D’Alexis Tsipras à Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. La crise française vue de Grèce

Il y a neuf ans, le 13 juillet 2015, renversant le résultat du référendum qu’il avait lui-même provoqué, le leader de la “gauche radicale” grecque (et européenne), Alexis Tsipras, capitulait sans gloire à Bruxelles, à la stupéfaction générale du peuple grec et de l’opinion publique mondiale.

C’était un coup extrêmement grave porté à la crédibilité de la gauche grecque et mondiale, à la Grèce et à son peuple, aux perspectives d’une Europe démocratique. Le même soir, Marine Le Pen déclarait depuis Paris que “Tsipras a trahi”. En d’autres termes, “ne faites pas confiance à la gauche, faites-moi confiance, faites confiance à l’extrême droite, qui ne vous trahira pas”.

La crise grecque n’était que la première crise si grave du système de l'”eurolibéralisme”. La façon dont elle a été “résolue” en 2015, sans l’être en réalité, a initié l’oscillation entre la gauche radicale et l’extrême droite que nous avons connu pendant l’entre-deux-guerres, préparant ainsi le grand conflit dont nous sommes les témoins aujourd’hui en France.

Le texte suivant, traduit du grec, est le commentaire sur les élections en France du journaliste grec, ancien membre de la direction de SYRIZA, Dimitris Konstantakopoulos, publié le 9 Juillet Γαλλία – fake εκλογικά αποτελέσματα για λάθος εντυπώσεις.

France – fake résultats électoraux pour de fausses impressions  

Par Dimitris Konstantakopoulos

J’écoute une grande station de radio d’information à Athènes. Le “directeur des informations internationales” est en train de parler. Il dit que l’extrême droite de Le Pen a obtenu 11 millions de voix et que le Front populaire de gauche en a obtenu 7 millions. Il ne va pas expliquer que les resultats du deuxieme tour ne peuvent pas se considerer representatifs de l’ influence des forces politiques.   

Ce type d’”information”, est aujourd’hui le dominant, en Grèce et au-delà.  

La sympathie habituellement dissimulée pour l’extrême droite et l’hostilité à l’égard de la gauche sont telles que nous avons assisté, en Grèce, en France et au niveau international, à une tentative systématique de gonfler les résultats électoraux de l’extrême droite et de sous-estimer ceux du Front populaire, déformant par la même occasion la signification du vote français.  

(Selon toutes les indications, une “conspiration” se déroule déjà en France même, une tentative de renverser le résultat de l’élection, par une sorte de défection. Parmi les scénarios qui ont cours figurent l’attribution du poste de Premier ministre à une personne ne provenant pas de la “France Insoumise”, la plus grande force du Nouveau Front Populaire, et qui pourrait être un des dirigeants du parti socialiste ou du parti écologiste, ou même l’ancien président Hollande, puis la scission du Front populaire et le ralliement d’une partie de celui-ci au camp de Macron. Dans le même temps, la quasi-totalité des médias continue d’attaquer le leader du Front Populaire.)  

Lorsque Macron a dissous l’Assemblée nationale française le 9 mai, tout le monde s’attendait à un triomphe électoral du “Rassemblement national”. C’était probablement l’objectif de ceux qui ont poussé Macron à dissoudre l’Assemblée nationale. Maintenant que toutes les prévisions ont été démenties et qu’au lieu d’un triomphe de Le Pen, nous avons eu une grande victoire politico-électorale de la gauche avec Jean-Luc Mélenchon, il s’en faut de peu qu’on nous dise que le Front populaire a perdu !  

La victoire du Front populaire, victoire sans précédent pour les standards européens actuels d’une force de gauche (et surtout d’une gauche qui ne s’est pas ” vendue “, du moins en ce qui concerne la ” France Insoumise “) dans un grand pays européen, est presque considérée comme une non-victoire, presque ” volée ” à l’extrême-droite, comme si l’énorme mobilisation de millions de personnes n’y était pour rien. Et de temps en temps, on rappelle le chaos dans lequel la France s’enfonce, comme si elle n’allait pas s’enfoncer dans le chaos avec les fascistes au pouvoir ou avec une victoire de Macron, comme si c’était la faute de Jean-Luc Mélenchon s’il y avait le chaos ! On nous dit qu’Ecologistes, Socialistes, Glucksmann, tous sont prêts à quitter le Front Populaire, sans penser que c’est la preuve même que Mélenchon vaut vraiment quelque chose s’ils veulent cette défection à tout prix !

Bien sûr, la position du Front populaire n’est pas la plus facile au monde. L’establishment français veut le démanteler et en presser une partie pour qu’elle s’allie à l'”extrême centre” en faillite de Macron, renforçant finalement Le Pen elle-même. La France Insoumise (et le Front Populaire) n’a pas encore acquis les caractéristiques d’un parti (ou d’un Front) de masse, démocratique et collectif, prêt à mener avec succès les grandes batailles à venir. Le plus grave est que, après les très grandes défaites de la gauche et des peuples européens en Grèce en 2015 et en Grande-Bretagne en 2019, en raison aussi du ralliement d’une grande partie de la gauche aux positions impérialistes par rapport à la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, il n’y a pas aujourd’hui la nécessaire alliance politique européenne capable de soutenir activement une force radicale en France dans ses combats. 

Ces deux lourdes défaites de la gauche européenne (Grèce en 2015 et en Grande-Bretagne en 2019) ont sapé sa crédibilité, ont fait basculer à droite l’axe de la contestation du « système » et ont limité les ambitions de la gauche. Mélenchon comme aussi Le Pen parlaient en 2012-15 et jusqu’en 2017-18et beaucoup plus souvent de la nécessité même de revoir les traites européennes, du rôle de l’euro etc. puis ils ont arrêté. Ce glissement a facilité aussi l’évolution de la position de l’extrême droite. Si on ne peut pas facilement s’attaquer à ceux “d’en haut” (le grand capital financier et l’UE), pourquoi ne pas ‘attaquer à ceux “d’en bas” (les Français d’origine non “française” et les immigrés). Si on ne revendique pas vraiment l’indépendance de la France par rapport a l’ OTAN et les Etats-Unis, pourquoi ne pas faire la guerre contre les en bas du « système » mondial, le monde arabo-islamique, la guerre que voulait Huntington et que fait Netanyahu. En défaut de pouvoir changer réellement le système, on donnera quelques miettes supplémentaires aux « blancs » plutôt qu’aux « Arabes » qui risquent de subir les persécutions. Il s’agit là, il faut aussi le noter, d’un renversement complet du gaullisme et l’on peut s’interroger sur les conséquences possibles de tels choix pour les intérêts français dans l’ensemble du monde arabo-musulman qui n’est pas si impuissant que les esprits des colonialistes européens préfèrent croire.  

C’est vrai, le chemin de la gauche française et surtout de la France Insoumise n’est pas pavé de pétales de roses, comme il n’est pas pavé de pétales de roses pour l’ensemble de l’Europe, de l’Occident et du monde en général. Nous nous enfonçons dans des crises de plus en plus profondes, et les “expérimentations” de type mitterrandien ne sont pas reproductibles aujourd’hui, les chiffres électoraux de l’extrême droite et de l’extrême gauche eux-mêmes en témoignent. Même si Mélenchon n’a pas encore eu tout à fait raison en disant, le soir même du second tour, qu’”il n’y a rien entre nous et l’extrême droite”, nous nous approchons à grands pas de cette situation. Nous sommes face à des statistiques rappelant celles de la République de Weimar, même si, pour l’instant en tout cas, elles ne bougent pas aussi rapidement que celles-ci ; quoi qu’il en soit, nous ne sommes plus à l’époque de la “force tranquille”.

La situation nécessitant de plus en plus de solutions drastriques et radicales, le centre s’ ecroule et les radicaux de gauche et de droite deviennent plus forts.

Mais il est tout aussi vrai que, grâce à l’admirable mobilisation du peuple français et à l’action de la direction de la France Insoumise, on a assisté à un renversement majeur de la situation politique en France et à une grande victoire de la gauche, même si elle reste partielle pour le moment, ce qui constitue la meilleure “ouverture” possible de la “guerre” à venir.

 Du fiel pour la gauche

Voilà donc des intellectuels qui étaient peut-être de gauche il y a deux cents ans, mais qui n’ont pas jugé bon de nous dire qu’ils avaient cessé de l’être ou qu’ils étaient devenus de droite, et ils rivalisent d’esprit et tentent de trouver, au lendemain d’une grande victoire politique de la gauche française, les raisons pour lesquelles la gauche n’ a pas de courant ! Je me demande ce qu’ils écriraient si Le Pen gagnait. Il ne leur vient sans doute pas à l’esprit qu’ils sont eux-mêmes une telle raison. Il est bon de chercher à la loupe les défauts réels ou imaginaires de la gauche. C’est mieux de travailler à les corriger, si l’on se dit de gauche, et de produire, si l’on est scientifique ou intellectuel, des travaux analytiques sur les problèmes du pays et du monde, au lieu de seulement déverser sa bile et donner des leçons hautains (et vides).  

Le soir du premier tour des élections législatives, nous avons entendu que Le Pen obtenait 33% et le Front populaire 28%. En fait, les médias avaient ajouté les résultats du RN et d’un autre parti politiquement apparenté, l'”Union de l’extrême droite”, qui a obtenu près de 4 %, pour créer une impression. Sur le site du ministère français de l’intérieur, Le Pen obtient 29 % et le Front populaire 28 %. Présenter le résultat comme 33% contre 28% crée une impression plus forte en faveur de l’extrême droite.  

Mais ce n’est pas le plus important, vu le braconnage qui a eu lieu avec le résultat du second tour. Les (malveillants) analystes qui veulent réduire à marche forcée l’importance de la victoire du Front populaire rappellent que l’extrême droite a obtenu un peu plus de 11 millions (somme du RN et de l'”Union de l’extrême droite”) contre 7 millions environ pour le Front populaire. A noter que nombre d’entre eux sont souvent agacés par le fait que Mme Le Pen est qualifiée d’extrême droite, ce qu’elle est d’ailleurs, et sont soucieux de trouver un autre adjectif pour la classer, mais ils ajoutent ses voix à celles de l'”Union de l’extrême droite” avec la plus grande facilité !

Le vrai pouvoir de l’extrême droite et de la gauche  

Sauf que cette comparaison est une stupide supercherie. Car au second tour des élections, le Front populaire a retiré ses candidats de nombreuses circonscriptions. Ce n’est qu’en comparant les résultats du premier tour que l’on peut tirer des conclusions sur la force réelle des formations politiques. Ces résultats sont les suivants en ce qui concerne l’extrême droite et la gauche  

– 9.379.092 29,26 % RN
– 1.268.822 3,96% Union de l’extrême droite
Somme de l’extrême droite
– 10.647.914 33.21%
Nouveau front populaire
9.024.485 21.28%
 

C’est là le véritable équilibre des forces, ce n’est pas 10 ou 11 millions contre sept.  

Il est d’ailleurs à noter que la gauche dispose d’une majorité absolue parmi les jeunes qui sont l’avenir de la France.  

Données de Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/2024_French_legislative_election et du ministère français de l’Intérieur www.resultats-elections.interieur.gouv.fr 

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La victoire prétendument “volée”  

Vous me direz que la loi électorale fait de la majorité relative une minorité.  

Les 60 % de ceux qui votent chez nous (qui ne sont pratiquement que la moitié des Grecs), ne deviennent-ils pas une majorité absolue au Parlement qui fait ce qu’il veut, même au détriment de la volonté établie de l’écrasante majorité du peuple grec ? Pourquoi les analystes qui utilisent cet argument ne parlent-ils jamais du système truqué qui nous a imposé Mitsotakis ? Pourquoi défendent-ils bec et ongles la représentation proportionnelle renforcée et ses primes monstrueuses ? Pourquoi n’ont-ils pas reproché à Macron et aux conservateurs britanniques d’avoir été élus par des systèmes majoritaires totalement antidémocratiques ?  

La seule fois où ils ont été gênés par la loi électorale d’un État membre de l’UE, c’est lorsque, contre toute attente, une force de gauche, qui plus est majoritairement une force de gauche non-“vendue”, a remporté une majorité relative de sièges. 

Il est évident que la loi électorale française est truquée, comme beaucoup de lois électorales. Or même avec un système proportionnel, le Rassemblement National n’aurait toujours pas obtenu la majorité des sièges. Ceux qui se plaignent que Le Pen n’ait pas gagné les élections voudraient que le mécanisme de truquage du système électoral majoritaire français fonctionne, de sorte que l’extrême droite, minoritaire dans l’électorat, devienne majoritaire au parlement et prenne le pouvoir !  

En fait, sous la pression de la rébellion du peuple français à la perspective de voir les “fascistes” diriger le pays, l’alliance du Nouveau Front Populaire et des macronistes a partiellement compensé le caractère antidémocratique du système électoral français en posant aux Français la question suivante : “Acceptez-vous un gouvernement d’extrême droite ?” et ils ont répondu massivement “Non”, au grand dam de nombreux “analystes”.

 Il aurait donc fallu ne rien faire et avoir aujourd’hui en France un gouvernement d’extrême-droite basé sur un tiers des Français et combattu par deux tiers d’entre eux ? Que se passerait-il dans ce cas ?  

Le fait que plus de 10,5 millions de Français aient voté pour l’extrême droite n’est pas anodin et montre combien nous sommes proches de l’abîme. Mais l’extrême droite et le fascisme qu’elle contient, même s’il s’agit d’une possibilité ou d’une éventualité dans ses rangs, n’ont pas encore gagné.  

Du reste, il ne s’agit pas seulement de la menace d’un glissement vers un régime néo-fasciste. Après tout, il n’y a pas que le totalitarisme “noir”, il y a aussi le totalitarisme “blanc”, le « totalitarisme » mild du centre extrême. Une dimension cruciale des élections françaises est que Mélenchon est le seul homme politique de premier plan en un grand pays européen qui n’est pas contrôlé par l’argent, l’OTAN et/ou Israël et ses lobbys http://www.defenddemocracy.press/exterminez-le-apres-corbyn-et-fico-melenchon/. On peut et on doit lui reprocher peut-être trop de choses, mais elles n’expliquent pas qu’il soit persécuté et taxé d’antisémite par tous les médias en France.  

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La Dame, au contraire, a déjà fait ses compromis avec la bourgeoisie française, les divers Bollorés et l’Israël de Netanyahou et a mis de l’eau dans son « vin » économique et ukrainien en se référant à l’impérialisme russe https://www.defenddemocracy.press/french-far-right-chief-bardella-vows-he-wont-let-russian-imperialism-absorb-ukraine/.

et en supprimant des pans entiers de son programme qui dérangeaient Washington https://www.defenddemocracy.press/french-far-right-pulls-manifesto-that-included-controversial-russia-nato-plans/ . Mélenchon deviendra peut-être Tsipras, personne ne peut en être sûr, la gauche française sera peut-être vaincue ; mais Le Pen est déjà devenue Tsipras, elle n’a même pas attendu d’être élue pour le devenir.  

Ce qui, en revanche, est certain c’est que le rapprochement du pouvoir par le parti de Mme Le Pen, qu’on le qualifie d’extrême droite ou de fasciste, dans un pays comme la France, constitue un jalon majeur dans l’histoire moderne de l’Europe et symbolise peut-être le début de la fin de toute la période fondée sur la victoire sur le nazisme en 1945. Une victoire de l’extrême droite française comporterait des éléments de “changement de régime”, menant du régime de « démocratie bourgeoise » oligarchique à autre chose. 

PS 1. Entre le premier et le second tour, de nombreux membres du “Rassemblement national” ont enlevé leur masque et des incidents ont été signalés dans toute la France où des citoyens d’origine arabe ont commencé à être harcelés et “avertis” de ce qui leur arriverait après les élections. La France compte cinq millions de citoyens français d’origine arabo-musulmane et cinq cent mille juifs. On comprend ce qui se passera si l’extrême droite française passe du stade de la rhétorique à celui de la “guerre civile des civilisations” ou plutôt de la “guerre contre la civilisation”. On comprend aussi quelle impulsion peut être donnée aux dangereux projets de guerre de Netanyahou au Moyen-Orient avec l’extrême droite aux manettes en France.  

PS 2. Les universitaires et les hommes politiques français sont divisés sur la question de savoir s’il faut ou non utiliser le terme de fascisme pour décrire les mouvements actuels de l’extrême droite européenne. Il est vrai qu’ils tirent leurs origines historiques des courants du fascisme européen et qu’ils comptent dans leurs rangs des personnes à la mentalité clairement fasciste. D’un autre côté, nous ne sommes pas – du moins pas encore – dans la situation que nous connaissions il y a un siècle. Dans le cas de la France, il existe des bandes violentes qui opèrent à la périphérie du “Rassemblement national” et lui fournissent des cadres, car il n’a pas de mécanisme idéologique de production de cadres.
Traduit du grec par Christos Marsellos

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