Brésil : quand la police mitraille les alentours d’une école publique

par Glauber Sezerino

Le 20 juin, dans un quartier populaire de Rio de Janeiro, un hélicoptère de la police a mitraillé les alentours d’une école publique, tuant sept personnes, dont un écolier. Ce drame illustre la violence qui ne cesse d’augmenter partout dans le pays, en particulier les exactions policières et militaires sous prétexte de lutte contre la criminalité et de combat contre un « ennemi intérieur ». « Tout se passe comme si le pays était en état de guerre civile déguisée en affaires courantes de criminalité », estime Glauber Sezerino, co-président de l’association Autres Brésils, dont voici le point de vue.

Le 20 juin dernier, vêtu de son uniforme scolaire, Marcelo Vinicius da Silva, 14 ans, habitant de la Maré, une favela de la zone nord de Rio de Janeiro, est atteint d’une balle dans le dos sur le chemin du collège. Transporté aux urgences avec du retard, le jeune collégien ne résiste pas à ses blessures et décède pendant la nuit, répétant en boucle à sa mère : « Ils n’ont pas vu que je portais l’uniforme du collège !? ».

Marcelo Vinicius est la plus jeune des sept victimes de l’opération menée par la police civile de Rio de Janeiro ce jour-là. L’assaut a été lancé vers 9 h du matin par une centaine de policiers civils, des soldats de l’armée de terre et des agents de la Force nationale escortés par des véhicules blindés et le tout nouvel hélicoptère blindé de la police civile. L’offensive était officiellement dirigée contre des trafiquants de drogue visés par 23 mandats d’arrêt. L’objectif principal était de trouver les personnes suspectées d’avoir assassiné l’inspecteur Ellery de Ramos Lemos, chef des enquêtes au bureau de lutte antidrogue de la police civile.

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L’échec tragique de cette campagne militaire qui n’a procédé à aucune arrestation alors qu’elle a mobilisé des centaines de soldats, de l’armement de guerre et des véhicules blindés, met une fois de plus sur le devant de la scène l’un des fléaux majeurs de la vie sociale brésilienne : la militarisation croissante de la sécurité publique.

Rio, São Paulo, zones rurales : un pays en guerre ?

À Rio de Janeiro, ville dont les images de violence imprègnent depuis longtemps l’imaginaire national et international, la sécurité publique est passée sous le commandement d’un général de l’armée de terre depuis février 2018. Malgré une augmentation des ressources budgétaires et humaines, les quatre derniers mois d’intervention n’ont entraîné aucune baisse de la criminalité. Bien au contraire, les homicides et les exactions des forces de l’ordre n’ont cessé de se multiplier : durant cette période, on comptabilise plus de 400 homicides commis par les forces de l’ordre, 23 massacres faisant suite à des opérations de police ou de l’armée, ainsi qu’une hausse du nombre de fusillades (+20 %) et de vols (+5%).

À São Paulo, capitale économique du pays, non soumise à l’intervention militaire, la situation n’est pas meilleure. Les derniers rapports du Forum brésilien de sécurité publique indiquent une forte augmentation des violences policières : si le nombre d’homicides dans l’état de São Paulo est en franche diminution depuis quelques années, ceux commis par des policiers n’ont cessé d’augmenter. Aujourd’hui, les forces de l’ordre sont responsables d’un quart des homicides perpétrés dans l’état.

Loin des grands centres urbains, les conflits liés à la terre sont également fortement militarisés. Les assassinats d’agriculteurs et de paysans sans terre sont en nette augmentation ces dernières années et plusieurs massacres ont été commis par les forces de l’ordre ou avec leur accord.

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Tout se passe comme si le pays était en état de guerre civile déguisée

Si les taux de violence ont systématiquement augmenté au Brésil durant la dernière décennie, cela est en partie dû à une intensification brutale de la violence des agents de l’État. Entre 2009 et 2016, 21 892 personnes ont été tuées par des policiers. Entre 2015 et 2017, alors que le taux global d’homicides a grimpé de 5 %, les homicides commis par les forces d’ordre ont eux grimpé de 34 %.

Cette militarisation de la sécurité publique se manifeste également dans les nombreuses déclarations des représentants de l’État et des agents des forces de l’ordre où le champ lexical privilégié est celui de la guerre : des termes et expressions tels que « assaut », « combat », « ennemi intérieur », « campagne militaire » ou « souveraineté nationale » sont monnaie courante. Une symbolique guerrière que l’on retrouve dans la formation et la vie quotidienne des forces de l’ordre, comme en attestent l’usage d’uniformes noirs, d’écussons ornés de crânes transpercés par des couteaux, ou encore l’apprentissage de chansons qui préconisent la mort des ennemis. Tout se passe comme si le pays était en état de guerre civile déguisée en affaires courantes de criminalité.

Le choix de l’ennemi

Comme dans toute situation de guerre, le choix de l’ennemi est un enjeu central. Au Brésil, cet ennemi n’est pas abstrait : il a un visage, une couleur et une trajectoire sociale bien spécifique. L’opération qui a mené à la mort de Marcelo Vinicius da Silva nous le montre très crûment : plus de 100 impacts de balles tirées du haut de l’hélicoptère de la police civile ont été relevés, la majorité dans les alentours immédiats de l’école publique fréquentée par les enfants de ce quartier populaire de Rio de Janeiro.

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Ce déploiement d’armes de guerre ne se fait pas dans les quartiers des classes aisées, composées essentiellement de blancs à haut pouvoir de consommation et habitant des complexes immobiliers ultra-sécurisés. Au Brésil, pays à la longue histoire esclavagiste qui a fait le choix d’une société inégalitaire, l’ennemi à abattre est noir, habitant des périphéries du champ social. Peu importe son âge.

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