Le prétexte « Mélenchon »

Par Jean-Luc Mélenchon

Quand je vois comment « Mélenchon » est traité, je suis saisi d’émotions glacées. La haine qui s’exprime à son égard dans les médias est d’une qualité si rare, si venimeuse, si totale. Je ne croyais plus cela possible. Il y avait si longtemps qu’on en n’avait vu de telle ! Jaurès, Blum, avaient pris cher à leur époque. Très cher ! Jean Jaurès « agent des allemands », « hypocrite laïque » dont les enfants faisaient leur communion catholique. Puis Raoul Villain l’assassina. Léon Blum, pour sa prétendue vaisselle d’or, et combien d’autres avanies délirantes. Il fut arrêté et « jugé » par les agents de Pétain et Maurras, puis déporté. Avant cela, Jaurès fut frappé à la tribune de l’Assemblée par un collègue, et Blum lynché dans la rue. Combien d’avanies ils subirent !!! Je ne cite que ces deux-là pour faire sentir l’ampleur du grand bond en arrière dont est soudain affligée la sphère médiatico-politique française. Ce qui réconforte, c’est évidemment de ressentir la parenté du faux à travers le temps. Dans les circonstances passées comme dans le cas de « Mélenchon », toutes les accusations sont bidons. Mais on connaît bien, avec le recul du temps, le contexte et les aboutissements de ces époques. On comprend mieux alors les enjeux dont la violence contre ces leadeurs était l’expression. Y pensant, on comprend mieux ce qui est en cause dans la nouvelle abjection sans gêne dont « Mélenchon » fait l’objet. On comprend que c’est du lourd ! Je me suis rappelé comment fut traité Salvador Allende avant sa victoire et comment celle-ci fut annulée ensuite dans la barbarie du putsch d’extrême droite dont ce préalable avait préparé l’état d’esprit. J’espère que « Mélenchon » échappera à ça. N’a-t-il pas survécu à deux complots successifs ou l’on prévoyait de le tuer. Pour l’instant ses agresseurs sont en prison l’un pour neuf ans l’autre pour dix-huit. Leurs complices aussi sont en prison. En plus de le tuer, ils avaient aussi prévu d’attaquer des mosquées… « Mélenchon », comme huit autres députés insoumis, est sous menaces de mort constantes et appliquées depuis des mois. Son téléphone a été piraté, harcelé et pour finir paralysé comme celui de cinq autres députés insoumis aussi. Et s’il est bien dommage qu’aucune enquête, s’il y en a eu après plainte, n’ai jamais abouti, on peut penser qu’il a la baraka. Je souhaite qu’elle ne l’abandonne pas.

Le cas de diffamation actuelle présente deux nouveautés par rapport au passé. Ils sont remarquables. La première est celle qui conduit sous prétexte de lutte contre l’antisémitisme à faire voter au deuxième tour pour une formation d’extrême droite au passé plus que sulfureux dans ce domaine. Et pas seulement son passé. Le journal « Mediapart » a établi une liste de quarante-cinq candidats de ce parti qui continuent à exprimer des propos antisémites en pleine campagne. Cela glisse comme l’eau sur le plumage. Le phénomène de transfert pour faire voter RN semble ne rencontrer que bien peu de résistance. Au contraire. Une foule de complicité s’exprime avec plus ou moins de franchise. Parfois c’est au prix d’une abjection sans honte ni retenue, comme celle qui conduit un héros de la lutte contre les anciens nazis, Serge Klarsfeld, à recommander le vote pour ce parti, le RN, qui compte un nazi dans ses fondateurs. Oui, cette forme abrupte est la face sans masque d’un procédé désormais généralisé.

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Ici, « Mélenchon » est un prétexte pour s’autoriser à voter extrême droite pour des gens qui soudain ne veulent plus cacher quelle est leur véritable identité intellectuelle. Toute expression de lutte contre l’antisémitisme est à cette heure assortie d’un appel à voter contre « Mélenchon » et ses amis insoumis. Ceux-ci formant le cœur en nombre de la coalition on voit comment le coup au but est ajusté pour donner à cette infamie un air de bonne action. Double avantage pour l’attaquant, double erreur pour son complice dans nos rangs. D’abord parce que c’est parmi les insoumis que se trouve à cette heure la plus grande réserve de voix du Nouveau Front Populaire. Autant de gens dégoûtés qui ne sont pas si disposés que ça à voter pour ceux qui les insultent à travers moi. À l’inverse, nombre de ceux qui ont confiance dans la parole des « modérés » peuvent être conduits à s’effrayer. La reprise par les Mayer-Rossignol, Guedj et compagnie des attaques contre moi est donc une machine à faire perdre des voix à la gauche dans tous les secteurs de la société. La classe médiatique joue un rôle central dans cette opération rabâchée soir et matin dans les médias des neufs milliardaires qui contrôlent 90 % d’entre eux. L’État ne vaut pas mieux. On a vu les représailles sur la radio du gouvernement contre des journalistes qui avaient signé une pétition pour voter contre le Front national. Un coup de matraque pour rétablir la discipline de pensée partout. Que ces victimes de la purge médiatique qui a commencé soit saluées. À présent, seules les insinuations, attaques frontales et questions injurieuses contre les insoumis sont permises. Cela veut dire qu’elles sont donc recommandées. Les inquisiteurs comptent alors sur la vieille blague : « le mannequin ne mange pas pour garder la ligne, le journaliste garde la ligne pour manger ».

On peut se demander si la lutte contre l’antisémitisme n’est pas devenue le cœur de l’assaut contre la gauche radicale en période électorale. Car dans le monde entier cette campagne ne se déclenche en force et en public que pour les élections où cette gauche à sa chance. Et elle ne frappe que celle-ci. Je me rappelle comment « Libération » truqua une déclaration de Chavez pour en faire un « manifeste d’antisémitisme au Venezuela » (voir ma note de blog de 2006). La méthode consiste à pilonner sans trêve à tout propos, sans pause ni répit ni souci de vraisemblance. Cela fonctionne comme le mécanisme de la rumeur : par effet de répétition. Jusqu’à ce que la force de la pression fasse craquer un après l’autre toutes résistances et abattent toutes les solidarités autour d’elle.

C’est la deuxième nouveauté. Dorénavant dans le monde entier la cible de type « Mélenchon », doit se battre sur deux fronts. C’est-à-dire qu’elle doit aussi répliquer à ses supposés amis, et même de ses partenaires d’alliance. Ainsi fut abattu politiquement Jeremy Corbyn pour ne citer que cet exemple. Cette prise à revers fonctionne à partir de deux points d’appui. D’abord les haines entre les personnes et les vieux règlements de compte ou les compétitions personnelles que cette infamie permet d’assumer avec l’apparence de la pureté des intentions. Sans méconnaître non plus ici le poids d’une pure manœuvre politique. Celle destinée pour la prétendue « gauche modérée » à pousser dans le fossé sa rivale radicale. L’autre point d’appui est la lâcheté de classe des milieux sociaux qui vivent de la bonne réputation. Ceux-là ne peuvent survivre dans leur milieu sans les gratifications symboliques que le système donne à ceux qui sont dociles à la domination de la pensée officielle. Je ne nomme aucune profession en particulier. Cela par respect pour les exceptions remarquables qui existent partout et qui demeurent en dépit des compétitions professionnelles meurtrières qui n’y cessent jamais. Ceci expliquant souvent cela. En toute hypothèse, la classe médiatique tient le miroir. Il faut une force de caractère particulière pour y résister. Je l’ai vue chez De Villepin à la télé ou l’avocat Mignard par tweet, ou Emmanuel Todd en dépit de tout ce qui nous sépare. De son côté, Lionel Jospin aussi répliqua fermement au harcèlement sur BFM. Mais n’est pas Lionel Jospin n’importe quel socialiste, loin de là. Sa réplique sur BFM de dimanche 23 juin est un morceau d’anthologie des gens dignes qui ne se laissent pas dompter par un journaliste sans vergogne. « Jospin : «La Gauche doit… B. Duhamel: …vous pensez qu’il y a un problème d’antisémitisme à La France insoumise ? Jospin: Ça fait cinq fois que vous répétez cela, avec une insistance tranquille et souriante. Je vais vous le dire : nos compatriotes juifs ne seront jamais protégés par le RN qui est un parti xénophobe et raciste. La priorité c’est aussi la lutte contre le racisme et la xénophobie ok? ». À l’inverse, François Hollande se réjouit de pouvoir demander à « Mélenchon » de… se taire. Rien de moins. Le futur candidat à la présidentielle et pourquoi pas à Matignon a du métier dans l’art de manipuler. Il récuse la conflictualité dans son interview au moment même où il l’organise contre moi. Le passe plat qui l’interrogeait n’en a cure. Il ronronne. Il est là pour exciter les uns contre les autres et il a atteint son but. Aussitôt, à des centaines de kilomètres de là, ses collègues me sautent dessus à la fin de mon meeting à Montpellier. Rien dans mon propos sur place ne les a intéressés. Leur seule demande : que je réplique à Hollande ! Naturellement je me suis astreint à ne pas le faire. Sinon les médias le présenteraient aussitôt comme une victime de ma « brutalité ». Et alors… marabout, bout de ficelle, selle de bois, « Mélenchon antisémite ». Car dans le moment tous les chemins mènent toujours à Rome et toute occasion à l’antisémitisme à démasquer chez un insoumis. Hollande a compté là-dessus et il a gagné. Dès le lendemain, les figures de la haine anti LFI au PS sont sorties du bois et ont été accueillies sur les plateaux de radio et télé pour relayer son message. Sur le terrain, les électeurs insoumis risquent de le prendre très mal. Notamment pour Guedj dont la propre suppléante Hella Kribi, a rompu avec lui et présenté sa candidature avec le syndicaliste insoumis Philippe Juraver.

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Ici est le cœur de ce dont « Mélenchon » est le nom provisoire. Car je ne crois pas qu’Hollande attache de l’intérêt à qui je ne suis ni à ce que je pense. Ce dont il ne veut pas, ce n’est pas de moi dont il ne se soucie guère mais du programme dont je suis l’emblème depuis trois présidentielles. Signer un programme qui annule sa loi « permis de tuer », les dispositions de type loi El Khomri contenue dans les lois Macron, revenir sur les crédits d’impôts qu’il avait consenti, tout cela ne lui a rien coûté parce qu’il pense que cela ne se fera pas. Mais il sait aussi que si j’en suis chargé alors oui cela se fera et il devra lui-même le voter. Là encore, ceci explique sans doute cela.

Pourquoi est-ce que je parle de « Mélenchon » vous demandez-vous peut-être ? Est-ce une nouvelle forme de mon antisémitisme ? Pourquoi en parler comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre que moi. C’est parce que le « Mélenchon » dont il est question dans cette actualité dégradante, ce n’est pas moi. C’est un avatar. C’est seulement un prétexte. L’avatar d’un prétexte à proclamer une fois de plus « plutôt Hitler au Front Populaire ». Un prétexte de la bonne société de droite et de « gôche » à voter infâme en gardant aux mains ses gants beurre frais. Je ne suis pas antisémite et je ne vois toujours pas pourquoi je le serai. Je suis insoumis. Insoumis à quoi ? À l’ordre établi. C’est une opinion politique. Je suis combattu par tous ceux qui profitent de cet ordre établi. Et aussi par leur commensaux. Mais l’ordre établi n’est plus capable comme dans les années passées de se faire valoir par ses mérites, par son idéologie. Ni surtout par une promesse de futur désirable. Si la bataille actuelle ressemble à une bataille dans un égout c’est parce qu’elle l’est. Nous y mènerons la lutte dans tous les contextes, mêmes les plus répugnants. Notre force de résistance morale tient alors en un slogan : un autre monde est possible.

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