«Ces migrants vivent gratuitement sans contribuer», dénoncent des Grecs

Par Marie-Eve Bédard

La présence de milliers de migrants bouleverse le quotidien des résidents du nord de la Grèce, déjà aux prises avec une économie en difficulté. Ceux-ci se sentent envahis et regrettent d’être taxés de racisme.

Les plages du nord de la Grèce sont désertes. Ce n’est rien d’alarmant en cette saison, parce que les températures avoisinent le point de congélation.

Mais le temps plus clément ne ramènera pas les touristes, croit Elena Vasilikoudi, une propriétaire d’un petit hôtel de plaisance à Nea Vrasna.

Les touristes nous appellent pour demander si nous avons des réfugiés dans la région et annulent leur réservation, explique-t-elle. Ils semblent dire qu’ils sont désolés pour eux, mais ne veulent pas partager la plage avec les migrants. Nous ne savons pas quoi faire. Nous-mêmes luttons pour nous remettre de la crise économique qui a dévasté notre pays.

La majorité des hôteliers de Nea Vrasna, comme Elena, profitent des mois calmes d’hiver pour rénover leurs propriétés désertes pour la saison à venir et pour se reposer. Mais certains ont choisi de louer les chambres vides pour y loger les demandeurs d’asile. Un geste qui a suscité la colère de nombreux collègues, qui ont même accueilli les premiers arrivants en leur lançant des pierres.

Les questions, ici, dérangent et sont accueillies par un mur de silence.

Dans nos médias, on nous traite injustement. Ils nous présentent comme des racistes et des xénophobes. On nous insulte, déplore Elena. Mais la population ne cherche qu’à se protéger, dit-elle.

On les voit se balader, des hommes célibataires qui arrivent de Turquie, ajoute-t-elle.

“Combien viendront? Sont-ils tous des réfugiés? Nous avons perdu le contrôle et n’avons aucune idée de ce qui se passe. Tout le monde a fermé ses frontières, sauf nous.”Elena Vasilikoudi, hôtelière

Nous-mêmes [Grecs] partons pour l’étranger pour trouver du travail et ces migrants viennent ici et vivent gratuitement sans devoir travailler ou contribuer à quoi que ce soit, soutient-elle.

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Le nouveau gouvernement conservateur de Kyriakos Mitsotakis avait promis en septembre de déplacer les dizaines de milliers de migrants, en attente sur les îles de la mer Égée dans des conditions désastreuses, en Grèce continentale avant juin. Mais le manque de logements et la résistance des communautés approchées n’ont pas permis l’exécution de ce plan.

Un flot incessant

Est-ce que le flot de réfugiés va s’arrêter maintenant? C’est ça la véritable question, dit Yorgos Markris, un autre résident. Même si le gouvernement les déménage tous de Lesbos, d’autres vont venir, non? Que va-t-il se passer, alors? Peut-être qu’on peut intégrer les réfugiés actuels dans la société grecque, mais pas plus.

“L’ennui, c’est qu’il y a ce lunatique de l’autre côté de la mer en Turquie [Recep Tayyip] Erdogan, qui menace sans cesse de relâcher 3 millions de personnes pour nous envahir.” Yorgos Markris, résident grec

Yorgos et sa famille habitent Nea Apollonia, une colonie de vacances en bord de mer qui a fait faillite et qui a été transformée en camp d’accueil pour les migrants. Par vagues successives, il a vu les yézidis, les Syriens, les Africains s’installer dans les hôtels vides de ses voisins depuis 2016.

Avec sa femme Polina et ses deux enfants, ils sont les seuls Grecs qui vivent encore ici parmi 2000 demandeurs d’asile.

Les autorités lui ont offert une maison en ville pour y vivre, mais il refuse de partir.

Je ne peux tout simplement pas partir, affirme Yorgos. Si je partais, ils détruiraient ma maison complètement. À côté, ils sont entrés par infraction et ont retiré les portes pour les brûler. Quand nous sommes venus ici, nous avons réussi à rénover la maison pour en faire exactement ce qu’on voulait. Vous n’arriverez pas à me faire partir. J’ai donné ma vie pour cette maison.

La cohabitation est polie avec la majorité, dit-il, mais sa famille vit une insécurité constante.

La première vague qui est arrivée, ce n’était pas des musulmans, c’était des yézidis. C’était différent, plus paisible. On arrivait à se parler pour régler nos différends. Mais ils sont partis en 2018. Quelques mois plus tard, ils ont amené des gens de toutes les nationalités : des Syriens, des Afghans, déplore-t-il.

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“C’est le chaos maintenant. Il y a des bagarres, beaucoup de crimes, et personne ne nous aide. Nous avions la police avant, mais ils ont fermé le poste, et le plus proche est maintenant à 35 kilomètres d’ici.” Yorgos Markris, résident grec

Le revers de la médaille

L’insécurité, la peur, beaucoup des familles étrangères qui habitent de petites chambres dans les hôtels tout autour les ressentent aussi.

Elles tentent de naviguer dans un processus bureaucratique qu’elles comprennent souvent très mal, dans la crainte d’être finalement renvoyées d’où elles viennent ou que ce qu’elles ont fui les rattrape jusqu’ici.

Je ne me sens pas en sécurité ici. Je ne sors pas de ma chambre. J’ai vécu des choses terribles en Afghanistan : Zarah n’arrive pas à retenir ses larmes quand elle pense à ce qui l’attend si elle devait retourner dans son pays.

C’est sa mère qui l’a poussée à partir quand les menaces contre sa vie se sont faites de plus en plus insistantes, raconte-t-elle : Parce que je suis une fille, que j’allais à l’université, que j’avais un travail. Je sortais de la maison et ça dérangeait. On me disait qu’une fille ne pouvait pas faire ça.

“Partir, laisser ma famille et mes amis a été très difficile, mais je ne peux pas imaginer retourner en Afghanistan. Ces gens-là, les talibans, vont me tuer.” Zarah, migrante afghane

Elle est arrivée seule en Grèce en 2017 après avoir tenté 17 fois de traverser la mer depuis la Turquie. C’est ici qu’elle a rencontré Akram, un Afghan lui aussi, qui est devenu son mari. Le couple a maintenant une fillette, Sarah.

C’est toute une vie qu’ils se sont bâtie en attendant le traitement de leur dossier. Il y a quelques semaines, ils ont chacun été rejetés comme réfugiés par les autorités et attendent maintenant d’interjeter appel de cette décision pour éviter d’être déportés.

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Expulser 10 000 personnes

Depuis son arrivée au pouvoir, l’été dernier, le gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis ne cache pas que sa priorité en matière d’immigration est de renforcer la protection des frontières et d’être plus strict sur l’octroi de l’asile en Grèce. Les règles d’appel des décisions ont été resserrées. L’objectif est de renvoyer en Turquie 10 000 demandeurs d’asile déboutés cette année.

Diamantis Liamas, le maire de la municipalité de Volvi, qui englobe Nea Vrasna et Nea Apollonia, espère que le gouvernement tiendra sa promesse. Il compatit avec les demandeurs d’asile, soutient-il, mais il croit que les villages de sa municipalité ont suffisamment apporté leur contribution.

C’est un enjeu qui nous concerne tous. Les délais trop importants pour traiter les demandes d’asile et les expulsions de ceux qui n’y sont pas admissibles nous préoccupent, déclare-t-il.

“Je crois que le gouvernement a compris que le flot d’arrivées va se poursuivre et qu’il doit trouver une façon de faire plus efficace, y mettre plus de ressources.”Diamantis Liamas, maire de Volvi

Un espoir prudent, puisqu’il ajoute que chaque demande de ressources supplémentaires pour soutenir Volvi est restée sans réponse du gouvernement.

Et avant de jeter la pierre aux Grecs, l’Europe doit aussi partager le fardeau, croit M. Liamas.

La solidarité devrait être la qualité première de l’Union européenne. Mais ce n’est pas ce qu’on voit de la part des peuples et des gouvernements. Les pays riches devraient contribuer proportionnellement et nous offrir une solution, estime-t-il.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1518226/grece-migrants-turquie-afghanistan-situation-residents