10 juin 2021
Pour quiconque se préoccupe encore de la situation de Cesare Battisti, se confronter à la situation qui lui est faite aujourd’hui, ne peut être qu’une source de désespoir et de dégoût. Les conditions de son incarcération, dans une section de prison calabraise réservée, à part lui, à des détenus djihadistes, sont en soi une indignité. Elles sont semblables à celles du fameux 41bis, le régime infligé aux chefs mafieux. Quelle que soit la monstruosité des crimes reprochés aux détenus auxquels on l’inflige, quelle que soit la dangerosité qu’ils représentent encore aujourd’hui, ce régime est déjà une honte pour toute société se réclamant d’un État de droit qui assoit sa légitimité sur le fait de garantir même à ses pires ennemis un minimum de survie et de dignité.
De rares voix se font entendre régulièrement pour le dénoncer. Mais aujourd’hui, en Italie, s’agissant de Cesare Battisti, on ne trouve personne pour protester publiquement contre le régime auquel il est soumis, qui, en plus de ses caractéristiques inhumaines, l’expose à l’arbitraire et aux caprices des petits chefs sadiques si nombreux dans l’administration pénitentiaire, des deux côtés des Alpes. Du côté italien, on nous répète d’ailleurs sur tous les tons que la seule manière de défendre Cesare, aujourd’hui, du côté français, c’est de nous taire : toute défense publique serait « mal prise ». Les batteries de canons médiatiques sont prêtes à tirer au moindre signe de protestation venant de ces Français qui, inexplicablement, continueraient à défendre le Monstre Battisti. Pourtant, le traitement infligé à Cesare, en plus d’être injustifiable pour n’importe qui, l’est tout particulièrement en ce qui le concerne : on ne peut sérieusement lui attribuer aucune espèce de dangerosité. Contrairement à ce que répète avec une obstination ubuesque l’administration pénitentiaire italienne, cela fait plus de 40 ans que Cesare a renoncé à la lutte armée et qu’il a donné les preuves d’une vie de citoyen rangé. Quand on cherche à comprendre les raisons de l’acharnement à le maintenir dans un statut d’ennemi public n°1, contre les décisions mêmes de la cour d’Appel de Milan, censée pourtant être décisionnaire sur son régime de détention, quand on cherche à saisir les raisons de ce surcroît de cruauté obstinée, on n’en trouve qu’une : au terme d’un processus médiatico-politique pluridécennal qu’il faudra bien analyser un jour, on a fini par faire de Cesare, bien malgré lui, l’épouvantail parfait de ces années 70 qui continuent à incarner le cauchemar des classes dirigeantes. On en est là aujourd’hui : exiger que la vérité historique d’une époque fondatrice soit enfin examinée en dehors des diktats de la vérité officielle, est un combat étroitement lié à la bataille pour sauver la vie, la simple survie biologique d’un homme.
Ci-après, on lira trois textes :
— Une lettre de Valentine Battisti à un journaliste français. La clarté de son exposé sur la situation de Cesare, et sa simple sincérité nous ont paru la meilleure manière de faire comprendre l’urgence du moment.
— La lettre de Cesare Battisti exposant les raisons pour lesquelles il entre en grève de la faim et de toutes ses thérapies.
— Une lettre d’un groupe de ses amis.
Pour l’heure, face au mur de silence médiatique et à la haine compacte qui entoure notre camarade, nous n’avons pas dans l’immédiat de géniale idée sur la façon d’avancer. Nous sommes preneurs de toute suggestion. Une seule chose est sûre : le temps presse.
S.Q.
Lettre de Valentine Battisti à un journaliste
Je me tourne une fois de plus vers vous car aujourd’hui, une annonce que je redoutais tant, vient de m’être confirmée ce matin. Mon père a entamé une grève de la faim et des soins ce mercredi 2 juin. Sans traitement, son état de santé risque de se détériorer très rapidement. Il nous avait fait part de son intention il y a déjà plusieurs mois mais nous avons préféré croire que cela n’arriverait pas. Nous comptions beaucoup sur les multiples demandes faites par ses avocats pour le sortir de cette prison en Calabre. En Septembre de l’année dernière, il avait déjà initié une grève de la faim, afin que son isolement, qui d’après la justice ne devait durer que 6 mois et s’était poursuivi pendant 21 mois, soit enfin interrompu. En effet la prison de Sardaigne où il était alors, ne comptant aucun autre détenu AS2, le condamnait déjà à un isolement de fait. Quelques jours après avoir initié la grève de la faim et des soins, il avait été transféré brutalement, mais pas à Rome comme demandé, (plus proche de sa famille et au régime normal, et non AS2, conformément à la décision de la Cour d’Assise de Milan), mais en Calabre, encore plus loin, toujours en AS2 et dans une prison dédiée aux détenus djihadistes. Par ailleurs ce transfert avait été réalisé sans en avertir les avocats qui n’ont alors pas eu la possibilité de s’y opposer.
Dans la prison de Rossano, en Calabre :
— il a été soumis à une censure totale de son courrier
— son ordinateur qui lui servait d’outil de travail lui avait été confisqué ( un nouveau livre qu’il a écrit à oristano est d’ ailleurs en voie de publication )
— l’ accessibilité à la prison, qui était déjà difficile pour moi en France et sa famille qui se trouve près de Rome et de Grossetto, est devenue encore plus compliquée. Je n’ai pu le voir qu’une seule fois depuis son extradition. Ici il n’y a pas que lui qui soit puni mais sa famille également !
— son isolement, bien qu’il ait été retiré, ne s’est finalement jamais interrompu dans les faits puisqu’il se retrouve dans une prison où seuls les détenus djihadistes sont enfermés et avec lesquels il ne peut se confronter pour sa propre sécurité.
Certains recours ont abouti et nous avaient laissé beaucoup d’espoir que ces conditions finissent par s’améliorer : la censure à finalement été retirée, son ordinateur lui a récemment été rendu. Cependant, toute les tentatives pour demander un transfert afin de le rapprocher de sa famille et enfin arrêter cet isolement qui dure depuis maintenant 28 mois, ont été systématiquement rejetées
Nous avons tous vécu le confinement du Covid et nous savons que l’isolement peut être difficile. Imaginez 2 ans et demi d’isolement ! Je trouve que c’est inhumain et même si je suis terriblement angoissée par sa décision de faire une grève de la faim et des traitements (pour son hépatite), je comprends qu’il n’ait plus le choix. J’attends avec angoisse la suite des évènements. La justice italienne le laissera-t-elle mourir ? Ce traitement est-il aussi celui qui sera réservé au dix anciens activistes menacés d’extradition ici en France ?
Cher xxx, ce mail est un appel au secours, accepteriez-vous de faire publier le communiqué de mon père ?
Je vous joins le communiqué original suivi de sa traduction en français et je rajoute un communiqué rédigé par ces soutiens en France. Vous pouvez me citer par mon prénom
Je vous remercie infiniment pour l’aide que vous pourrez apporter
Appel à la justice
Par Cesare Battisti
La demande de transfert de la maison de détention de Rossano a été rejetée, en substance, pour les raisons suivantes :
a) l’affectation à l’AS2 a été réservée au sujet pour des raisons de sécurité en raison du type de crime.
b) l’affectation à l’AS2 n’empêche pas le traitement ordinaire ; l’absence de l’article 4 bis (incompressibilité de la peine) n’empêche pas l’affectation à l’AS2
c) l’AS2 ne fait pas ’obstacle’ à un processus de traitement visant à la rééducation et à la réinsertion de la personne condamnée.
Outre qu’ils ne tiennent pas compte de l’immense préjudice causé par la distance excessive qui sépare proches et condamné, les motifs du rejet sont mensongers. L’obstination du DAP (Département de l’Administration Pénitentiaire) à le considérer comme une personne dangereuse, 42 ans après les faits et sans apporter aucun élément nouveau contre lui, ne repose sur aucun fondement juridique. Au contraire, le procureur antiterroriste de Milan, le docteur Alberto Nobili, a déclaré publiquement que ’Cesare Battisti ne représente plus aucun danger pour la société’. Le DAP traiterait donc d’un cas où la peine n’est plus de nature corrective, comme le prévoit la Constitution, mais exclusivement de nature punitive.
J’ai passé 40 ans en exil à mener une vie de citoyen contribuable, parfaitement intégré dans la société civile au prix d’une activité professionnelle incessante, d’une implication pacifique dans des initiatives culturelles et du bénévolat, partout où l’on m’offrait un refuge. Bénéficiant même d’une reconnaissance internationale.
Il est pour le moins hasardeux de soutenir, comme le fait le rejet de transfert, que le département AS2 de la maison d’arret de Rossano serait un lieu décemment apte à remplir les prescriptions de l’ordre pénitentiaire, de la Constitution et des institutions internationales. Le quartier AS2 de Rossano est une tombe, tout le monde le sait. Rien ni personne n’entre ou ne sort d’ici pour quelque raison que ce soit, si ce n’est pour rejoindre la salle d’appel vidéo une fois par semaine. C’est le seul quartier de Rossano à être dépourvu jusqu’au carrelage et des toilettes décentes, où aucun travailleur social ne met les pieds. Le portail tristement célèbre de l’’antre d’ISIS’ est tabou même pour l’aumônier, qui a jusqu’à présent régulièrement ignoré mes demandes d’entrevue.
Ici, contrairement à ce que dit le DAP, il n’existe aucune activité commune visant à la réinsertion sociale ou à une rééducation réèlle. Ici, tout est conçu pour tenir à distance de fervents musulmans, auxquels a été concédé, bien que dans des conditions exécrables, le droit de prier ensemble. Pour ne donner qu’un exemple, la promenade de cette AS2 n’est rien de plus qu’un pigeonnier obscène, où un rayon de soleil pénètre rarement ; alors que tout le reste verse dans le délabrement.
Outre les déficiences endémiques générales, le DAP semble ignorer le fait que dans ce service, rien n’est prévu pour les détenus qui ne partagent pas les coutumes et les traditions musulmanes, ou qui présentent des incompatibilités vives de coexistence avec cette catégorie de détenus.
Il serait pourtant essentiel d’en tenir compte. Puisque dans mon cas, étant le seul détenu ici à n’être pas lié au ’terrorisme islamique’, cela signifie un isolement total de plus de 27 mois, dont les 8 derniers sans jamais être exposé à la lumière directe du soleil.
Si elle ne l’ignore pas délibérément, la DAP semble interpréter de manière singulière la sentence de la Cour d’Assises d’Appel de Milan, confirmée en Cassation, en novembre 2019, qui établit que le soussigné doit purger sa peine dans une prison à régime ordinaire. En aucun cas, le service AS2 de Rossano ne peut garantir un traitement ordinaire, car ce n’est pas sa fonction.
J’avais mis mon espoir dans cette dernière demande de transfert, imaginant qu’après plus de deux ans dans des conditions extrêmes, les autorités n’infligeraient pas davantage, compte tenu également de l’âge et de l’état de santé précaire. Mais aussi et surtout pour avoir fait preuve d’une grande disponibilité à la réconciliation avec les secteurs de la société qui ont le plus souffert des conséquences de la lutte armée des années 70, en particulier vis-à-vis des familles de toutes les victimes.
Les choses ne sont jamais ce qu’elles semblent être dans le prisme des médias. La question des réfugiés de France reposée dernièrement est une farce. Tout comme l’intention de l’État de me priver jusqu’au bout de droits établis est réelle. L’Italie a menti en garantissant un traitement humain et la clémence. Quelle meilleure preuve que les conditions d’emprisonnement de Battisti. Ce à quoi les réfugiés arrivant de France en Italie doivent vraiment s’attendre, c’est le contraire de ce qui est annoncé.
Je suis désolé de devoir apporter une autre douleur à tous ceux qui m’ont été proches jusqu’à présent, en devant leur annoncer que, étant dans un état d’épuisement, le 2 juin j’informerai les autorités de mon intention de recourir à une grève de la faim et des soins. Avec l’espoir que la justice ouvre une brèche dans le mur des damnés, et que même Cesare Battisti ait droit au traitement humain qui devrait être garanti à tout condamné.
Cesare Battisti
Un appel des amis de Cesare Battisti
Non, ce sort, qui est déjà celui de Cesare, n’a rien de juste, il n’a rien de digne, ni de décent, ni d’humain.
Quelles qu’en soient les justifications, il n’est pas acceptable qu’un être humain soit maintenu à bien plus de 500 kilomètres de sa famille la plus proche, sachant que faire le trajet lui devient chaque jour plus impossible.
Il n’est pas acceptable qu’au motif d’une dangerosité fantasmée 40 années après l’Histoire à laquelle elle se rattache, Cesare soit maintenu dans l’isolement à même le béton et sans lumière naturelle directe, dans un environnement qui n’est pas adapté à sa situation, qui le soumet à un constant sentiment d’insécurité et ne lui permet aucune interaction sociale, ni aucune activité en commun, (par ailleurs inexistantes à Rossano en dehors de la prière). Cela fera bientôt 8 mois qu’il est isolé de fait à Rossano, ajoutés aux 21 mois précédents à Oristano, (où il était déjà à l’isolement au pretexte du régime AS2 assigné sans base légale) depuis qu’il a été livré à l’Italie en janvier 2019.
Aujourd’hui, un nouveau rejet opposé à sa demande légale de transfert promet de perpétuer encore cette situation intenable… jusqu’à quand l’être humain est-il compressible ? Jusqu’où survit-on à un tel traitement ? Faut-il choisir de laisser cette situation dégrader sa santé physique et morale à petit feu, ou, au risque d’en hâter l’issue, recourir à la seule option qui soit en son pouvoir, à savoir la grève de la faim et des soins ? Quelle que soit la force de persuasion que nous exercions exerçons pour l’en dissuader, ce seul choix binaire qui le tiraille depuis de longs mois maintenant, entre « crever à petit » feu ou risquer de hâter la fin de ce calvaire pour le pire comme le meilleur, est inacceptable.
L’institution carcérale est responsable des détenu.e.s. La société est responsable des personnes qu’elle juge « devoir » lui soumettre, en fonction de critères souvent très discutables. La liberté leur est retirée en fonction de ces mêmes critères. Mais leurs droits, à la santé, au maintien du lien familial, à une prise en charge sanitaire digne de ce nom, au maintien d’activités et d’échanges sociaux vitaux, à une défense qui puisse s’exercer sans entraves, doivent au minimum être respectés en contrepartie. Si ces droits ne peuvent pas être assurés, et il ne le sont pas, il faut les libérer. Les livrer à un tel sort n’est digne ni de notre siècle, ni de notre civilisation, ni de notre Humanité
Published at lundi.am