Par Jean-Paul Betbeze
Plus ça va, moins ça va en économie et en politique en zone euro. En plus de ce qui se passe en Italie, avec Giuseppe Conte qui renonce à former une équipe, en attendant d’éventuelles nouvelles élections, un autre mélange détonnant d’économie et de politique se prépare ! Tout le monde, à Francfort et ailleurs, pense en effet aux changements qui se préparent à la Banque centrale européenne.
Déjà, fin mai 2018, le vice-président Vitor Constancio laisse place au ministre espagnol (de l’économie, de l’industrie et de la compétitivité) Luis de Guindos. C’est un politique – ce qui n’est pas du tout coutumier et un homme du sud – ce qui entrait dans les « équilibres » antérieurs.
Encore un an jour pour jour, et c’est Peter Praet qui part, le Chef économiste. Cette fois c’est un belge, alors que la doctrine monétaire était allemande, autrement dit monétariste. On se souvient à peine du prédécesseur allemand Jurgen Stark (2006-2001), sans doute poussé dehors par Mario Draghi (pour s’être opposé au quantitative easing ?).
On se souvient surtout de son prédécesseur, Otmar Issing (1996-2006). C’était une institution et le transplant intellectuel de la Buba à la BCE. Avec Praet, Mario Draghi s’est trouvé un appui, presque plus colombe que lui. Il a ainsi infléchi la doctrine monétaire de l’institution (et changé les responsables en place). Qui va donc lui succéder pour les études, pour établir le diagnostic et pour parler en premier quand le conseil de la BCE doit juger, pesant ainsi sur la décision de tous ?
Plus grave, tout le monde se prépare à la succession de Mario Draghi, le 31 octobre 2019. Les paris vont bon train. La candidature du président de la Buba (Jens Weidmann) est déjà lancée (par lui), tout le monde sachant qu’un Allemand n’a jamais eu le poste, même si – officiellement – la nationalité ne compte pas au directoire. C’est une instance fédérale, mais quand même ! Tout de mode se souvient aussi que le prédécesseur de Jens Weidman à la Buba (Axel Weber), candidat à la présidence à la suite de Trichet, avait dû démissionner sous diverses pressions et partir. Il est à l’UBS, ce qui n’est monétairement pas si mal pour lui, mais la plaie allemande est toujours sensible et la pression sera forte pour la guérir. Déjà cependant, Erkki Liikanen, président de la banque centrale de Finlande, candidat. Avec lui, une transition, sans contexte au nord (!), est-elle possible ?
Le problème de la succession de Mario Draghi n’est pas simple, car sa stratégie ne marche pas, largement pour des raisons d’inquiétudes politiques, externes et internes, qui s’ajoutent aux effets de la révolution technologique en cours. L’inflation n’est toujours pas là, baissant à 1,2%. Elle décélère même régulièrement depuis son plus haut à 1,5%, en novembre 2017. On attend toujours ce « près de 2%, mais inférieur à 2% » qui est le mandat unique de la BCE en matière de stabilité monétaire, et la base de sa stratégie actuelle (quantitative easing et forward guidance). On a beau voir des signaux inflationnistes à l’horizon, avec des salaires à 1,9% pour les salaires négociés et à 1,8% pour le salaire par employé, rien ne vient encore dans les prix. La montée attendue du pétrole et la baisse de l’euro devaient aider à importer de l’inflation, mais rien ne vient encore, et pire le pétrole baisse à nouveau ! « Patience et persévérance » répète Mario Draghi !
Pire, l’indice Markit (une enquête très sérieuse auprès des directeurs d’achat) douche les espoirs de croissance : « la croissance de la zone euro se replie à un plus bas de 18 mois en mai ». L’indice atteint 54,1 en mai, heureusement au-dessus de 50 qui annoncerait une baisse, mais sa pente est inquiétante. L’affaiblissement de l’exportation est de plus en plus signalé comme la nouvelle explication, après la neige, les grèves et Pâques.
Pire encore, les écarts de situation entre pays rendent de plus en plus difficile la politique monétaire, par construction unique, de la BCE. L’Allemagne, par la voix de Jens Weidmann, demande la fin des achats de bons du trésor et une pré annonce des hausses de taux. Pour lui, non seulement les banques souffrent de la politique de taux trop bas de la BCE, mais elle entretient des excès d’endettement dans certaines entreprises fragiles et surtout ne pousse pas aux réformes nécessaires, privées et publiques. Elle a pu éviter le pire, elle entretient la nonchalance et alimente les excès.
Et voilà que vient la nouvelle situation italienne, où le programme gouvernemental veut des aménagements sur la dette publique passée, plus la possibilité d’augmenter l’actuelle (150 milliards), plus un réaménagement de la politique d’assainissement des banques régionales italiennes ! On imagine la réception, s’il est présenté ainsi, même modifié !
Alors : attendre toujours 2% d’inflation, ou bien cesser fin 2017 d’acheter des bons du trésor, prévenir de hausses de taux en 2019 et insister sur les stress tests bancaires ? Si la BCE ne dit rien, la nervosité va monter partout, l’euro baisser, les taux longs italiens monter (vers 2,5%), les taux allemands baisser (vers 0,4%) et les français se stabiliser (vers 0,7%), en restant heureusement calmes. Des risques majeurs naissent donc, où il faudra beaucoup de talent pour regrouper un troupeau de pays qui ne cessent de s’écarter, pesant toujours sur le plus faible. Après la Grèce, le Portugal et l’Espagne, c’est donc l’Italie : le niveau de rififi monte. Trump occupe les marchés, mais il ne peut pas le faire tout le temps ! Jens Weidmann n’a aucun intérêt à faire monter la pression et à susciter une bronca, comme celle qui fut fatale à son prédécesseur. Avec ce qui se passe à Rome !
Mario Draghi attendra donc ce que disent les politiques, puis on lui tendra le micro. Va-t-il répéter « patience et persévérance » ou, sur un mode moins banquier central, citer Le Breton (1953) : « mets-la en veilleuse… cherche pas d’rififi. Laisse tomber » ?