Après les européennes, la crise s’épaissit

Les élections sont passées, avec leurs certitudes et leurs surprises. L’extrême droite et LREM en tête, les autres loin derrière. Surtout la gauche.

Une gauche toujours dans ses basses eaux, un Rassemblement national guilleret, un pouvoir qui colmate les brèches non sans mal. Les Verts ont pris la main et les acteurs de l’ex-Front de gauche sont dans les choux.

 

L’extrême droite, vent en poupe

Pendant de longs mois, La République en marche (LREM) faisait la course en tête dans les sondages. Depuis quelques semaines, porté par la vague « populiste » européenne, le Rassemblement national (RN) avait pris l’ascendant sur le parti du Président. À l’arrivée, il confirme qu’il est devenu la première force du pays. Si l’on y ajoute les autres listes de la même famille, l’extrême droite française frôle désormais les 30%.

Le RN a surfé sur le discrédit de l’équipe au pouvoir, attisé la fragilité que les gilets jaunes ont spectaculairement aggravée, joué sur le ressentiment des classes populaires. Le vote du 26 mai a confirmé ce que l’on sait depuis quelques années et que les sondages annonçaient. Parmi ceux qui votent, un quart des employés, 40% des ouvriers, un tiers de ceux dont la formation est inférieure au bac, près d’un tiers des revenus les plus bas auraient choisi de voter pour la liste patronnée par Marine Le Pen.

Force est de constater que le RN a contribué à la mobilisation civique plus large des catégories populaires. Sans doute la propension à l’abstention continue-t-elle de toucher davantage les classes dites subalternes et notamment les employés. Mais, cette fois, les écarts de participation électorale entre les cadres et les ouvriers a été réduit, comme si une part de ces groupes avait trouvé, dans le vote en faveur du RN, le moyen d’exprimer sa colère et son ressentiment, quand la gauche d’autrefois les mobilisait autour de l’espérance.

Le vote en faveur de l’extrême droite est en passe de devenir un vote stable, comme l’était le vote communiste dans les trois premières décennies de l’après 1945. Il s’agit d’un vote fortement nationalisé, au-dessus de 30% dans 18 départements (presque 40% dans l’Aisne), au-dessous de 20% dans 19 départements et au-dessous de 10% uniquement à Paris et dans les Hauts-de-Seine. En même temps, il s’agit d’un vote régionalisé, dont les points forts se situent dans le quart Nord et Est et sur le pourtour méditerranéen, tandis que les zones relativement les plus réfractaires sont sur les terres du grand Ouest.

Le vote RN est celui qui mobilise le plus largement l’électorat antérieur – en l’occurrence celui d’avril 2017 – et ceux qui se déclarent proches de lui. C’est l’ensemble de ces traits qui expliquent que, au bout du compte, c’est bien l’extrême droite qui a profité conjoncturellement d’une mobilisation des gilets jaunes qu’elle ne contrôlait pourtant pas. Selon Ipsos, la moitié de ceux qui se « sentent très proches » des gilets jaunes et plus de 40% de ceux qui se disent « plutôt proches » se sont portés sur un vote en faveur de l’extrême droite.

Sans doute, ce vote n’est-il pas nécessairement un vote d’adhésion aux propos et a fortiori aux valeurs du RN. Mais il ne faut pas sous-estimer l’aspect structurant d’un vote, surtout quand il se rattache à un courant ou à une formation capable de donner à la colère l’aliment d’un discours structuré, d’un véritable récit chargé de sens. Au fond, quand les catégories populaires ont commencé, à la fin des années 70, à se détourner du vote communiste, on pouvait penser qu’ils pouvaient revenir à leur vote ancien. De fait, cette possibilité est toujours réelle, mais mieux vaut ne pas sous-estimer ce que cela impose de lucidité et de renouvellement, si l’on veut éviter de laisser durablement la place de tribun à des forces qui tournent le dos à l’émancipation.

Une fois de plus, l’écologie

Après 2017, la donne s’annonçait favorable à une gauche de gauche requinquée. Le socialisme issu du congrès d’Épinay de 1971 était agonisant et le plateau de la balance revenu vers une gauche bien à gauche. Or le scrutin d’hier a été l’occasion d’au moins deux surprises : le total de la France insoumise et du PCF n’est plus l’axe de la gauche ; il est surpassé par le total du PS-PP et de Génération.s ; les écologistes ont retrouvé, dans la toute dernière ligne droite, jusque dans l’isoloir, la dynamique qui porta la candidature Cohn-Bendit en 2009.

Nous avions fait l’hypothèse que le choix fait par Yannick Jadot de se détourner du clivage droite-gauche le pénaliserait. Ce n’a pas été le cas. Le total des mouvances plus ou moins écologistes dépasse largement les 15%. Quant aux Verts eux-mêmes, ils ont été portés à la fois par l’ampleur de la crise climatique, la vivacité des mobilisations, notamment de jeunes autour de enjeux écologistes, la force des critiques anti-consuméristes, la visibilité européenne de l’écologie politique… et l’absence d’entraînement produit par les autres listes de gauche.

A priori, le fait que l’écologie est devenue un passage obligé de la politique aurait pu desservir en le banalisant l’engagement propre d’un parti écologiste « spécialisé ». Manifestement, en l’absence de crédibilité suffisante d’un monde politique discrédité, la spécificité « verte » a été préférée. Conjoncturellement ou non ? Cela reste à voir.

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Quant au PS, il est désormais au milieu du gué. Il reste au-dessous de son score plus que médiocre de juin 2017. Mais il le dépasse si l’on additionne les voix de PS-PP et de Génération.s. Et, face à la menace d’une disparition du socialisme français de l’enceinte parlementaire européenne, le maintien a minima apparaît comme une demi-victoire.

La déception du PCF

Le PC comptait beaucoup sur cette élection. Le récent congrès avait mis au centre de sa réflexion l’idée que le PCF avait trop souffert de son absence aux consultation électorales les plus décisives. En décidant d’aller jusqu’au bout de la présentation d’une liste autonome, dirigeants et militants entendaient montrer que la visibilité électorale du parti et son potentiel militant pouvaient inverser la courbe du déclin.

Ils savaient certes que la tâche serait difficile, mais l’enjeu européen a fini par faire partie du fond culturel des communistes, qui pouvaient arguer d’un regain européen de la gauche dite « radicale », bien regroupée dans le cadre de la Gauche unie européenne. Il s’est avéré par ailleurs que le choix de la tête de liste, l’adjoint à la maire de Paris, Ian Brossat, a plutôt « boosté » la campagne communiste, au point de laisser espérer un miraculeux franchissement de la barre des 5% et, à tout le moins, du seuil de remboursement des frais de campagne.

Or l’immense déception a été au rendez-vous. Le PC, qui se réclamait de 3,4% en juin 2017, parvient tout juste à 2,5% des suffrages exprimés, devancé d’un cheveu par la liste de Jean-Christophe Lagarde et talonné par… le Parti animaliste. Il ne dépasse les 5% qu’en Seine-Saint-Denis (5,6%)et n’est au-dessus de 3% que dans 24 départements. Il est en recul sur le pourtant médiocre résultat de juin 2017 dans 45 départements métropolitains, et notamment dans ses zones de force d’autrefois. Il perd plus du quart de son potentiel de 2017 dans 18 départements, dont la Seine-Maritime, le Puy-de-Dôme, le Cher, la Haute-Vienne, l’Allier, le Nord et le Val-de-Marne.

Le PC a fait un pari risqué et sa tête de liste l’a bravement assumé. À l’arrivée, contrairement à l’image dynamique enregistrée par les médias, le PCF est encore un peu plus fragilisé, contraint en outre à assumer la totalité de ses frais de campagne. Les militants font l’amère expérience, une fois de plus, que la volonté ne suffit pas à asseoir une force dans un espace politique national. Encore faut-il que le choix en sa faveur soit perçu comme utile. Difficile d’y parvenir, surtout pour une force anciennement installée – bientôt cent ans d’existence –, une fois qu’elle est parvenue aux lisières incertaines de la marginalisation électorale, autrefois réservée aux « gauchistes » copieusement vilipendés.

L’échec de la France insoumise

On pouvait penser que les élections européennes allaient rejouer la grande scène de la présidentielle. Elles ont joué de fait celle du second tour. Mais n’ont n’a pas confirmé la distribution des rôles au premier. Le parti de Jean-Luc Mélenchon et le regroupement officiels des partisans de Fillon ont mordu la poussière. Le « dégagisme » a ainsi ses coquetteries inattendues…

On savait – en tout cas à Regards – que le score de Mélenchon, en avril 2017, n’était pas celui de la nouvelle organisation qu’il avait mise en place à cet effet, mais que c’était tout simplement un vote de gauche, le mieux à même, pour le « peuple de gauche », d’énoncer clairement le désir de mettre un terme à quelques décennies de dérive libérale. Les législatives de juin, tout naturellement, avaient déjà remis les pendules à l’heure. Elles avaient simplement permis de régler dans les urnes la polémique qui avait peu à peu séparé les deux partenaires principaux du Front de gauche : jeu, set et match en faveur de la FI et de ses 11%. Le résultat de juin 2017 était donc le point de référence majeur pour jauger du nouveau résultat à venir.

L’entourage de Mélenchon affirmait à cors et à cris qu’il était possible d’atteindre cet objectif et même d’aller au-delà, pour parvenir au moins à la troisième place tant espérée, avant les majorités à venir. Le score « à deux chiffres » était l’eldorado, que quelques sondages ont entretenu, de-ci de-là. La FI en est loin au soir du 26 mai. Avec ses 6,31%, la FI approche certes à elle seule le résultat du Front de gauche aux précédentes européennes (6,6%) et accroche de justesse une cinquième place. Mais elle recule partout sur juin 2017, sauf dans le Cantal et récupère à peine un peu plus de la moitié de son résultat de l’époque sur le plan national. Elle perd plus de 5% dans 43 départements, où son influence de 2017 était au-dessus de la moyenne nationale.

Comment s’explique ce résultat ? Le profil de son électorat suggère que la FI n’a pas véritablement de point fort. Elle attire un peu plus que la moyenne les 18-24 ans (9%) et les 35-49 ans (10%), les professions intermédiaires (10%) et les employés (11%), les revenus les plus faibles (12% des moins de 1200 euros). Mais, de façon globale, les plus jeunes sont attirés par les Verts, les employés, les ouvriers et les chômeurs par le RN. La FI recueille les suffrages de 20% de ceux qui se sentent « très proches » des gilets jaunes, mais bien loin derrière l’extrême droite.

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La ventilation des électeurs antérieurs et des « proches » est le déterminant le plus structurant. Alors que 57% des électeurs Macron d’avril 2017 qui ont voté cette fois ont choisi LREM et que 78% des électeurs Le Pen ont porté leur voix au RN, les électeurs Mélenchon – par ailleurs les plus abstentionnistes – n’ont été que 36% à voter en faveur de la liste de Manon Aubry. Plus significatif encore est le vote des « proches » : 78% de ceux des Verts, 88% de ceux de LREM et surtout 91% de ceux du RN ont voté pour le parti qui les attire le plus. Ce n’a été le cas que pour 67% des proches de la FI, ce qui a été corroboré par toutes les enquêtes depuis le début de l’année.

Au total, depuis deux ans la FI a perdu sur sa gauche sans mordre significativement sur de nouveaux électeurs, à gauche comme à droite.

Une stratégie décalée

Dès le soir du premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon s’est installé dans la conviction que le « dégagisme » poussait à abandonner l’ancrage dans le vieux clivage de la droite et de la gauche, pour se fixer l’objectif de rassembler le « peuple » et non la « gauche ». Il assortissait ce choix de l’affirmation selon laquelle, dans un moment « destituant », l’essentiel est d’attiser la colère contre la « caste », en l’occurrence incarnée par la personnalité de Macron.

La stratégie « populiste » avait donc un double objectif : attirer la plupart de ceux qui rejettent Macron pour prolonger en majorité effective le score de la présidentielle ; détourner du vote d’extrême droite les catégories populaires en colère. Les gilets jaunes ont amplifié ce choix, qu’un homme comme François Ruffin a porté à son apogée, en cultivant ouvertement la « haine » à l’égard du « représentant » des patrons et des riches. Quand s’approche la perspective de l’élection européenne, le noyau dirigeant de la FI décide d’en faire un terrain d’application de la logique retenue : l’élection doit devenir un « référendum anti-Macron ».

Le 12 novembre dernier, nous émettions des doutes sur cette stratégie. Le résultat du scrutin européen ne fait que les aiguiser. Loin de l’élargissement majoritaire, la volonté de clivage avec la « gôche » – horrible terme venu tout droit de l’extrême droite des années trente –, la dénonciation de la « soupe aux logos » et le jeu du « bruit et de la fureur » ont éloigné une part de la gauche, sans gagner d’autres forces pour compenser cet éloignement. À la limite, l’obsession du clivage – manifeste sur l’affaire de l’appel pour l’accueil des migrants en novembre 2018 – a plutôt redonné de l’espace à une gauche jugée moins virulente, en particulier aux écologistes et au tandem PS-PP. Elle a même redoré le blason du PC violemment critiqué, même si le résultat électoral n’a pas été probant de ce côté-là.

Au soir du 26 mai, trois constats cruels peuvent être faits : loin d’une amplification de la dynamique du printemps 2017, la FI enregistre un recul sévère, qui fait du parti pris majoritaire un vœu pieux ; le tropisme qui attire une partie des couches populaires vers l’extrême droite continue d’agir ; le référendum anti-Macron a profité au rassemblement national et piégé la FI. Du vote européen, il serait donc préférable de tirer la conclusion qu’il y a désormais trois impasses qui menacent la gauche et avivent la désaffection à son égard : les sirènes du libéralisme, l’invocation d’une union de la gauche à l’ancienne et le parti pris populiste. Le profil des votes à l’échelle européenne rend plus urgent encore de tirer les leçons stratégiques des butoirs rencontrés.

 

À la différence des consultations précédentes, c’est la totalité de la gauche européenne qui est au pied du mur. Malgré de beaux résultats dans l’Europe du Sud, la social-démocratie a reculé autant que la droite classique. Les écologistes, qui refusent de faire du clivage politique binaire un repère pertinent, ont certes bénéficié de cette carence, mais infiniment moins que l’extrême droite et les libéraux conservateurs.

Mais, cette fois, la gauche dite « radicale » n’a tiré aucun bénéfice des déboires de la social-démocratie. Le groupe de la GUE recule de façon sensible, perdant 14 sièges sur 52 et reculant de près de 2%. À l’exception du Bloco portugais qui progresse sensiblement – alors qu’il participe à une gestion gouvernementale sociale-démocrate –, presque toutes les composantes de la GUE stagne ou recule. La FI à elle seule atteint à peine le niveau du front de gauche en 2014, Podemos perd plus de 7%, Die Linke s’essouffle, les communistes reculent en Tchéquie et la gauche reste atomisée et inaudible en Italie.

Reconstruire à gauche

La gauche est toujours dans ses basses eaux (moins d’un tiers des suffrages exprimés) et elle est dispersée. Pendant plus de trois décennies, entre la Libération et la fin des années 1970, le PC en a été la force la plus influente et la plus dynamique. Après 1978, c’est le PS de François Mitterrand qui prend la relève et le PC s’engage dans son long déclin, tandis que le PS s’enlise dans un « social-libéralisme » de plus en plus affirmé. En avril 2017, le résultat présidentiel de Jean-Luc Mélenchon bouscule enfin la donne : il rassemble un peu plus de 70% du total des voix de gauche. Les législatives de juin rectifient le mouvement, mais n’inversent pas la tendance : la FI à elle seule concentre près de 40% des voix de gauche et le total PCF-FI approche les 50%.

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Le 26 avril 2019, la FI ne représente plus que moins de 20% du total de la gauche et l’ensemble communistes-Insoumis dépasse tout juste le quart. La frange de la gauche la plus à gauche, celle qui fut en longue durée la plus critique à l’égard des gestions socialistes, n’est plus en position d’hégémonie. En scrutin européen, comme en 2009, la main est passée une fois de plus du côté des écologistes.

La fin présumée du clivage de la droite et de la gauche a, comme prévu, fait pencher la balance du côté de la droite. Le résultat est paradoxal. Dans l’ensemble, les poussées des mouvements populaires ont plutôt porté la gauche en avant. En novembre-décembre 1995, l’impulsion du « mouvement social », alors même que la droite chiraquienne triomphe, amorce la dynamique qui verra la victoire législative de la « gauche plurielle » en 1997. Cette année, l’un des mouvements populaires les plus originaux des dernières se traduit par une victoire totale de l’extrême droite française.

La crise politique est devant nous. Le pouvoir en place est ébranlé, mais pas terrassé, comptant sur les divisions de ses adversaires plus que sur les vertus de sa force de conviction. L’extrême droite donne tranquillement le ton, impose ses thèmes comme autant de demandes populaires que nul ne peut ignorer.

La gauche est éclatée, à l’image d’un peuple lui-même divisé, éparpillé territorialement en un archipel que seul le « récit » d’exclusion de l’extrême droite est capable de réunir politiquement. Dans les années 1980, le socialisme pensa qu’il pouvait durablement gouverner en composant avec le néolibéralisme dominant. Il ne faudrait pas que la gauche, et a fortiori sa part la plus à gauche s’imagine qu’elle pourra en faire autant avec l’air du temps imposé par l’extrême droite. La fixation identitaire et l’obsession sécuritaire sont des pièges que nulle ruse ne peut permettre d’éviter, fût-ce au nom du peuple et de sa « souveraineté ».

Face au grand récit qui tourne le dos à l’émancipation, il convient donc de retisser un récit, dans l’esprit de ce qui fit la force de la gauche historique et qui porta le mouvement ouvrier : la passion de l’égalité, de la citoyenneté et de la solidarité. Reconstruire une gauche bien à gauche suppose de renoncer aux demi-mots, aux compromis boiteux et aux consensus étouffants. Mais la gauche politique et sociale est aussi menacée par la guerre des courants, les clivages que l’on cultive à l’excès et que l’on voudrait trop souvent transformer en frontières entre « les » gauches, les libertaires et les républicains, les centralisateurs et les fédéralistes, les mondialistes et les souverainistes, les individualistes et les collectivistes, les « sociaux » et les « sociétaux ». Autant de tensions qui reflètent les contradictions du réel, qu’il est déraisonnable de vouloir effacer, mais qu’il convient de maîtriser collectivement, pour n pas faire de la spécificité de chacun une différence et la source d’inépuisables déchirements.

Inventer les formes de la mise en commun, repenser toutes les facettes de l’espace public, ne plus confondre la liberté et la concurrence marchande, le public et l’administratif sont des enjeux majeurs. Inventer la forme moderne de l’association d’individus libres, autonomes et solidaires est une autre tâche, tout aussi rude. La vie contemporaine nous en assigne une autre. Le mouvement ouvrier européen avait trouvé,dans différents pays et différents moments, des manières d’articuler les champs séparés du social, du politique et du culturels. De vastes galaxies ouvrières s’y attelèrent, sous forme travailliste, sociale-démocrate ou communiste. Mais ces galaxies se sont défaites, parce qu’elles étaient trop rigides et parce le temps de l’histoire ouvrière s’est révolutionné, en bien ou en mal.

Le résultat est que l’on est passé de la subordination à la séparation, de l’obédience à la méfiance. Or là s’est trouvée la grande faiblesse des dernières décennies, dont l’actualité récente vient de montrer les dangers : économique, social, politique et culturel ne marchent plus du même pas. Du coup, la régulation globale des sociétés reste aux forces dominantes, de l’argent ou de la puissance. Et l’aliénation des individus suit son petit bonhomme de chemin. Réarticuler sans subordonner quiconque à qui que ce soit : rude et nécessaire objectif.

Le scrutin d’hier nous laisse au moins une certitude : ou nous bougeons ensemble ou nous mourrons…

 

Roger Martelli

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