A la Marche républicaine des libertés, l’impossible dialogue entre “foulards rouges” et “gilets jaunes”

Près de 10 000 “foulards rouges” ont manifesté dans le calme à Paris, dimanche, pour réclamer l’arrêt des violences. Sur leur chemin, ils ont croisé quelques “gilets jaunes”, provoquant quelques échanges verbaux. 

Par Margaux Duguet

Il n’y a encore pas grand monde à s’être retrouvé près du petit kiosque de la place de la Nation quand des éclats de voix surgissent. Un jeune homme, casquette et lunettes noires, discute vigoureusement avec quelques foulards rouges. “C’est vous qui êtes bête, je vous donne des preuves concrètes et vous ne voyez pas la réalité !”, lance-t-il à la foule. Un attroupement se forme, des journalistes accourent. Le ton monte. “On est en République, merde ! Les gens ont le droit de parler, laissez-le parler. On est là pour se battre pour la République”, s’énerve un organisateur.

Le jeune homme, qui s’avérera être un “gilet jaune”, est exfiltré rapidement. Il était venu voir à quoi ressemblait “la Marche républicaine des Libertés” qui a réuni, dimanche 27 novembre, 10 500 personnes, selon la préfecture de police de Paris. Venus “dire stop aux violences” et “défendre la démocratie”, ces “foulards rouges” ont battu le pavé parisien sans incidents et dans une ambiance bon enfant. Ils ont croisé sur leur route et notamment à la fin du parcours quelques “gilets jaunes”. Un face-à-face parfois tendu, qui selon un “gilet jaune”, a réuni dans un même lieu deux France que tout oppose.

“La France gilet jaune, vive les pauvres !”

Lui a surgi en milieu de parcours. Ce “gilet jaune”, ancien contremaître retraité et qui refuse de dire son nom, marche sur le trottoir, aux côtés de la foule compacte des “foulards rouges”. Alors que l’on entend des slogans comme “Stop, ça suffit” ou “On est le peuple nous aussi”, sa seule présence irrite les manifestants. “La France ‘gilet jaune’ ! Vive les pauvres !”, crie-t-il, avant de hurler : “Vous êtes des mouchards !” et de se faire copieusement huer. “On est plus intelligents !”, lui rétorque la foule.

Le dialogue de sourd se poursuit. “Ils ne vont rien vous donner”, crie le gilet jaune, en référence aux promesses de l’exécutif. Une équipe de l’émission “Quotidien” diffusée sur TMC l’approche et lui tend le micro. L’homme pointe du doigt les manifestants du jour :“Ils disent : ‘On est contre les ‘gilets jaunes”. Mais, ce sont ces gens qui nous ont esquinté”, explique-t-il aux reporters.

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La seule présence d’une caméra tend la foule. Quelques foulards rouges s’approchent et reprochent aux journalistes de donner la parole à cet homme de l’autre camp. “Je ne trouve pas ça normal de l’interviewer”, glisse une manifestante. L’équipe de télévision s’éclipse tandis que les échanges se poursuivent. Le “gilet jaune”, qui raconte être venu “par curiosité”, tente d’expliquer aux foulards rouges qu’“il y a beaucoup de riches qui nous prennent”. Peine perdue : certains lui demandent de retirer son gilet. “J’ai le droit de dire ce que je veux”, leur rétorque-t-il. La discussion s’achève sous l’œil attentif des CRS.

“Gilets jaunes au boulot” vs. “Bourgeois, parasites”

Cet échange tendu entre deux mondes qui ne se comprennent pas se reproduit de manière amplifiée à la fin de la manifestation. Arrivés place de la Bastille, les milliers de “foulards rouges” découvrent une trentaine de “gilets jaunes” sur les marches de l’Opéra. Les invectives fusent des deux côtés tandis que les forces de l’ordre sont au milieu des deux camps. “Ici, c’est la place des révolutionnaires”, crie une femme en “gilet jaune”. “Il y a la messe les Bourges ! Allez-voir les curés pédophiles” lance ses comparses, mais aussi des “Bourgeois, parasites !”. En face, les “foulards rouges” chantent “Merci la police !” et hurlent des “gilets jaunes, au boulot !”.

Cette phrase “gilets jaunes, au boulot”, Khattali, ne la digère pas. Ce “gilet jaune” de la première heure, originaire de Créteil (Val-de-Marne), est chauffeur VTC. “Lorsque je fais 100 euros de course, avec toutes les taxes et ce que prend mon application, il me reste 35 euros dessus”, explique-t-il. “Ça m’a touché quand ils ont dit : ‘gilet jaune au boulot’. C’est la France des winners et nous, la France des outsiders”, poursuit-il.

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“On ne voulait pas leur laisser la rue”

“Ils ont besoin de rien, eux”, interrompt Kevin. Originaires de l’Oise, ce “gilet jaune” qui travaille dans l’automobile, raconte être venu pour la première fois ce dimanche à Paris “à cause des foulards rouges” pour “voir qui se cachait derrière”. “On pense que c’est des retraités, des gens aisés, des Parisiens. Nous, on est des ruraux”, explique-t-ilavant d’ajouter : “On ne voulait pas leur laisser la rue”. Comprend-t-il l’une des revendications premières des “foulards rouges”, à savoir l’arrêt des violences ? “On arrêtera les violences quand les policiers arrêteront de nous tirer dessus”, rétorque-t-il.

En face, Damien et Arnaud, deux “foulards rouges” venus des Hauts-de-France, campent sur leur position. “Une autre France a le droit de s’exprimer”, affirme Damien. “L’important, c’est d’être là et de montrer que les ‘gilets jaunes’ ne sont pas tout le peuple”, renchérit Arnaud. Vers 17 heures, la place de la Bastille se vide en un clin d’oeil. Les “gilets jaunes”, eux, sont toujours présents. Et cette fois,“il n’y a pas eu de lacrymo à la dispersion”, relève Kevin, un brin ironique.

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