Audience de Julian Assange du 14 août

Par Monika Karbowska

J’ai repris le chemin outre- Manche pour assister au « Final administrative hearing » de Julian Assange à la Westminster Magistrate Court jeudi 13 août, le lendemain de l’annonce du lancement de « Sputnik 5 », le vaccin « anti-coronavirus » de la Russie, pleine d’espoir que ce pas puisse sortir les peuples de la terrible crise dans laquelle nous sommes enfoncés depuis 5 mois. Mon billet était prêt depuis plusieurs semaine et je gardais espoir que nous pouvions gagner cette lutte, celle pour SA liberté et pour la NOTRE, puisque la crise est une guerre permanente, une guerre de dirigeants contre leur peuple et une guerre « ouest  contre est » puisque l’Etat militaire américain et ses sbires baltes et polonais attaquent ouvertement la Biélorussie en envoyant des militants fascistes y fomenter des émeutes. Lors du voyage je suis restée mobilisée, diffusant sur les réseaux sociaux la vérité sur les prétendus « journalistes polonais arrêtés par Loukachenko » que soutient la Fédération Européenne des Journalistes, alors qu’ils sont en réalité deux dangereux militants néonazis.

Je n’ai appris la nouvelle de la quarantaine imposée aux Français par la Grande Bretagne ne que le soir de mon arrivée à Londres. Cette nouvelle m’a surprise : jusqu’à présent le gouvernement de Boris Johnson participait au storytelling planétaire sur le coronavirus, mais dans la réalité il ne terrorise pas les Britanniques comme la mafia macroniste le fait sur le peuple français. En effet, j’avais préparé à l’avance l’attestation en théorie indispensable à l’entrée sur le territoire britannique, avec adresse de résidence et coordonnées de tierce personne pour la contacter au cas j’aurais filé le coronavirus à quelqu’un et que je refusais de répondre à mon propre téléphone… Et là, à Calais, la police aux frontières anglaise ne demande pas l’attestation ! Le chauffeur de bus m’a confirmé que depuis 10 jours de trajet quotidien cette attestation « covidienne » n’a jamais été exigée. Il était très aimable avec nous et s’est mis en quatre pour nous faire ouvrir les toilettes aux haltes et distribuer des bouteilles d’eau dans le train de l’Eurotunnel. En effet, le coronavirus a servi de bon prétexte pour fermer les toilettes et la climatisation dans les transports, ce qui à 45 degrés dehors génère stress et malaise.

A Londres, le temps est superbe et frais. Le quartier Paddington proche de la Westminster Court s’anime doucement depuis que les hôtels ont presque tous réouvert depuis le 1 août et que les touristes, tout d’abord anglophones, reviennent. Business oblige, les gérants sont tous très aimables et les prix très abordables. Les masques sont presque inexistants et à en me promenant sous les grands arbres du quartier je me sens libérée de l’intense psychose collective dans laquelle nous sommes si plongés en France que nous ne nous en rendons plus compte. Ce n’est qu’au restaurant que le corona se rappelle à mon souvenir sous forme de grand registre tenu par la serveuse ou il faut inscrire son nom et son téléphone – mais les Britanniques ont une confiance plus grande dans leur gouvernement que nous dans le nôtre et ils n’ont pas peur d’être retrouvés par les autorités, accusés d’avoir « infecté » quelqu’un ni exterminés dans un hôpital. De même dans un autre pub, un parcours fléché imposé au consommateur afin qu’il ne se mélange pas avec les autres me rappelle aussi que l’absurdité existe aussi de ce côté-ci de la Manche.

L’annonce de la quarantaine m’irrite car elle met en danger notre faculté de venir au procès de Julian Assange le 7 septembre. La mesure est clairement une pression visant l’économie française, les touristes anglais rapportant un argent non négligeable à l’économie de nombreuses régions. Comme tout dans cette crise ou les décideurs se soucient comme d’une guigne de la santé humaine, toutes les décisions prise au nom du sanitaire ont de vraies raisons politiques. En d’autres termes, Poutine ayant appelé Macron immédiatement le jour même pour lui proposer son vaccin et l’inciter à mettre fin à l’hystérie covidienne, les Anglais font-ils une pression sur la France dans ces négociations dont les peuples sont exclus, alors même que se pose leur place dans le monde occidentale depuis qu’ils se sont débarrassés de la tutelle de la Commission Européenne ? Je garde espoir que ces négociations aboutissent à un compromis et que la frontière puisse nous être ouverte à nouveau d’ici le 7 septembre.

J’arrive devant la Westminster Court tôt le matin et je suis donc la première devant la porte. Peu après arrive une militante australienne avec une grande banderole de soutien à Julian Assange. Nous discutons longuement de la terreur sanitaire entretenue dans nos pays par des gouvernements plus soucieux d’habitude de privatiser les systèmes de santé que de soigner les malades. Elle me raconte les dernières trouvailles liberticides d’un Occident en pleine tentation fasciste : la loi néo-zélandaise permettant l’enfermement dans des camps spéciaux des « infectés » par le coronavirus, la loi australienne permettant à la police de Melbourne de rentrer sans ordre de justice dans les maisons pour des inspections « sanitaires » et surtout la loi anglaise prévoyant de retirer immédiatement aux parents les enfants qui, dument testés, auraient de la fièvre à l’école ! Elle est d’autant plus horrifiée en tant que militante écologiste que c’est le gouvernement de gauche de l’Etat de Victoria qui impose avec fierté des mesures tyranniques contre les citoyens terrifiés. Mais elle m’assure aussi qu’une certaine révolte se lève dans cette société britannique très atomisée et que la manifestation contre le masque obligatoire avait fini par rejoindre les militants qui avait le jour même organisé une action de soutien à Julian Assange devant le 10 Downing Street.

Vers 7 heures arrive une militante française que je connais, puis une militante allemande avec laquelle j’ai sympathisé. Nous discutons de la situation en France et en Europe, et notamment de la porte de sortie de crise que constitue la manoeuvre du vaccin russe. La queue se forme vers 8 heures avec une dizaine de militants habituels, nous nous connaissons tous. Depuis que la velléités de certaines de faire des listes et de décider qui rentre et qui ne rentre pas s’est estompée, l’ambiance est bien plus sympathique et cordiale. Parmi les personnalités publiques j’aperçois alors Fidel Narvaez mais personne d’autre. Cependant, les rumeurs courent que le « social distancing » a été durci pour ne laisser que 5 places au public. La lutte va encore avoir lieu, cette fois ci avec la Cour… On rentre à 9 heures, le bâtiment est entièrement désert hormis les agents de sécurité. Une cour fantôme. On ne sait si c’est à cause de la corona-crise, puisque le gouvernement britannique avait déjà auparavant tendance à pousser la justice à ne plus exister autrement que par video et téléphone, ou est-ce parce qu’en réalité, à part l’extradition de Julian Assange et des Européens de l’est, ce tribunal ne gère en que de petits délits de consommation de cannabis ou de conflits de voisinage. Ce bâtiment construit en 2011 est donc vide en permanence et n’aurait donc jamais réellement servi à la justice.

Les audiences des extradés est européens ont elle lieu « on line » comme l’annonçait l’affichette sur la porte le 27 juillet ? Cette annonce a disparu, dans la queue, les avocats des autres cas sont peu nombreux. Le secrétariat du tribunal semble fermé et comme le 27 juillet il n’y aura plus aucune liste de nom affiché sur les porte des salles. Cependant dans le hall d’entrée plusieurs listes de jugés sont présentes. Le nom de Julian Assange figure sur une petite feuille épinglée sur la liste des cas jugés en salle 3. En face de son nom un horaire : 15h30. Aïe, s’il faut attendre aussi longtemps, la perspective ne me réjouit guère. Mais comme on sait que rien n’est fait ici selon les règles, il faut rester. A trois militantes nous nous précipitons au guichet du secrétariat ou une seule employée a enlevé son masque encombrant derrière son mur de verre : elle nous dit de rester, il y aura des changements. Nous nous plaçons devant la porte en file indienne et discutons.

De l’eau s’écoule d’un éclairage de néon au plafond. Les agents de sécurité ont installé une rubalise et tentent de maitriser la fuite au beau milieu de la salle d’attente. Ils font appel à deux travailleur/es du nettoyage, est-européens, qui doivent éponger l’eau avec un chiffon au bout d’une longue perche, sans aucun équipement de sécurité alors qu’ils peuvent s’électrocuter… Tiens, je remarque qu’un des agents de sécurité que nous connaissons porte un badge bleu au lieu des insignes oranges de Mitie. Il confirme : oui, Mitie a bien perdu le marché du tribunal, lui a eu la chance d’être repris par la nouvelle boite, OSE, et il est bien content de garder un job proche de son domicile. Il est vrai que Mitie avait commis quelques abus ici devant nous et contre nous et peut être même contre Julian Assange que nous avons pu voir terrorisé alors qu’ils étaient chargés de sa garde. Nous attendons encore jusqu’à 10 heures. Petit à petit la situation se clarifie : les Européens de l’est se regroupent devant la salle 1 et la salle 3 sera entièrement consacré à Julian Assange. Florence Iveson, la nouvelle avocate ayant remplacé Hamilton Fitzgerald, s’active avec Alistar Lyon et la collaboratrice de Gareth Peirce entre les consultation room, le secrétariat et la salle d’audience toujours fermée.

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A 10 heures passée l’audience n’a toujours pas commencé, et une certaine nervosité s’installe. Les journalistes arrivés pour Julian, Juan Passerelli, Mohamed El Maazi, une femme et deux hommes que je ne connais pas sont assis sur les fauteuils de la salle d’attente confiants qu’ils vont pouvoir rentrer. Ce n’est pas notre cas, nous sommes inquiets de devoir rester debout toute la journée ici. Peu après la greffière, une femme que j’ai vu plusieurs fois toujours plongée dans son ordinateur, sort de la salle d’audience affichant un visage profondément ennuyé de quelqu’un qu’on charge d’une besogne qui n’est pas la sienne. Me trouvant toute proche j’entends Florence Iveson demander un délai parce que Belmarsh ne répond pas aux sollicitations des avocats.  La greffière finit par répondre qu’ils pourront peut-être lui parler dans la salle une fois la connexion video établie. Mais les avocats doivent se débrouiller pour faire comparaitre leurs clients et la cour ne fait aucun effort pour faire ce qui est quand même son travail… Encore un indice exaspérant que tous ces dysfonctionnements montrent un monde de faux semblants. Finalement à 10h30 nous sommes toujours debout devant la porte, alors que Iveson et les deux collaborateurs de Peirce et Birnberg s’enferment dans la salle.

C’est alors qu’entrent dans la salle d’attente John Shipton et Stella Morris. John Shipton nous salue aimablement puis échange avec les journalistes. Il est question de qui va lui céder sa précieuse place, je ne peux le faire vu les efforts que je fais pour être ici. Mais j’ai le pressentiment que comme dans la Woolwich Court, cela ne sera pas nécessaire. Néanmoins lorsque la greffière sort à 10h45 et annonce qu’à cause du « social distancing » seuls les journalistes pourront entrer et personne d’autre, l’émotion est vive. Quelqu’un dit quand même que nous sommes ici depuis 6 heures du matin. Elle fait entrer les journalistes qui sont cinq en tout. C’est alors que John Shipton s’avance vers elle, Stella Morris derrière lui. Il dit « je suis le père de Julian Assange et elle sa partenaire » (« partner »). Et moi, qui suis toujours en tête de la file, je dis « et moi je représente une association des droits de l’hommes ». La femme me regarde avec hostilité et crie « Je ne parle pas avec vous » ! Je suis interloquée car je n’ai rien dit d’agressif. On aurait pu annoncer que nous sommes la « famille française » de Julian Assange, celle dont John Shipton a parlé le 18 avril 2020, mais ce n’est pas dans notre style de mentir. Quoi de plus naturel dans un pays démocratique que la présence d’une association de défense des droits de l’homme pour contrôler le respect des droits ! Nous n’avons pas besoin de nous justifier d’être là !

Alors la greffière me somme de reculer pour respecter le « social distancing ». Je le fais avec peine car la file me pousse dans le dos et les militants sont aussi excédés que moi. Je lui fais

remarquer qu’au moins je porte un masque, un ustensile qui me donne visiblement plus de légitimité aujourd’hui que l’évocation des Droits de l’Homme… La greffière remarque « je dois gérer cette situation » qui objectivement n’est pas facile. On attend silencieusement. Finalement, elle fait entrer John Shipton et Stella Morris. Je peux entrer à mon tour et je pousse vite la porte du box du public sans me retourner. Trois autres militantes pourront entrer, une Française, une Allemande et une Britannique – l’Europe (occidentale) est au complet pour au moins symboliquement soutenir Julian Assange. Je suis assise sur le dernier fauteuil du premier rang. Deux fauteuils étant condamnés sur 3, John Shipton est à ma droite, Stella Morris au fond de la rangée, les autres militantes derrière. Je me retrouve en bonne position pour voir Julian Assange sur les deux écrans videos de part et d’autre de la salle et je suis assise pile dans l’axe en face de Vanessa Baraister.

Baraitser est déjà là et nous regarde fixement. Et surtout, Julian Assange est là aussi dans la vidéo. Il est assis dans ce box aux murs bleu foncé sur des sièges rouges ressemblant à une salle d’attente. La pièce est différente de celle du 27 juillet et différemment filmée. Alors que le 27 juillet la caméra le filmait de près en face en le coupant au niveau de la taille, ici elle est située en haut d’un mur ce qui fait penser à une caméra de surveillance, et on peut le voir en entier. Le décor est celui des mises en scène de décembre et janvier dernier. Une porte à droite, une petite fenêtre donnant sur le couloir et un écriteau indéchiffrable au-dessus de sa tête. Julian Assange est assis les mains jointes sur ses genoux, la jambe droite croisée sur sa jambe gauche. Il porte le même pull beige et la même chemise blanche que la dernière fois, un pantalon gris un peu trop court et des chaussettes blanches. Il a les cheveux courts et pas de barbe, ou une barbe très courte, pas de lunettes et un air triste et résigné que j’ai vu surtout en novembre et décembre dernier. Comme alors il a l’air mal en point, prostré. Il ne bouge pas et ne change pas de position pendant une heure et quart. Parfois il penche vers le côté comme victime d’un malaise et garde les yeux baissés. Il ne participe pas au show, soit parce qu’il va mal, soit parce qu’il refuse d’y apporter sa caution. Il tousse fréquemment d’une toux sèche, qui ressemble à de l’asthme, et porte alors ses mains à son visage. Je suis préoccupée et chagrinée de le voir ainsi.

Il a l’air d’avoir froid avec ce pull, alors que les gardiens sont tous en chemise blanche manches courtes et pantalons noirs. Et des gardiens il y en a ! Ca pullule brusquement sur la vidéo de la prison, même si ces uniformes rappellent plutôt ceux des agents de sécurité privé et pas les uniformes noirs déjà vus dans de pareilles circonstances. D’abord ce sont deux hommes, un Blanc et un Noir, qui regardent Assange en se tenant dans l’embrasure de la porte. Puis il y a des femmes qui se joignent à eux. Ca défile dans le couloir, le brouhaha est audible jusqu’ici. Julian Assange reste impassible mais la pression exercée sur lui est visible. Le 27 juillet le personnel de « Belmarsh » était habillé comme des infirmières de blouses bleus et vertes . Visiblement Julian Assange a encore changé d’endroit, mais nous ne savons toujours pas ou il se trouve exactement. Nous ne savons toujours pas s’il reçoit nos courriers et si non pourquoi et pourquoi il ne peut y répondre…

Dans la salle le chaos flotte dans l’air. Vanessa Baraitser est le nez dans un dossier, silencieuse. L’avocate Florence Iveson entre et sort, on ne sait pourquoi. Julian Assange est absent, prostré. Le bruit s’amplifie : les gardiens parlent, et chaque fois que quelqu’un entre ou quitte la fameuse conférence téléphonique on entend une voix métallique « left the conference ». Cela ne fait VRAIMENT pas sérieux. Vraiment « Kindergarten » comme je le confie à ma collègue allemande. Comme une école maternelle, alors que la vie d’un homme emprisonné est en jeu. On se pince pour y croire. A un moment donné Baraitser lève la tête, demande « Officer, Wandsworth », puis se rattrape « Belmarsh », et lui demande de faire moins de bruit car on n’entend rien dans notre salle ! Un gardien arrive et s’assied en face de Julian, on le voit distinctement traverser le box puis disparaitre de notre champ de vision. Surveillance permanente, comment Assange pourrait librement s’exprimer devant la cour avec de telles pression exercées sur lui !

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D’ailleurs, à 10h55 Julian Assange tousse, puis dodeline de la tête et se mord les joues, parait très vieilli. Baraister se décide alors d’ouvrir le procès et lui demande de présenter son nom « formally identify ». J’entend bien sa voix à travers le haut-parleur. Elle est hésitante, bute sur chaque syllabe, chaque mot est entrecoupé d’un silence, comme en décembre 2019 quand il était au plus mal. Est-il soumis à des pressions psychologiques, de la torture physique, des médicaments ? Sa date de naissance, «3 July 71 » il la prononce comme s’il n’y croyait pas non plus à cette identité aussi incertaine que sa voix l’est ici. Le chaos continue : Baraitser donne la parole à Claire Dobbin par l’entremise de la « conférence téléphonique ». On entend le début d’une phrase prononcée par Dobbin, puis plus rien. Baraitser donne alors la parole à Florence Iveson qui force le ton pour que Dobbin entende à travers la machine. Pour une fois j’entends correctement ce que dit la défense. Florence Iveson parait mal à l’aise et au bout de 15 minutes ses joues sont rouges, elle se retourne fréquemment pour consulter Alistar Lyon assis derrière elle. Julian Assange tousse de plus en plus, il a les épaules rentrées, parfois il bouge juste les doigts. Le gardien qui le contrôle bouge aussi et alors on le voit à l’écran. Baraitser essaye de faire répéter sa phrase à Dobbin puis jette l’éponge et appelle un technicien pour réparer le matos. Un jeune homme arrive et nous attendons encore ainsi un quart d’heure sans bouger.

Cet exemple montre clairement que la justice au téléphone, tout comme la médecine par téléphone, ça ne peut pas marcher. Il n’y a pas de procureur, comment une audience peut-elle avoir lieu ? Les conditions n’étant pas réunis pour un procès équitable, dans un pays normal le juge aurait renvoyé immédiatement tout le monde à la maison et fixé une autre date obligatoire pour tout le monde sans chercher à concilier des agendas ! Mais la question se pose déjà depuis un moment pour nous: Vanessa Baraitser est-elle vraiment juge ?

A 11h15 Claire Dobbin peut enfin parler dans son téléphone. Elle dit qu’elle ne savait pas que l’audience était fixée à 10 heures. Baraister la sermonne comme une petite fille sur le thème qu’elle avait effectivement fixé la date le 27 juillet. C’est tellement surréaliste qu’on a encore plus l’impression d’une répétition théâtrale dans une maternelle avec des gens qui jouent un rôle. Un certain Smith se trouve derrière Dobbin et tente de se justifier par les listes annonçant 15h30. J’entends bien Clair Dobbin car le son est très fort.

Florence Iveson commence son discours par la nouvelle accusation dont les documents seraient arrivés le jour même. Elle souligne que la défense n’a pas eu le temps de lire les 43 pages et qu’il est « astonishing » (surprenant) qu’une nouvelle « request » (demande) ait été faite car elle élargit considérablement la première. Selon elle, M. Krombach n’aurait pas envoyé le document à temps et argumente que l’ampleur du dossier ne permet pas de tenir avec une « approche pragmatique » la date du 7 septembre pour le procès. Elle plaide aussi en utilisant la notion de « narrative background » qui ne doit pas être exclus du dossier. Le nouveau dossier aurait dû être présenté à une « étape précoce ».  Je ne comprends pas bien ou elle veut en venir, qu’est-ce que le « narrative background » – (l’historique politique ?) qui ne serait pas mis en évidence ? Pas davantage je ne comprends pourquoi c’est le procureur Gordon Krombach qui aurait du transmettre le dossier alors qu’il n’est qu’un des sept « assistant United State Attorney » figurants en bas du document d’accusation signé par G. Zachary Terwilliger « Unit States Attorney » le 24 juin dernier[1]. Il va falloir se pencher sur le fonctionnement compliqué des institutions américaines et de leurs liens avec le traité d’extradition bilatéral de 2003.

Je suis perplexe par rapport à la date du 21 décembre que j’entends sans comprendre le contexte précis. Ce que je comprends est qu’elle demande un temps supplémentaire pour traiter ces documents et parce que cette demande initie une nouvelle procédure (« new conduct »). Il nous semblerait même qu’une nouvelle accusation devrait donner lieu à une autre procédure distincte qui devrait être disjointe de celle-là et passer d’abord par la voix diplomatique avant de devenir officiel. Baraitser lui demande alors d’illustrer ses paroles sur ce qu’elle veut dire avec « new conduct ». Je ne comprends pas sa réponse qui est très brève. Julian Assange est encore plus immobile et prostré. Alors Madame Dobbin a la parole. Elle cite Krombach et le paragraphe 9 du Grand Jury selon lequel les Etats Unis continuent leur « criminal investigation » contre M. Assange et que le procureur poursuit son enquête « criminelle ». Elle répète que certes, ce n’est pas pour cette accusation « remplaçante » qu’il a été accusé et « charged » (accusé) cela n’est pas important puisque de toute façon la procédure sera « élargie ». Selon la procédure M. Assange est un hacker et c’est cela le vrai « background » de la demande d’extradition. Pendant qu’elle parle, les gardiens bougent de leur siège, une femme ouvre la porte du box, il y a du bruit et je n’entends plus les détails de ce qui est dit. J’ai l’impression que Julian Assange n’entend rien et ne comprend pas lui non plus.

Florence Iveson répond que selon le paragraphe 9, l’enquête en cours, les preuves versées ne portent que sur les accusations pour 2010 et pas pour les « accusations de remplacements » (« superseding charges »). Il s’agit des conversations sur la messagerie Jabber entre Chelsea Manning et Julian Assange dont l’accusation a toujours fait grand cas dans ces documents, mais qu’elle n’a jamais, selon moi, était en mesure de les produire publiquement. Pourtant lors du procès de février la salle 2 de la Woolwich Court était pourvue d’un gigantesque écran sur lequel il était possible de montrer les fameux protocoles de la messagerie Jabber prouvant les conversations Manning-Assange. J’ai assisté aux 4 jours du procès et je n’ai rien vu de tel. Il faut aussi rappeler pour mémoire que la messagerie Jabber a été développé par la Fondation allemande Wau Holland, la même qui de 2009 à 2014 a produit et dirigé le projet 04 « défendre la liberté d’information » Wikileaks et pour laquelle Assange a été chef de projet (Projektleiter) en 2011 et 2012, selon les rapports d’activité publics de la fondation[2]. Jabber était censé être une messagerie cryptée inviolable… Julian Assange a fait doublement confiance aux Allemands, en tant que directeur de leur projet « Wikileaks » et en tant qu’usager de leur produit Jabber… et cela lui a été fatal. Dans la salle, les dirigeants de la Wau Holland, dont « l’ami » Andy Müller Maguhn brillent par leur absence…

Une fois que Florence Iveson ait répété sa demande de délai supplémentaire, Baraitser résume sa position comme une prof face à son élève : l’ancienne demande n’est pas annulée par la nouvelle. La défense a besoin de plus de temps. Le « narrative background » a été ignoré et le « case management hearing » (audition de préparation) ne peut pas décider quelle preuve est recevable. Elle annonce qu’elle est favorable à ce que la défense ait plus de temps pour travailler ses arguments.

Je la regarde bien et à ce moment-là il se passe quelque chose. Je vois le visage de cette femme comme s’éclairer et s’arrondir. Elle se trouve juste en face de moi, pas très loin finalement. Elle a l’air rajeunie. Mes yeux sont exactement dans l’axe des siens qui prennent alors une belle teinte vert clair. Elle continue de parler, puis baisse les yeux sur son texte. Elle lit clairement son texte, de plus en plus mécaniquement, comme s’il avait été écrit à l’avance, ou par quelqu’un d’autre, comme un scénario d’un rôle. Elle lit de plus en plus visiblement. J’ai en face de moi une femme qui se comporte comme Svietlana Tichanouska, la femme au foyer intronisée par l’Occident « première opposante » au président Loukachenko lorsqu’elle a fuit son pays pour la Lithuanie pro américaine lundi dernier après avoir poussé des militants à commettre des émeutes. Elle a alors publié une vidéo ou elle lit un texte, si visiblement qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’elle est otage de ses nouveaux « amis » américains et qu’elle veut le montrer indirectement[3]. Je me tourne vers ma collègue allemande et je lui lance déconcertée « cette femme est-elle une actrice » ? (Schauspielerin)

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La biographie de Vanessa Baraitser et les raisons de sa responsabilité dans ce dossier ont été un mystère jusqu’à présent. Sa carrière de juge semble bien mystérieuse car il n’y a quasiment aucune information publique sur elle. Son père Michaël Baraitser est un neurogénéticien sud-africain blanc d’origine juive venu en Grande Bretagne au début des années 70 et bien établi dans les instituts scientifiques britanniques[4]. Une de ses sœurs, Lisa Baraitser a un impressionnant CV de psychologue, chercheuse et spécialiste de la maternité, du genre, du féminisme et des théories queer [5]! La deuxième sœur, Paula Baraitser possède un confortable poste de chercheuse en sexologie au Kings College de Londres, autre prestigieuse institution[6]. Avec des compétences familiales aussi poussées en psychologie et sexualité humaine, on se demande comment Vanessa Baraitser ne voit pas que la campagne de propagande diffamant Assange en tant que violeur s’appuyait sur un vide complet, ce que je moi et certaines de mes amis féministes nous avons immédiatement perçus une fois qu’on a lu le dossier suédois publié.

Comment se fait-il qu’originaire d’une telle famille, versée dans la psychologie et bardée de diplômes prestigieux, Vanessa Baraitser, en tant que juge de quartier, d’une simple cour de justice prudhommale, participe à un sketch manipulatoire aussi honteux ? La question clé serait « qu’est-ce que cela peut-il bien lui rapporter » ? Par ailleurs, le sérieux de son activité de juge est mis en question. Nous n’avons en effet pas pu trouver d’autres traces que quelques affaires de harcèlement, de voyeurisme et d’alcoolisme sur la voie publique (!)[7] et dans le chapitre des extraditions, la curieuse affaire française de la fuite de Alexandre Djouhri[8], porteur de valise financier de Nicolas Sarkozy en 2012 qu’elle a remis en liberté en février 2019. Un juge de cour « magistrate » peut avoir été avocat, mais là non plus pas de trace d’une quelconque activité. De moi-même je n’ai pas vu Baraitser juger d’autres extradés avant le cas bizarre d’un Letton membre du KGB le 27 juillet dernier. En septembre et octobre 2019 j’ai vu lors de trois audiences Emma Arbuthnot juger des Polonais enfermés dans les prison de Wandsworth ou Belmarsh et décider de leur extradition ou non. J’ai vu d’autres juges juger ces affaires courantes. Vanessa Baraitser, elle, semble n’avoir comme travail que de s’occuper de l’affaire Assange et cela est étrange.

A la fin de sa lecture, Baraitser s’adresse à Iveson : « vous avez besoin de plus de temps. Quand vous serez prête informez la cour ».  L’avocate de Julian Assange semble alors prise de panique. Elle se tourne, visage rouge, vers Alistar Lyon et sa collègue et parle « d’instructions » et de « difficultés de communication ». Il ne lui vient cependant pas à l’esprit de demander à son client ce qu’il en pense, alors qu’il est juste là en face d’elle, et que normalement il n’est pas interdit à l’avocat de s’adresser à son client pendant le procès (je l’ai vérifié avec les avocats des Polonais). Visiblement tout est fait pour que Julian Assange ne puisse JAMAIS parler de vive voix librement en présence de personne étrangère au cercle. Baraitser lui vient en aide en fixant une date, vendredi ou mercredi prochain. Puis elle s’adresse à Julian Assange « la date du 7 septembre sera effective. Vous n’avez pas été arrêté pour les nouvelles accusations » (pardi, il est encore présumé innocent, oui !).

Julian Assange lève la tête.

Alors Baraitser demande à Iveson et Dobbin si elles sont d’accords. Pour elle, en février c’était un accord général, et maintenant il y a une nouvelle procédure, nouvelle demande. Tout le monde est d’accord ? Dobbin et Iveson sont d’accord. On ne demande pas à Assange son avis. Baraitser a hâte d’en finir. Elle commence un layus sur la « global pandemic » (notre chère religion covidienne), propose d’un « cloud video plateform » pour les déposition des témoins et donne la date limite du 21 août pour la liste des témoins qui viendront personnellement. La perspective d’un procès en « cloud plateforme » est inquiétante. Il est 11h40. Julian Assange tousse encore, nous les militants, nous sentons notre nervosité et notre émotion monter. Baraitser, Dobbin et Mr. Smith discute si le secrétariat est disponible. Dobbin enchaîne sur « l’expertise psychologique » (mental expertise, psychological report) demandé par le procureur Krombach. Iveson est d’accord avec elle, mais pas nous ! En effet, la longue expérience militante montre qu’un prisonnier politique ne doit jamais accepter d’expertise psychiatrique pour sauver sa peau, parce que la crédibilité de son action en sera durablement atteinte et cela va fatalement lui porter préjudice. A fortiori une telle expertise est inutile dans une procédure d’extradition ! Finalement, Iveson déclare pouvoir présenter les «preuves » pour le 24 août. Dobbin la somme aussi de répondre aux « 25 statements » de M. Krombach. On entre dans des débats de secrétariat, qui peut qui ne peut pas. Il est question d’un « pre-hearing » et puis de video-conférence.

Lorsque Baraitser élève la voix, je comprends que l’audience du 24 août a été annulée. Elle annonce que ce fut aujourd’hui la dernière audience administrative et que la comparution physique de « M. Assange » à la Old Bailey le 7 septembre à 10 heures est maintenue. Elle lui dit qu’il reste en détention et demande s’a compris. On entend alors une voix lasse et haché : « J’ai entendu certaines de vos paroles » dit Julian Assange (je me fais confirmer cette phrase par les vrais anglophones pour être sûre d’avoir compris). En fait, il n’a pas entendu tout ce qui se passe et n’est peut-être pas en état de comprendre. Vanessa Baraitser n’en a cure, elle a effectué sa prestation, elle se dépêche de partir. Toute la salle respecte le cérémonial et se lève. Puis presque tout le monde dans la salle a le dos tourné et range ses affaires. Mais moi je m’aperçois que Julian Assange est encore là et je reste, comme toujours, jusqu’à son départ définitif. Je veux voir sa démarche pour que notre médecin puisse évaluer son état de santé. Alors que l’assistance ne prête plus vraiment attention à lui, Julian Assange lève le poing ! Alors je lève le bras et le poing aussi ! Je le regarde !  Des militants me diront, « mais il ne te voit pas ». Je réponds « peut-être que quelqu’un lui dira que nous sommes là. Il nous a vu en janvier et février. Il sait qu’on est là…. ». Et puis Julian Assange se lève d’un bond et quitte la pièce d’un pas rapide comme un homme qui n’attend que cette occasion pour fuir ! Je suis rassurée – sa démarche est bien vivante, pas dodelinante ou incertaine comme en hiver. Il a envie de vivre et se sauver de là… Lorsqu’il disparait du box, j’accepte de quitter mon siège et de sortir de la salle.

Comme toujours, je suis sonnée par ce que j’ai vu et vécu. Il me faut un peu de temps pour reprendre mes esprits alors que les militants donnent de la voix devant la porte du bâtiment. J’échange avec John Shipton sur la quarantaine politique qui nous empêche de venir agir pour Julian de France. Nous évoquons la santé et les conditions de détention de Julian « depuis 11 ans » et l’impossibilité de lui parler actuellement. Je dois partir vite car à cause de la quarantaine je ne peux me permettre de perdre mon billet de retour en Flixbus. J’ai du travail car je me plonge dans la lecture d’un livre important : « Sexus Politicus » de Christophe Deloire, secrétaire général de Reporter sans Frontières depuis 2012, présent au procès de Julian d’Assange le 24 février dernier. Il est vraiment important de comprendre comment marche le réseau des élites politiques qui décide de nos vies les plus intimes, si nous voulons récupérer notre pouvoir sur nous-même.