Mille jeunes des quartiers populaires témoignent dans le rapport « (In)justice climatique » de l’association Ghett’up. Le constat : un manque de représentation et le besoin de placer l’antiracisme au cœur de la lutte écologique.
Par Amélie Quentel et NnoMan Cadoret (photographies)
16 octobre 2024
« Durant mon enfance, on ne parlait pas d’écologie à la maison : il y avait une barrière, on associait ce sujet à un truc bobo, aux personnes blanches. J’avais l’impression que c’était un sujet qui ne me concernait pas. Alors que si ! » Dia, étudiante infirmière de 19 ans, a gentiment répondu à nos questions à la Gaîté lyrique, à Paris.
Cette jeune femme noire a fait le déplacement depuis Châtillon (Hauts-de-Seine), le 15 octobre, pour assister à la présentation du rapport « (In)justice climatique », dans lequel elle a témoigné. Mille jeunes venant de quartiers populaires et des outre-mer ont pris la parole dans cette étude [1] menée pendant deux ans par l’association Ghett’up, qui œuvre en faveur de la justice sociale pour les jeunes des quartiers populaires.
Racisme environnemental, articulation insuffisante entre les urgences sociales, économiques et écologiques, inégalités d’accès à l’engagement… Ce travail préfacé par l’experte du Giec [2] Yamina Saheb dresse le constat d’une écologie « plutôt exclusive qu’inclusive » et d’une injustice climatique se trouvant « à la croisée des inégalités » : sociales, économiques, raciales.
« Ils ont besoin de l’écologie, et l’écologie a besoin d’eux »
« Ce rapport a deux objectifs. D’abord, outiller la jeunesse des quartiers populaires, leur rendre la parole et ainsi créer chez eux du pouvoir d’agir : il s’agit de leur faire comprendre qu’ils ont besoin de l’écologie, et que l’écologie a besoin d’eux. Deuxièmement, nous souhaitons que l’écosystème climat en prenne connaissance et permette aux jeunes des quartiers populaires de prendre part à ce combat », a déclaré lors de la soirée Inès Seddiki, cofondatrice de la structure.
Se former à l’antiracisme politique
Une donnée dévoilée dans « (In)justice climatique » est en effet frappante. 70 % des jeunes interrogés ne se sentent pas représentés par le mouvement écologiste… alors même qu’en tant qu’habitants des quartiers populaires, pour beaucoup touchés par des discriminations racistes, ils et elles sont les premières victimes de la crise climatique induite par les politiques néolibérales (exposition aux particulines fines, manque d’espaces verts, difficultés à accéder à une alimentation saine…).
Dalila, jeune femme originaire de Montmagny (Val-d’Oise), elle aussi présente à la Gaîté lyrique, ne nous a pas dit le contraire : « Il faut que les associations soient plus inclusives : être mieux représentés serait une aubaine dans le sens où cela permettrait de ne plus se sentir exclus, d’avoir une voix, un chemin à suivre, pour ensuite se sentir légitime à s’investir soi-même. »
Sarah-Maria Hammou, responsable du projet (In)justice climatique chez Ghett’up et autrice du rapport, a ainsi estimé qu’il était essentiel « que les institutions et les associations déconstruisent leurs biais, se forment à l’antiracisme politique et s’ouvrent à des perspectives plus larges ». « Il faut qu’elles intègrent des acteurs locaux dans les instances décisionnelles et aux postes importants. Sinon, aucun vrai changement ne pourra être opéré », a-t-elle ajouté, rappelant par ailleurs comment « l’écologie du quotidien » — faire de la récup’, ne pas gaspiller la nourriture… — est « déjà très ancrée dans les modes de vie » des jeunes des quartiers populaires.
Héritages et pratiques écologiques
« Notre rapport montre que nombre d’entre eux sont les héritiers d’une formidable chaîne de transmission écologique, faisant d’eux, parfois même sans le savoir, des écologistes involontaires. Quand leurs parents disent vouloir retourner au pays, c’est bien plus qu’une simple nostalgie mais un lien profond avec la nature et la terre. » Ainsi, selon Ghett’up, ces « héritages et pratiques écologiques, souvent négligés, sont en fait des atouts puissants pour encourager l’engagement mais aussi repenser l’écologie ».
D’autant que les deux préoccupations principales des jeunes des quartiers populaires, à savoir le pouvoir d’achat et l’accès à la santé (loin devant le changement climatique, qui arrive en huitième position), s’inscrivent in fine, et ce sans forcément que ce soit conscientisé comme tel, dans le combat pour une écologie populaire.
Le rapport propose d’autres pistes : création d’un groupe de travail dédié à la justice climatique à l’Assemblée nationale, renforcement des services publics, « multiplication des espaces de dialogue »… Autant de moyens permettant de « créer des ponts durables », condition sine qua non à l’émergence d’une écologie qui serait vraiment à destination de toutes et tous.
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