le-parti/campagnes/ceta/973-ceta-ils-ont-ose-ratifier